5 films iraniens à voir absolument : des pépites cinématographiques à (re)découvrir

5 films iraniens à voir absolument : des pépites cinématographiques à (re)découvrir

Le cinéma iranien s’est imposé, depuis les années 1970, comme l’un des plus vivants, des plus subtils et des plus poétiques de la scène mondiale. Porté par des cinéastes aussi inventifs que touchants, il a su faire de la contrainte politique un levier de création, en cultivant l’allégorie, l’humour discret et une forme de réalisme poétique unique. Voici cinq œuvres majeures, à la fois profondes, émouvantes et audacieuses, qui témoignent de l’inventivité et de la force du cinéma iranien contemporain.

La Vache (1969) – Dariush Mehrjui : l’acte de naissance

Avant La Vache, le cinéma iranien était dominé par les comédies commerciales ou les films d’action populaires. Avec ce film, Mehrjui initie ce qu’on appellera plus tard la « Nouvelle Vague iranienne » – un cinéma ancré dans la réalité sociale, plus épuré, plus profond.

Le film raconte l’histoire d’un paysan pauvre, Hassan, vivant dans un village reculé, dont l’unique fierté est sa vache. Lorsqu’elle meurt, les villageois lui cachent la vérité, et Hassan, submergé par le chagrin, sombre dans une psychose et se prend pour sa propre bête. Ce récit, à la fois simple et bouleversant, fonctionne comme une allégorie du rapport fusionnel entre l’homme et ses maigres repères, mais aussi comme une critique silencieuse de la pauvreté rurale et de l’ignorance collective. Le ton oscille entre tragédie et absurde, et la mise en scène privilégie une grande sobriété, presque documentaire, qui donne au film une puissance universelle.

Mehrjui s’inspire du néoréalisme italien (on pense à Umberto D. de De Sica), mais injecte une dimension mystique propre à la culture iranienne. La Vache a marqué un tournant historique : c’est le premier film iranien à être reconnu internationalement, notamment par Godard, qui le qualifiait de chef-d’œuvre.

iranien

Un instant d’innocence (1996) – Mohsen Makhmalbaf : autofiction iranienne et cinéma-réparation

Le film part d’un geste autobiographique : Makhmalbaf, à l’adolescence, a agressé un policier pendant la révolution islamique. Vingt ans plus tard, il décide de rejouer cette scène avec les deux protagonistes – lui et l’ancien policier – mais à travers des jeunes comédiens, comme dans une reconstitution filmée.

Ce dispositif fait du film un objet vertigineux : ce n’est ni un documentaire, ni une fiction, mais une exploration de la mémoire à travers la mise en scène. Chaque personnage tente de revivre « son » passé, de le modeler à travers le regard qu’il porte aujourd’hui sur lui-même. Or, leurs versions diffèrent. Le film est un véritable miroir brisé, où les souvenirs se déforment, se croisent, se contredisent.

Ce qui est fascinant, c’est que Un instant d’innocence ne cherche jamais à trancher entre le vrai et le faux. Makhmalbaf s’interroge sur le pouvoir du cinéma à modifier la mémoire, à panser les blessures, mais aussi à manipuler les récits. C’est un film profondément humain, fait d’élans, d’erreurs, de rédemption silencieuse. Et c’est aussi une œuvre sur la jeunesse, la naïveté, la quête de pureté. Le dernier plan – d’une grâce absolue – donne son titre au film : un bref instant de lumière suspendue, d’innocence retrouvée, ou peut-être inventée.

Le Goût de la cerise (1997) – Abbas Kiarostami : minimalisme existentiel

Dans ce film austère et méditatif, un homme traverse les routes désertiques de Téhéran, la capitale iranienne, à bord de sa voiture, cherchant quelqu’un qui accepterait de l’enterrer sous un cerisier après son suicide. Tout le film repose sur ces rencontres successives, dans l’habitacle, entre cet homme fatigué de vivre et des inconnus qui, chacun à leur manière, tentent de comprendre, de convaincre, ou de refuser.

Kiarostami adopte une esthétique épurée : la caméra reste souvent fixe, les plans sont longs et les dialogues rares. Il y a peu de musique, peu d’action. Ce dépouillement volontaire renforce l’impact des mots et des silences.

