À bien des égards, Le Dictateur de Charlie Chaplin est une œuvre culte. Premier film parlant du réalisateur emblématique, il fut également un véritable phénomène à sa sortie. Aujourd’hui, revenons sur la réception du film et redécouvrons son discours final devenu culte…
Le Dictateur : une conception difficile et un accueil mitigé
Le Dictateur fut conçu avant l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, à une époque où l’opinion publique n’y était d’ailleurs pas très favorable… Malgré tout, ce film fut le plus grand succès commercial de la carrière de Charlie Chaplin. Il contribua notamment à mobiliser l’opinion publique pour réagir au conflit européen, à une époque où le Royaume-Uni résistait quasiment seul face à l’Allemagne nazie.
Ouvertement inspiré par le régime nazi et par Hitler (que Chaplin caricature grassement), Le Dictateur fut soumis à beaucoup de pressions durant sa production. En effet, le gouvernement allemand de l’époque protesta officiellement contre sa réalisation. Il demanda même l’abandon pur et simple du projet. Une requête assez culottée de la part du régime nazi, qui n’avait strictement aucune autorité pour interdire quoi que ce soit outre-Atlantique.
De surcroît, Charlie Chaplin est soumis à des pressions lors de la sortie du film, et même après. En effet, peu de gens souhaitaient s’exprimer sur le conflit à l’époque, considérant que les USA n’avaient pas à intervenir. Ce film fut également un argument supplémentaire pour taxer Chaplin de communiste. En effet, cela était loin d’être bien vu aux USA. Toutefois, une fois le film sorti, le succès fut au rendez-vous. Et cela fut aidé par un discours devenu emblématique.
« Nous pourrions tous avoir une belle vie libre mais nous avons perdu le chemin… »
Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider, les êtres humains sont ainsi. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas le malheur. Nous ne voulons ni haïr ni humilier personne. Dans ce monde, chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche pour nourrir tout le monde. Nous pourrions tous avoir une belle vie libre mais nous avons perdu le chemin.
L’avidité a empoisonné l’esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés. Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence inhumains. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez. Etant trop mécanisés, nous manquons d’humanité. Etant trop cultivés, nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence et tout est perdu. Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain, que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.
En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants désespérés, victimes d’un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents.
« Où que tu sois, lève les yeux ! Lève les yeux, Hannah ! »
Je dis à tous ceux qui m’entendent : Ne désespérez pas ! Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’avidité, de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’Humanité. Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront, et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples. Et tant que les hommes mourront, la liberté ne pourra périr. Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes, ceux qui vous méprisent et font de vous des esclaves, enrégimentent votre vie et vous disent ce qu’il faut faire, penser et ressentir, qui vous dirigent, vous manœuvrent, se servent de vous comme chair à canons et vous traitent comme du bétail.
Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains, ces hommes-machines avec des cerveaux-machines et des cœurs-machines. Vous n’êtes pas des machines ! Vous n’êtes pas des esclaves ! Vous êtes des hommes, des hommes avec tout l’amour du monde dans le cœur. Vous n’avez pas de haine, seuls ceux qui manquent d’amour et les inhumains haïssent. Soldats ! ne vous battez pas pour l’esclavage, mais pour la liberté !
Il est écrit dans l’Evangile selon Saint Luc « Le Royaume de Dieu est au dedans de l’homme », pas dans un seul homme ni dans un groupe, mais dans tous les hommes, en vous, vous le peuple qui avez le pouvoir : le pouvoir de créer les machines, le pouvoir de créer le bonheur. Vous, le peuple, en avez le pouvoir : le pouvoir de rendre la vie belle et libre, le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure. Alors au nom même de la Démocratie, utilisons ce pouvoir.
