De la fin des années 30 jusqu’à la défaite du Japon en 1945, environ 200 000 femmes furent capturées et forcées à la prostitution. Elles devinrent alors esclaves sexuelles à la disposition des troupes de soldats japonais. L’histoire se souvient d’elles comme les « femmes de réconfort ». Aujourd’hui, les rares survivantes tentent d’établir une véritable reconnaissance des atrocités qu’elles ont subies…
À l’origine des « femmes de réconfort » : le massacre de Nankin
En 1937, la guerre sino-japonaise fait rage. Celle-ci débuta avec l’invasion d’une partie de la Chine par l’armée japonaise. Dans ce contexte d’extrême violence se déroula la bataille de Nankin. Une bataille qui se solda par une victoire écrasante de l’armée japonaise. Malheureusement, aux atrocités de la guerre vinrent s’ajouter de monstrueux crimes sur les populations civiles. En effet, durant les six semaines qui suivirent la bataille, se déroula le « sac de Nankin ».
Des centaines de milliers de civils sont alors assassinés, ainsi que des soldats déjà vaincus. À cela s’ajouta le viol de plusieurs dizaines de milliers de femmes et d’enfants (de 20 000 à 80 000 dépendamment des sources…). Un événement qui marquera durablement le conflit, car très révélateur des exactions commises par l’armée japonaise sur le territoire chinois.
Bien évidemment, le tollé international ne se fit pas attendre face à ce déferlement de violences. Le quartier général impérial japonais dut alors prendre une décision pour apaiser les tensions d’un côté, tout en maintenant le « moral des troupes » intact. Décision fut alors prise de créer des « maisons de confort ». Pour parler plus crument : des bordels ! Sauf que pour créer des bordels militaires, il fallait recruter les femmes qui serviraient de réconfort pour ces soldats. Or, le « recrutement » ne fut pas des plus conventionnels…
«Au lieu de chercher à contrôler ou à punir les soldats responsables, le haut commandement entreprend de créer un immense système clandestin de prostitution militaire qui attirerait dans ses mailles des centaines de milliers de femmes venues de toute l’Asie»
Iris Chang- Historienne et journaliste
200 000 femmes kidnappées
Animé par une mentalité colonisatrice, le Japon de l’époque ne s’embarrassait pas des Droits de l’Homme lorsqu’il s’agissait des Chinois ou des Coréens. Alors pour les femmes, n’en parlons pas… Ainsi, de fausses campagnes de recrutement furent organisées, soi-disant pour embaucher des serveuses ou des ouvrières. Des campagnes de recrutement auxquelles s’ajoutèrent des enlèvements, notamment dans les villages vaincus et les territoires occupés, où l’on força les jeunes femmes à se regrouper, pour ensuite être embarquées.
On sait aujourd’hui, grâce aux travaux de l’historien Yoshiaki Yoshimi, que les autorités japonaises eurent un rôle prépondérant dans ces rafles et l’organisation de cet esclavage institutionnalisé. Bien évidemment, le rôle de l’armée fut essentiel. Mais l’on put également établir une participation non négligeable du Ministère du travail, celui de l’Intérieur ou encore celui des Finances. En bref, il ne s’agit pas là de l’action isolée d’une minorité militaire, mais bien d’un crime d’État.
On notera d’ailleurs qu’en 2007, des documents retrouvés dans les archives du Tribunal de Tokyo furent rendus publics. Des documents qui attestent que des femmes chinoises, indochinoises et indonésiennes furent enlevées par la Tokkeitai, à savoir la police militaire navale. Ces femmes furent par la suite expédiées dans des bordels (nommés pudiquement « maisons de réconfort »).
Au total, ce sont pas moins de 200 000 femmes qui seront kidnappées pour devenir des « femmes de réconfort ». Des chiffres sous-estimés selon beaucoup d’historiens chinois et coréens. Ainsi, La Korean Central News Agency évoque plutôt le chiffre de 200 000 rien que pour les coréennes. Quant à la Chine, certains historiens affirment qu’au total, ces femmes étaient plutôt entre 360 000 et 410 000.
Quelles conditions de vie ?
Nul besoin d’être un historien diplômé pour déduire que les conditions de vie de ces femmes furent absolument déplorables. Mais ce n’est qu’après la guerre que l’on prit pleinement conscience de l’ampleur du phénomène. En effet, au sortir de la guerre, les témoignages affluèrent de la part des « femmes réconfort ».
On évoqua alors des conditions assimilables à de l’esclavage. Les femmes sont marquées par les violences physiques, sexuelles et psychologiques. Malgré certaines « règles » imposées par le gouvernement japonais, la sécurité de ces femmes était la dernière des priorités. Seuls comptaient la sécurité, le plaisir et le confort des soldats venant dans ces bordels.
«En semaine, nous servions quinze soldats japonais en moyenne par jour. Le samedi, ils commençaient à s’aligner à partir de midi. Et cela durait jusqu’à 20 heures. Le dimanche, c’était de 8 heures à 17 heures.»
