Le « Grand Tour » : quelle était cette pratique des nobles européens ?

Le "Grand Tour" : quelle était cette pratique des nobles européens ?

Le Grand Tour est une pratique traditionnelle des familles nobles de l’époque moderne qui consistait en un voyage initiatique autour du monde. Il se faisait généralement au moment de la fin des jeunes années et du passage à l’âge adulte. Le Grand Tour était d’ailleurs quasi exclusivement masculin. Ainsi, des jeunes aristocrates anglais, français, allemands, américains, néerlandais et scandinaves quittaient le cocon familial pour aller découvrir d’autres pays. Revenons ensemble sur l’histoire de cette pratique qui n’a pas pris une ride !

Une pratique du Moyen Âge

La pratique du Grand Tour a des origines assez anciennes. Dès le Moyen Âge, les étudiants de familles nobles pratiquaient la « peregrinatio academica ». Il s’agissait en quelque sorte d’un Erasmus, puisque ces derniers voyageaient d’une université à une autre. Le développement occidental de l’université remonte au XIIe siècle. Oxford (Angleterre) naît par exemple vers 1100, la Sorbonne (France) vers 1208 et Bologne (Italie) vers 1215. Il n’y avait donc que peu de points d’échanges, mais le voyage était tout de même dépaysant et riche en anecdotes.

Cette pratique médiévale perdit malheureusement en vitesse à partir du XVIe siècle. Les raisons en sont nombreuses. Tout d’abord, le contexte des réformes religieuses finit par créer de véritables frontières confessionnelles. La rupture protestante a par exemple lieu vers 1520. Pour le catholicisme, ce sont les XVe et XVIe siècles qui sont à considérer. Ainsi, de nombreux ordres sont réformés (1525 pour les franciscains par exemple).

De plus, les états européens tendent à s’affirmer et les frontières se figent. Mais au-delà des frontières, c’est aussi la culture qui s’affirme, notamment au travers de la langue nationale. En France, c’est l’Ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 qui impose le français comme langue pour les documents officiels du royaume. Cela sous-entend donc que le latin est progressivement abandonné. Il s’agit vraiment d’une rupture, puisque cette langue servait de base aux milieux universitaires européens.

Vue contemporaine de l'Université d'Oxford - Cultea
Vue contemporaine de l’Université d’Oxford.

Une renaissance du phénomène au XVIe siècle

C’est au milieu du XVIe siècle que renaît ce qu’il convient désormais d’appeler le « Grand Tour ». Le nom allemand nous apporte également des informations : Junkerfahrt ou Cavaliertour. En effet, il s’agissait avant tout pour les jeunes nobles de parfaire leur maîtrise des arts de la cour, dont l’équitation. Mais s’ajoutaient généralement la musique, l’escrime et parfois la danse de salon. De plus, les jeunes hommes pouvaient aussi comparer et discuter des différences d’organisation politique entre les pays.

Des objectifs multiples

Évidemment, entreprendre ce genre de voyage a un coût. C’est pourquoi les rencontres entre « voyageurs » favorisaient un certain entre-soi. On discutait alors avec des gens de même rang et promis à un avenir plutôt similaire. On était souvent le « fils de » et généralement déjà dans une voie prestigieuse, qu’elle soit diplomatique, juridique, militaire, politique ou commerciale. Il s’agit là d’un fait assez ironique pour un observateur contemporain, puisque le but des voyages est tout de même de découvrir des individus totalement différents culturellement.

Ces voyages permettaient également de renforcer ses convictions religieuses. On misait beaucoup sur le fait de voir d’autres superstitions à l’œuvre ailleurs pour renforcer son propre sentiment d’attachement au dogme. Sur le plan culturel également, il s’agissait de pratiquer une autre langue vivante ! C’est un fait qui peut être attesté aujourd’hui : pratiquer une langue dans un pays où elle est couramment parlée fait progresser plus vite. Ainsi, des jeunes hommes promis à un destin international (commerce, militaire, etc.) pouvaient se faire la main avec les langues.

