Durant l’été 1951, les habitants d’un village français sont pris de folie. Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, fait face à une épidémie d’hallucinations collectives. En tout, 7 personnes vont trouver la mort, 50 seront internées dans des hôpitaux psychiatriques et 250 auront des symptômes relativement graves. Chez Cultea, on vous propose aujourd’hui de revenir sur cette étrange histoire, surnommée « l’affaire du pain maudit ».
Les évènements d’août 1951
Tout commence le 16 août 1951. De nombreux habitants souffrent de vomissements, maux de ventre, frissons, voire d’hallucinations. Les 3 médecins de la ville ne savent plus où donner de la tête. Ils suspectent d’abord une intoxication alimentaire, mais peinent à trouver des preuves. Toutefois, on commence à se demander si le coupable ne serait pas le pain du meilleur boulanger du bourg… Les habitants se rabattent donc rapidement sur les biscottes pour ne pas risquer de tomber malade. Le 21 août, on compte environ 130 personnes intoxiquées et 6 hospitalisées.
La situation dégénère dans la nuit du 25 au 26 août, à tel point que les habitants de la région la surnommeront « la nuit de l’apocalypse ». On interne en effet 23 personnes dans l’hôpital de Pont-Saint-Esprit. L’un deux crie :
« Je suis mort ! Ma tête est en cuivre et j’ai des serpents dans mon estomac ! »
Ensuite, une jeune fille pense que des tigres l’attaquent et un enfant tente d’étrangler sa mère. Un homme saute même du deuxième étage de l’hôpital. Malgré ses jambes fracturées, il parvient à courir 50 mètres avant qu’on ne le rattrape. Par la suite, d’autres malades entendent des harmonies célestes ou sont sujets à de terribles hallucinations. Plus de 30 personnes resteront en hôpital psychiatrique plusieurs mois après les évènements…
La théorie de l’ergot de seigle
Un médecin de la faculté de médecine de Montpellier pense rapidement au mal des ardents. La maladie, aussi appelée maladie de l’ergot de seigle, est causée par un champignon parasite des graminées (Claviceps purpurea). Bien qu’elle fut très courante au Moyen-Âge, elle avait disparu en France depuis le XVIIIe siècle. Le juge d’instruction avance tout de même que le pain du boulanger aurait été contaminé par l’ergot du seigle.
De plus, ce dernier sécrète de l’acide lysergique, dont est dérivé le LSD. Albert Hofmann, qui travaille au laboratoire Sandoz en Suisse, avait déjà effectué des recherches sur le sujet. Il viendra même en personne à Pont-Saint-Esprit, mais le laboratoire rejettera rapidement l’hypothèse de l’ergotisme. Pourtant, les symptômes des habitants sont très semblables à ceux de la maladie…
Autres hypothèses
En juillet 1954, le juge d’instruction ferme le dossier. Il pense en effet avoir trouvé la cause de l’intoxication : l’ingestion de dicyandiamide de méthyl-mercure, un produit contenu dans un fongicide (Panogen). On aurait utilisé celui-ci pour la conservation des grains ayant servi à faire la farine. J. Cadiou rejette néanmoins l’hypothèse en 1965 avec une thèse en pharmacie.
Plus tard, en 1982, le professeur Moreau, toxicologue spécialiste des moisissures, apporte une autre explication. Les habitants du village auraient pu être intoxiqués par des substances produites par des moisissures : les mycotoxines (Aspergillus fumigatus). Celles-ci peuvent en outre se développer dans les silos à grain.
Enfin, on émet également l’hypothèse de l’agène. Ce dernier est un composé chimique pathogène susceptible d’entrainer des symptômes assez similaires à ceux de Pont-Saint-Esprit. De nombreux meuniers utilisaient en effet des appareils de blanchiment de fabrication allemande à l’époque, qui employaient de l’agène. Notons que ces appareils étaient donc illégaux.
La CIA a-t-elle été impliquée dans l’affaire du pain maudit ?
La théorie la plus célèbre après celle de l’ergotisme est sans doute celle de l’implication de la CIA. En effet, le journaliste Hank Albarelli avance cette théorie dans son livre A Terrible Mistake publié aux Etats-Unis fin 2009. Le livre traite plus particulièrement des opérations de la CIA durant la guerre froide, mais le journaliste aborde aussi l’affaire du pain maudit. Selon lui, les habitants de Pont-Saint-Esprit auraient fait les frais d’une expérience secrète menée par la CIA et l’armée américaine. Ces derniers auraient en outre effectué des pulvérisations aériennes de LSD sur la population. De plus, ils auraient contaminé les produits alimentaires locaux.
C’est en s’entretenant avec des anciens de l’armée ou de la CIA que Albarelli a obtenu ces informations. Deux d’entre eux, sous couvert d’anonymat, lui ont en effet confirmé que les événements survenus à Pont-Saint-Esprit relevaient bien d’une expérience de la CIA. Ils lui ont aussi transmis une fiche d’identité de la Maison Blanche qui mentionnait le « Pont Saint Esprit incident (Olson) ». Enfin, des scientifiques de Fort Detrick lui ont également avoué que la CIA avait opéré par pulvérisation aérienne. L’un deux a rajouté que ceci fut cependant un échec.
L’historien Steven Kaplan a mené son enquête sur l’affaire du pain maudit pendant de nombreuses années. Malgré tout, il considère qu’aucune des théories n’explique réellement ce qu’il s’est passé durant l’été 1951. Selon lui, la version impliquant la CIA est également assez bancale. En effet, pourquoi mener une telle expérience sur une ville française de gauche en pleine guerre froide ? Le mystère perdure…
Sources :
« En effet, pourquoi mener une telle expérience sur une ville française de gauche en pleine guerre froide ? Le mystère perdure… »
Justement une ville française de gauche, et plutôt communiste donne un sens pour la CIA en pleine guerre froide.