« Saltburn » : une forme splendide pour un fond déconstruit [critique]

"Saltburn" : une forme splendide pour un fond déconstruit [critique]

Emerald Fennell a fait ses débuts de réalisatrice en 2020 avec le rape-and-revenge pop Promising Young Woman, qui lui a valu un Oscar du meilleur scénario original. Elle revient en cette fin d’année 2023 avec Saltburn, un thriller psychologique mené par le duo Barry Keoghan (The BatmanLes Banshees d’Inisherin) et Jacob Elordi (Euphoria, Priscilla)

Un thriller psychologique maladroit

Saltburn se penche sur le personnage d’Oliver, un étudiant boursier d’Oxford dont la vie bascule quand il rencontre Félix. Il lui confie ses problèmes et son ami lui propose de passer les vacances dans sa riche famille, dans le manoir de Saltburn. Seulement, l’intégration rapide d’Oliver au sein de ce foyer va révéler de plus sombres secrets.

L’atmosphère du film fait l’effet d’une bombe à retardement. On ne sait pas quand l’explosion aura lieu mais on sait bien que le calme n’est qu’apparent, et ce dès le départ. C’est bien l’attrait du thriller psychologique de maintenir une tension et de savoir jouer avec. Mais Saltburn se perd dans sa narration. Si son montage rythmique est impeccable, le rythme de son histoire pêche. On n’atteint jamais vraiment le juste milieu, on a des arcs narratifs soit trop longs soit trop rapides. Ainsi, quand la bombe explose, elle fait l’effet d’un pétard mouillé.

Le film manque de la minutie qui fait un thriller réussi, comme s’il cherchait la séquence choc plutôt qu’un tout qui laisse bouche bée. C’est aussi dû à son manque de subtilité qui jetterait presque le symbolisme au visage de son spectateur, aussi beau soit-il d’un point de vue esthétique.

Une belle image superficielle 

On ne peut nier l’attrait esthétique de la réalisation d’Emerald Fennell en général. Saltburn est notamment pourvu d’une magnifique photographie. Le film enchaîne les plans magnifiques et particulièrement léchés. C’est très certainement le point fort du film avec ses performances d’acteurs. On retiendra aussi les séquences musicales, disons-le encore une fois : le montage rythmique de ce film est très sympathique et les morceaux choisis le sont également tout autant qu’ils servent toujours un propos. Un détail appréciable.

Hélas, toute cette beauté contribue à noyer la narration. A vouloir trop en dire, on finit par ne dire que très peu. Ironique puisque c’est une des choses que le film cherche à soulever dans sa critique sociale de la classe bourgeoise Britannique. Les séquences s’enchaînent dans toute leur magnificence mais la symbolique les étouffe, comme si on devait décrypter un message qui ne cesse de nous échapper au-delà de celui qui est évident. 

« Eat the rich »

En 2019, A couteaux tirés de Rian Johnson sort en salles. C’est un véritable succès à la fois critique et commercial. Le film nous plonge dans une famille aisée pendant une enquête sur le meurtre de leur patriarche. Evidemment, il porte une forte critique sociale des hautes classes qui en a inspiré plus d’un par la suite. Critiquer les riches au cinéma, ce n’est pas nouveau, mais ce film en particulier a relancé une immense vague d’autres long-métrages et séries qui ont tenté de reprendre la formule presque exacte. 

La famille corrompue du film A couteaux tirés

Le début de la décennie 2020 est marquée par cette thématique qui s’est essoufflée assez vite. La recette est simple : un groupe de riches stéréotypés (égocentriques, soignés, certains sont stupides et d’autres d’affreux calculateurs) qui crée une dynamique de groupe face à un opposant pauvre qui cherche à faire justice. Ils ont la force du nombre mais sont perdants la majeure partie du temps parce que leur rival est plus intelligent. « Eat the rich » soit « mangez les riches » : c’est comme cela que ça s’appelle. On a vu des variantes de la dite recette quelques fois. Glass Onion : Une histoire à couteaux tirés, la suite du premier film, en est l’exemple typique.

Une recette obsolète ?

Saltburn reprend cette formule et tente de varier quelques détails. Peut-être que c’est aussi cela qui réduit son impact, peut-être que le mélange ne prend pas. Les films « eat the rich » ne seront jamais réellement obsolètes puisque les inégalités perdureront toujours. Néanmoins, il est venu le temps de varier sans rentrer dans des clichés narratifs qui rendent la pente bien glissante.

L’idée du film est excellente mais son exécution semble passer à côté d’une véritable critique sociale. Peu de personnages ont réellement de substance dans cette famille privilégiée, et Oliver lui-même manque cruellement de nuance. On s’attarde sur des points spécifiques de la narration et le film a un sens de la provocation aigüe qui ne fait pas l’effet choc espéré à cause de ce manque de fondement. Les révélations tant attendues ont aussi ce problème, quand elles ne sont pas confrontées au manque de subtilité qui a tendance à les faire intervenir trop tôt.

Où voir Saltburn ?

Saltburn est disponible sur Prime Video depuis le 22 décembre. Il est donc à la disposition de ses abonnés.

On retiendra du film un magnifique cadre qui se perd dans son propos jusqu’à le rendre flou. Saltburn avait une idée intéressante qu’il ne parvient pas vraiment à exploiter. A retenir pour le duo d’acteurs qui a tant fait parler. Mais aussi pour tout le reste du casting qui fait un travail exceptionnel. 

La bande-annonce de Saltburn

Rédactrice cinéma, séries et jeux vidéo spécialisée dans la FGC.

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