Dans un autre registre, ces voyages permettaient un développement de l’éducation sexuelle. En effet, loin de la famille et des obligations maritales, les jeunes hommes pouvaient expérimenter plus « librement ». À noter que la ville de Venise semblait être la destination idéale pour ça… Certains y soignaient un chagrin d’amour, tandis que d’autres testaient des choses « peu banales ».

Détail du tableau "Le Voyageur contemplant une mer de nuages" - Cultea

Des destinations classiques et « exotiques »

Le Grand Tour s’exerçait généralement dans les pays d’Europe de l’Ouest. Le voyageur réalisait un parcours qui passait toujours par l’Italie et qui pouvait ensuite traverser la France, l’Allemagne, la Grèce ou les Pays-Bas. À noter que certains poussaient plus loin en allant jusqu’au Proche-Orient ou en Perse. Ainsi, le voyage était majoritairement terrestre.

Au retour, le voyage avait une fonction sociale. En effet, il affirmait la fortune et la culture du voyageur avant son départ et à son retour. Comme le souligne le magazine ProAntic :

« Le but du voyage n’était pas d’aller voir autre chose, d’aller se forger une culture propre, mais d’aller voir ce qui devait être vu, de se forger une culture commune. L’important était de pouvoir au retour partager des anecdotes et des souvenirs. C’était pour cette raison que l’on visitait toujours les mêmes hauts lieux culturels. Le récit de voyage avait alors une fonction importante, celle de faire reconnaître cette expérience acquise et cette culture commune qui renforceraient les liens sociaux. »

Cette pratique a d’ailleurs beaucoup profité au monde de l’art en Occident. Les jeunes hommes affectionnaient particulièrement le fait de rapporter des œuvres des pays visités. On retrouve ainsi de nombreux amateurs d’art dans les voyageurs. Certains ont produit eux-mêmes une littérature de voyage ou des peintures. C’est le cas, entre autres, de Montesquieu, de Condorcet, de Goethe, du marquis de Sade, de Stendhal ou encore de Madame de Staël.

Frederic Edwin Church, Parthenon - Cultea

Quid de l’automobile ?

Certains l’auront peut-être remarqué, on retrouve la notion de Grand Tour dans l’automobile. Remplacé par le terme Grand Tourisme (de l’italien Gran Turismo), le terme est aujourd’hui principalement marketing. Le sigle GT signifiant bien souvent que vous avez beaucoup de chevaux sous le capot. En revanche, lorsque le terme fut repris au XXe siècle, il portait toujours en lui cette consonance noble. Il s’agissait alors pour les fabricants d’affirmer que leur véhicule permettait à son acquéreur de réaliser un Grand Tour. Ce dernier investissait dans un outil fiable, puissant, confortable et distingué !

Il y a évidemment de surcroit tout un contexte culturel du développement du tourisme au XXe siècle. Dès les débuts industriels de l’automobile, les constructeurs se sont posés la question de savoir s’il fallait rester « pratique » ou si l’on pouvait développer des véhicules de « loisir ». Ainsi, pour répondre à la question, ils se sont fait la réflexion suivante : il y a probablement un public de bourgeois prêt à dépenser plus d’argent dans une automobile si celle-ci offre le confort, la puissance et la fiabilité nécessaire pour entreprendre de grands voyages. C’est ainsi qu’est né le Gran Turismo. Il s’agissait de répondre à un besoin de distinction et de confort d’un public aisé.

Aujourd’hui, l’émission automobile éponyme produite par Amazon Prime Video en reprend quelque peu les codes et l’esprit. De plus, animé par les anciens de Top Gear UK, le programme est à mourir de rire !

Bien que la pratique du voyage et du tourisme se soit grandement démocratisée, le voyage reste une richesse. Si le Grand Tour n’avait originellement pas pour but de s’ouvrir à d’autres cultures et voir de nouvelles choses, il a permis à de nombreux artistes de s’épanouir pleinement.

 

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