Kim Bok-dong – Ancienne femme de réconfort et militante pour la reconnaissance des victimes
Selon d’autres témoignages, certaines des victimes enlevées étaient prépubères. Elles furent non-seulement forcées à travailler sans salaire, mais leurs vêtements et nourritures devaient parfois être fournis par leurs propres parents. On notera enfin que nombre de ces « femmes de réconfort » furent battues, torturées voire tuées par les soldats japonais (ceux de passage ou encore ceux chargés de les garder).
Une reconnaissance très difficile pour les « femmes de réconfort »
Il faudra attendre 1971, soit presque trois décennies plus tard, pour que le premier témoignage public se fasse entendre à propos de cet esclavage sexuel. Cela se fit par l’intermédiaire d’un ouvrage… Un livre racontant l’expérience traumatique d’une jeune femme vendue par son père à une maison de confort dédiée à l’armée impériale japonaise. Toutefois, cette œuvre sort dans l’indifférence générale.
Il faudra attendre encore jusqu’en 1991 pour que le scandale éclate. C’est en effet à cette période que Kim Hak Sun, victime de cet esclavage, décide de porter plainte contre le Japon. Une procédure judiciaire est alors ouverte, ce qui fait émerger l’histoire à un niveau international.
L’année suivante, l’historien Yoshiaki Yoshimi diffusera des documents jusque-là entreposés à la bibliothèque du National Institute for Defense studies de Tokyo. Des documents établissant clairement et sans équivoque les actions menées par l’armée et l’État dans cette affaire. En 2008, c’est l’ONU qui prendra part à ce conflit juridique et social, en déclarant :
« Le Japon devrait accepter sa responsabilité légale et présenter des excuses sans réserve pour le système des “femmes de réconfort”, d’une manière qui soit acceptable pour la majorité des victimes. À ce sujet, le pays devrait restaurer la dignité des victimes, poursuivre les responsables qui sont encore en vie […] et sanctionner toute tentative visant à diffamer les victimes ou nier les événements en cause. »
Comité des droits de l’homme des Nations unies.
Encore aujourd’hui malheureusement, les tensions sont vives et la reconnaissance ardue. Faire mention de cette période sombre du Japon, c’est prendre le risque de créer un conflit diplomatique. Ainsi, l’installation en 2016 d’une statue à Busan rendant hommage à ces victimes poussa le Japon à rappeler son consul et son ambassadeur qui étaient installés en Corée. De surcroit, la ville de San Francisco installa en 2017 une statue rendant hommage à ces victimes. Cela mit fin à son jumelage avec la ville d’Osaka.
En 2015 toutefois, le Japon et la Corée du Sud ouvrirent des négociations pour dédommager les dernières survivantes de cet esclavage. Le Japon avoua finalement et décida le 18 décembre 2015 de dédommager les dernières survivantes coréennes. 1 milliard de yens (7,5 millions d’euros) furent ainsi versés aux quarante-six « femmes de réconfort » encore en vie à ce moment là. Mais cet acte ne signa pas la fin de l’histoire ! En effet, début 2021, la Corée condamna une fois encore le Japon après que douze femmes ont porté plainte, demandant réparation. Une décision qui n’a pas manqué de raviver des tensions entre les deux pays… Egalement, dans une décision rendue le 23 novembre 2023, les juges coréens ont ordonné au gouvernement nippon de verser des compensations financières aux victimes du drame.
Plus de 70 ans ont passé, mais la plaie est toujours ouverte pour les « femmes de réconfort ». Cet épisode constitue une tache indélébile dans l’Histoire du Japon. Une tache que les autorités actuelles semblent s’efforcer, encore aujourd’hui, de cacher sous le tapis. Reste à savoir quelle reconnaissance sera accordée à l’avenir pour ces nombreuses victimes, encore peu écoutées…
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Sources :
- Femmes de réconfort – Wikipédia
- L’histoire.fr : Les femmes de réconfort : un esclavage d’État ?
- Massacre de Nankin – Wikipédia
- l’express : « Femmes de réconfort »: l’ONU demande au Japon d’en faire plus
- franceculture : Le Japon a-t-il payé son dû pour les « femmes de réconfort » ?
- franceculture : « Femmes de réconfort » : du discours hygiéniste de l’esclavage sexuel à la condamnation du gouvernement japonais
- liberation.fr : Femmes de réconfort : «Nous « servions » quinze soldats japonais par jour»
- lemonde.fr : L’hommage aux « femmes de réconfort » hérisse les nationalistes japonais
- amnesty.org : L’ONU demande au Japon de rétablir la dignité des «femmes de réconfort» de la Seconde Guerre mondiale
- amnesty.org : Corée du Sud. La décision décevante sur le Japon ne rend pas justice aux «femmes de réconfort»
4 Replies to “Les « femmes de réconfort » : ces esclaves sexuelles qui embarrassent le Japon…”