Si beaucoup d’observateurs considèrent aujourd’hui que le Vatican est le plus petit État du monde, ces derniers se trompent. Il existe en effet une micro-nation non reconnue au large des côtes britanniques : Sealand ! Son histoire est rocambolesque, laissez-nous vous la raconter.
Tout commence en 1942. En pleine Seconde Guerre mondiale, les anglais ressentent le besoin d’établir des positions fortes sur la mer, notamment à la sortie de ses principaux fleuves. Le but est alors d’empêcher une invasion allemande par la mer. Pour ce faire, ils bâtissent des Forts Maunsell, de petites tours fortifiées en plein milieu de la mer. Les tours étaient fabriquées en béton armé et la structure comportait une plateforme entourée de deux tours. Ces tours abritaient des canons anti-aériens et des radars. Sauf qu’après la guerre, ces installations ne servent plus et sont abandonnées par le gouvernement.
Fort Roughs
L’une de ces plateformes est un peu plus grande que les autres. Il s’agit d’un début de navire. Celui-ci prenait la forme d’un radeau flottant, posé sur une structure composée elle-même d’un pont soutenu par deux tours en béton. Appelé Fort Roughs, ce bâtiment accueille tout de même entre 150 et 300 soldats de la marine britannique durant la guerre. Le radeau est noyé volontairement pour aller croupir au fond de l’eau et l’on décide d’installer des batteries anti-aériennes. Ces dernières ne seront finalement jamais installées. A la fin du conflit, les marins sont évacués et la plateforme est abandonnée.
Paddy Roy-Bates
En 1966, un ancien major de l’armée britannique ayant survécu au conflit précédent entend parler de ce « Fort ». Il apprend également qu’il se trouve alors dans les eaux internationales. Il décide d’aller consulter des avocats et des experts en droit maritime qui lui confirment que théoriquement personne ne revendique la propriété de la plateforme et qu’il peut en prendre possession.
C’est alors déterminé, se sentant un Christophe Colomb de son époque, que Paddy Roy-Bates prend son bateau de pêche et met le cap sur Fort Roughs. Le 25 décembre 1966, Paddy, sa femme et des amis posent le pied sur la plateforme et en prennent possession. Le 2 septembre 1967, le couple Bates déclare l’indépendance de la principauté et s’auto-proclamant souverains de « Sealand ».
Le gouvernement britannique ne tarde pas à répondre et envoi une patrouille de marins. A peine ont-ils franchit les « eaux territoriales de Sealand » que le fils Bates effectue des tirs de sommation. Les marins n’insistent pas et repartent. Il n’empêche que le fils Bates est convoqué au tribunal de l’Essex par le gouvernement pour « détention illégale d’arme à feu ».
Surprise générale, le tribunal convient qu’il est incapable de statuer puisque Fort Rough se situe en dehors de sa juridiction et n’est pas britannique.
Le 25 septembre 1975, Roy Bates présente la Constitution de la Principauté de Sealand. Cette dernière est rédigée par son Premier Ministre, le professeur de droit Alexander Achenbach. Il s’agit d’un personnage important pour la suite de notre histoire…
La guerre totale
Peu après, Achenbach et Bates commencent à se fâcher autour d’un projet. Bates voudrait faire de la plateforme un hôtel casino de luxe qui jouirait du côté atypique de la situation. Achenbach n’aime pas cette idée et décide d’aller chercher des renforts en Allemagne et aux Pays-Bas. Ainsi, en 1978, le couple princier Bates est capturé et la plateforme tombe aux mains d’Achenbach. Séquestrés quelques jours sur place, ils sont ensuite conduits aux Pays-Bas où ils sont relâchés. La guerre est déclarée.
Œil pour œil
Le fils Bates, Michael, n’entend pas se laisser faire. Ce dernier recrute des mercenaires et prend un hélicoptère pour aller reprendre la plateforme de force. Il faut bien comprendre ici que le fils Bates se prend pour James Bond. Ainsi, il faut l’imaginer suspendu à une corde en tenue de combat avec une arme à la main, le tout accroché à un hélicoptère au dessus de la mer… « L’intervention » est un succès, la plateforme est sécurisée. Les hommes sont fait captifs un temps avant d’être libérés, sauf Achenbach. En effet, il est jugé comme un traître à la nation et se voit condamné à la prison à vie. Contrairement aux autres, il était le seul détenteur d’un passeport officiel de Sealand.
Les gouvernements allemands et hollandais demanderont sa libération, en vain. Ils se tournent alors vers le gouvernement britannique. Mais ce dernier se cache derrière le jugement précédent, ayant établi que l’Angleterre n’a aucune influence sur cette endroit. Finalement, l’Allemagne envoie un diplomate de son ambassade britannique pour négocier. La famille Bates finit par céder, affirmant que l’Allemagne avait reconnu l’existence de la Principauté de Sealand. Les allemands ne confirmeront jamais cette version des faits…
Achenbach l’exilé
Achenbach étant tout de même un citoyen de Sealand, il décide de fonder un gouvernement en exil, en Allemagne. Ainsi, il se revendique comme la seule vraie autorité légitime de Sealand… Achenbach ne se lassera qu’en 1989 de cette histoire, à cause de soucis de santé. Il passera le flambeau à Johannes Seiger qui se revendique encore aujourd’hui comme le « vrai » dirigeant de Sealand. Au cas où certains l’aurait oublié en cours de route, on parle ici de personnes majeures et plutôt âgés se disputant une plateforme offshore de 500m².
Les suites
Il s’est passé de nombreuses choses depuis. Déjà, le gouvernement britannique a élargi légalement ses eaux territoriales, faisant techniquement de Sealand une commune tout au plus du comté de l’Essex. Dans les faits, l’Angleterre évite d’en parler et se contente de réagir lorsque la situation dégénère. Il faut bien comprendre que tant qu’ils ne s’entretuent pas ou qu’ils ne crient pas trop fort, les gens de Sealand n’embêtent personne.
En 1999, le patriarche Roy abdique au profit de son fils héritier Michael. Ce dernier, en raison d’un incendie sur la plateforme en 2006, décidera de mettre en vente le site pour passer à autre chose. Prix annoncé ? Dix millions de livres les 550m²… Pour la blague (mais surtout pour la culture), le site d’hébergement et téléchargement illégal The Pirate Bay se propose acquéreur en s’appuyant sur une cagnotte en ligne. L’idée serait d’avoir un hébergement offshore qui échapperait aux lois sur la propriété intellectuelle. Mais les Bates refusent par principe.
Sachez tout de même que vous pouvez vous aussi devenir un membre éminent de la haute société sealandaise. En effet, il est possible d’acquérir un titre de noblesse pour pas trop cher ici.
Voilà donc la rocambolesque et riche histoire du plus petit pays du monde. Si aucun (véritable) État n’a encore reconnu la souveraineté de Sealand, il faut reconnaitre que cette histoire soulève de vraies questions juridiques et politiques. Roy Bates, grand conquérant, s’est éteint en 2012 à l’âge canonique de 91 ans. Puisses tu rester en paix, ô sage fondateur de la nation de Sealand.
Sources :
- https://www.opnminded.com/2018/01/16/sealand-plus-petite-nation-au-monde-utopie-veritable-pays.html
- https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/story/la-fabuleuse-et-farfelue-histoire-de-sealand-le-plus-petit-pays-du-monde/4481
- https://www.lemonde.fr/international/article/2012/09/21/des-mondes-meilleurs-tombes-a-l-eau_1762957_3210.html