Il faut nous unir, il faut nous battre pour un monde nouveau, décent et humain qui donnera à chacun l’occasion de travailler, qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité. Ces brutes vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir – ils mentent. Ils ne tiennent pas leurs promesses – jamais ils ne le feront. Les dictateurs s’affranchissent en prenant le pouvoir mais réduisent en esclavage le peuple. Alors, battons-nous pour accomplir cette promesse ! Il faut nous battre pour libérer le monde, pour abolir les frontières et les barrières raciales, pour en finir avec l’avidité, la haine et l’intolérance. Il faut nous battre pour construire un monde de raison, un monde où la science et le progrès mèneront vers le bonheur de tous. Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous !
Hannah, est-ce que tu m’entends ? Où que tu sois, lève les yeux ! Lève les yeux, Hannah ! Les nuages se dissipent ! Le soleil perce ! Nous émergeons des ténèbres pour trouver la lumière ! Nous pénétrons dans un monde nouveau, un monde meilleur, où les hommes domineront leur cupidité, leur haine et leur brutalité. Lève les yeux, Hannah ! L’âme de l’homme a reçu des ailes et enfin elle commence à voler. Elle vole vers l’arc-en-ciel, vers la lumière de l’espoir. Lève les yeux, Hannah ! Lève les yeux !
Copyright © Roy Export S.A.S.
Réception du film
Comme évoqué précédemment, le propos du film valut à Chaplin d’être accusé de « sympathie pour le communisme » aux USA, durant les années du maccarthysme.
Outre les instances politiques, son engagement fut très mal perçu par une partie du public. Face aux accusations d’être juif et communiste, Chaplin dira dans son autobiographie, Histoire de ma vie :
« On n’a pas besoin d’être juif pour être anti-nazi. Il suffit d’être un être humain normal et décent ».
Pendant la guerre, le film fut projeté à Londres durant la bataille d’Angleterre. L’Irlande, de son côté, désira rester neutre. Le pays refusait en effet la mention même de cette guerre. Le Dictateur fut donc censuré dans ce pays. Toutefois, le film fut très populaire au Royaume-Uni, réunissant 9 millions de spectateurs.
Toujours en pleine guerre, le film fut diffusé à Belgrade (Serbie), alors occupée par les Allemands. Le film fut projeté à la place d’un autre durant 40 minutes… Jusqu’à ce qu’un SS présent dans la salle tire avec son pistolet en direction de l’écran. Le cinéma fut donc évacué.
En France, il fallut attendre 1945 pour pouvoir enfin découvrir Le Dictateur. Il devint alors le film de Chaplin ayant rencontré le plus de succès dans l’hexagone, avec plus de 8 millions d’entrées. En Espagne, le film resta censuré jusqu’en 1976, c’est à dire après la chute de Franco et de la dictature fasciste.
S’agissant des USA, le film fut très bien accueilli au moment de sa sortie. On peut citer comme exemple de critique celle de Bosley Crowther, du New York Times :
« Réalisation vraiment superbe d’un artiste vraiment génial » […] » peut-être le film le plus important jamais produit. »
Après la guerre, Chaplin fut ardemment accusé de communisme aux États-Unis. En outre, le film fut interdit dans de nombreux pays d’Amérique latine, où les mouvements de sympathie à l’égard du régime nazi étaient légions… Cette zone géographique fut d’ailleurs le repaire de nombreux nazis fugitifs. On citera par exemple Klaus Barbie, dont la traque en ces lieux fut spectaculaire.
Enfin, dans la célèbre biographie de Chaplin écrite par Jeffrey Vance, il est rapporté qu’Hitler avait regardé le film deux fois en entier. Chaplin a alors répondu qu’il « donnerait tout pour savoir ce qu’il en a pensé ».
Succès populaire et monument cinématographique, Le Dictateur est aujourd’hui un des films les plus cultes de tous les temps. Mais il est une scène dont le propos transcende par-dessus tout le message du film. Cette scène, c’est bien évidemment le discours final, dont on vous propose de profiter…
À lire également : Le jour où la dépouille de Charlie Chaplin fut volée
Le Dictateur – (Discours final VOSTF)
2 Replies to “« Le dictateur » de Chaplin : discours final et réception du film dans le monde”