Mais sous cette apparente simplicité, Le Goût de la cerise est un film profondément philosophique. Il pose la question de la valeur de la vie, du droit à mourir, de ce qui peut encore retenir un être au bord du vide. Kiarostami ne juge pas, il écoute. Il laisse le spectateur face à ses propres convictions.

Peut-être le film iranien le plus connu, immense référence pour tous ceux qui veulent se lancer dans l’épopée cinématographique du pays. Autre fait formidable : c’est la première œuvre iranienne à gagner, en 1997, la Palme d’or du festival de Cannes. Premier, mais pas dernier, car, en 2025, Jafar Panahi réitère l’exploit avec son film Un simple accident.

Taxi Téhéran (2015) – Jafar Panahi : ode au courage face à l’interdiction

Condamné à ne plus faire de films, Jafar Panahi déjoue la censure en se filmant en chauffeur de taxi, sillonnant les rues de Téhéran avec une caméra cachée. Ce prétexte donne lieu à une série de portraits saisissants : une avocate féministe, une enseignante passionnée, un vendeur de DVD pirates, une petite-nièce engagée… Chaque passager incarne une facette de l’Iran contemporain, de ses contradictions, de ses tabous, de ses espoirs (on retrouve pas mal du Goût de la cerise dans Taxi Téhéran et, pour cause, Panahi fut l’assistant-réalisateur de Kiarostami sur le tournage du film Au travers des oliviers).

Le génie de Panahi est de faire du huis clos d’une voiture un théâtre du monde. Avec un humour discret, une tendresse constante et une lucidité impitoyable, il fait émerger des vérités humaines et politiques, sans jamais avoir l’air d’accuser. Le film n’est pas seulement une critique du régime – c’est aussi une lettre d’amour à la société iranienne, à ses gens, à leur courage.

Récompensé par l’Ours d’or à Berlin, Taxi Téhéran montre que le cinéma n’a pas besoin de gros moyens pour être grand. Il suffit d’un habitacle, d’une caméra, et d’un regard lucide pour raconter un pays tout entier.

Les Graines du figuier sauvage (2023) – Mohammad Rasoulof : pouvoir et famille, chronique d’un effondrement

Rasoulof a tourné ce film dans la clandestinité, sous la menace d’un emprisonnement. Le film suit une famille de la classe moyenne supérieure, dont le père, juge loyal au régime, voit peu à peu sa femme et ses filles se détourner de lui, sur fond de répression politique grandissante.

C’est un film sur la décomposition lente de l’autorité iranienne, familiale autant que politique. Le père incarne un système autoritaire, sûr de lui, mais rongé de l’intérieur. Ses enfants, en particulier ses filles, deviennent le miroir de ce changement : elles revendiquent des choix, une parole, un autre rapport au monde. Le film met en tension l’intime et le politique, dans un récit tendu comme un fil.

La mise en scène, sobre mais précise, capte avec acuité les silences familiaux, les regards fuyants, les ruptures discrètes, mais irréversibles. Ce qui frappe, c’est la maîtrise dramatique de Rasoulof, sa capacité à créer une tension sans jamais hausser la voix.

Avec ce film, il livre un acte de résistance d’une rare intensité morale, qui interroge chacun de nous : jusqu’où sommes-nous prêts à obéir ? Et que sacrifie-t-on, au nom de l’ordre ?

Un cinéma qui pense et se pense au sein d’un monde dangereux

À travers ces cinq œuvres, c’est toute une histoire du cinéma iranien qui se dessine : de l’héritage rural et symbolique de La Vache aux formes hybrides de Taxi Téhéran, en passant par l’introspection philosophique de Kiarostami ou les brûlures politiques de Rasoulof.

Ce qui relie ces films, malgré leurs différences, c’est un respect profond pour l’intelligence du spectateur, une foi dans le pouvoir du regard et une conscience aiguë du rôle du cinéma dans la société. Dans une époque saturée de divertissement et d’images formatées, ces œuvres nous rappellent que le cinéma peut encore être un art de la vérité, du doute, de la beauté fragile.

Si vous ne les avez pas encore vus, ces cinq pépites sont bien plus que de simples films : ce sont des expériences de pensée, des gestes de liberté, des fragments d’humanité.

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Le Goût de la cerise : bande-annonce

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