9 juillet 1849 : Victor Hugo prononce son grand discours contre la misère

Robin Uzan
Robin Uzan
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Ce n’est un secret pour personne : la misère est un thème prépondérant dans l’œuvre de Victor Hugo. En témoigne son chef-d’œuvre intemporel, Les Misérables, qui porte bien son nom. 

Ce que l’on sait moins cependant, c’est que ce fut également l’un des thèmes prépondérants dans sa vie, ainsi qu’un de ses combats les plus importants. Lorsqu’il devint député de la Deuxième République, Hugo mit un point d’honneur à faire valoir ce combat auprès de ses confrères. Ainsi, l’écrivain prononça, le 9 juillet 1849, un discours qui resta dans l’histoire de l’Assemblée nationale. Ce discours, le voici :

Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.

La misère, messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu’où elle est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtement, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.

Voilà un fait. En voulez-vous d’autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours.

Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé !

Ce discours sur la misère, Victor Hugo ne le sort pas de nulle part… En effet, l’auteur (et député) a été profondément marqué par l’insurrection de 1848, provoquée par un contexte social particulièrement rude. En effet, les rues de Paris sont à l’époque en proie à des conditions de travail très rudes et d’hygiène épouvantables. Des conditions auxquelles s’ajoutent une forte criminalité, ainsi que des disparités économiques très marquées entre le peuple parisien et les bourgeois de l’époque. Victor Hugo prononça ainsi ce discours dans un contexte très particulier, puisqu’il prit place un an après ces révoltes, encore bien présentes dans l’inconscient collectif.

Aujourd’hui, ce discours fait partie des plus emblématiques prononcés à l’Assemblée nationale, aux côtés de celui de Simone Veil sur le droit à l’IVG, ou encore de celui de Robert Badinter sur la peine de mort. Et, bien que la situation contemporaine soit drastiquement différente de celle de l’époque, force est de constater que ses mots peuvent encore trouver une résonance aujourd’hui… 

 

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Journaliste, photographe et réalisateur indépendant, écrire et gérer Cultea est un immense plaisir et une de mes plus grandes fiertés.
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