Après deux longs métrages, Les Faux Tatouages (2017) et Nadia, Butterfly (2020), le cinéaste canadien Pascal Plante est de retour ce mercredi 17 janvier 2024 avec un thriller glaçant : Les Chambres rouges. Un polar judiciaire qui s’intéresse aux snuff-movies et qui met en scène le procès d’un meurtrier aux techniques terrifiantes. Mais surtout le quotidien d’une femme dont l’obsession grandissante pour ce procès inquiète énormément. Plus qu’un film judiciaire, c’est un véritable film traumatique que nous propose Pascal Plante, dans une approche réaliste terriblement horrifique…
Les Chambres rouges : éprouvant
Avec Les Chambres rouges, Pascal Plante se penche sur un sujet qui a toujours passionné le 7ème art : les snuff movies. Que ce soit dans Huit Millimètres, ou le sordide A Serbian Film, c’est une thématique récurrente dans l’imaginaire audiovisuel. Le cinéaste canadien s’empare du mythe pour aborder sa variante moderne : les red rooms. Ces chambres rouges qui alimentent le dark web… Des plateformes de vidéos de torture réalistes filmées en snuff movies, qui aliment la curiosité maladive de détraqués à la recherche de sensations fortes.
Une thématique qui a même été abordée par un certain Eli Roth dans sa saga Hostel, torture porn destiné au grand public. Mais Pascal Plante ne tombe pas dans le piège du démonstratif. Avec une maîtrise calme, presque chirurgicale, le cinéaste sait parfaitement dans quelle direction il emmène ses spectateurs qui sont, au départ, totalement perdus. Après une introduction plastiquement parfaite sous forme de plans séquences froids, structurés, planifiés, qui n’ont rien à envier à David Fincher, Les Chambres rouges débute comme un banal film de procès qui sert à brouiller les pistes.
De même, notre héroïne n’est clairement pas identifiée. Est-elle un proche de l’accusé ? Des victimes ? Quel rôle joue-t-elle dans cette affaire ? Au départ, le public est confus, et parvient difficilement à comprendre les intentions de son personnage principal. Mais très rapidement, à travers un crescendo glaçant, le cinéaste va délaisser les rouages de la justice. Il quitte le palais pour s’intéresser aux retombées sur la conscience populaire, sur le reste de la population.
Le message dans l’invisible
Ce qui intéresse le réalisateur, ce n’est pas le tueur, dont la culpabilité n’est pratiquement jamais remise en cause. D’ailleurs, il devient très rapidement une menace de l’ombre, une figure presque floue, dont le destin nous intéresse finalement peu (ce qui sert également le propos du récit). Ce qui est intrinsèquement lié au récit, c’est l’évolution de la protagoniste : Kelly-Anne, campée par la performance hallucinante de Juliette Gariepy.
Les Chambres rouges choisit de ne jamais montrer les vidéos de meurtres. Comme s’il voulait appâter le public, le teaser éternellement. Pascal Plante fait le choix de garder les atrocités en hors champ. Une pirouette intelligente qui sert totalement le propos de son œuvre. Et qui place les spectateurs presque dans la même situation que la protagoniste. L’envie, ou non, de voir les images tant teasées. Et finalement, plus le film avance, moins on a envie de voir ces fameuses images. Ce qui est plutôt bon signe quant à notre état émotionnel…
Le voyeurisme d’une société pervertie
En fait, le sujet principal de Les Chambres rouges, ce n’est pas le procès, encore moins les meurtres. Mais ce sont les conséquences de cette affaire sur le public, sur la société, sur les spectateurs. Pascal Plante veut souligner la fascination d’une société pervertie par l’image pour des monstres tel que le tueur de son film. Comment un fait divers trop médiatisé peut avoir des conséquences sur l’auditoire ? Comment on évolue dans une société, et surtout face à un monde du divertissement, qui fait son beurre sur le dos de ces démons qui fascinent le public ? Il suffit de voir le nombre de docufictions consacrées à des tueurs en série sur Netflix pour s’en convaincre. Jeffrey Dahmer en tête... Une thématique déjà abordée par Charlie Brooker dans la dernière saison de Black Mirror et l’épisode Loch Henry qui aborde globalement les mêmes thématiques, avec moins de virtuosité.
Effectivement, Pascal Plante maîtrise bien mieux son sujet que ses compères de Netflix. Les Chambres rouges aborde ainsi le voyeurisme pervers d’une société à la recherche de l’image choc, du fait divers sanglant, de l’histoire sordide. Le capitalisme mal placé d’une société qui vend des images en permanence sur les réseaux sociaux, sur des sites comme Only Fans, ou même directement à la télévision dans des débats stériles type TPMP, ou des émissions malsaines comme Faites entrer l’accusé. Les médias en prennent aussi pour leur grade dans cette volonté de tout raconter et de mettre en lumière des individus odieux qui ne mériteraient aucune médiatisation…
L’horreur du réel
Les Chambres rouges est porté par un crescendo terrifiant, glaçant, perturbant, qui ne laissera pas ses spectateurs indemnes. Via une protagoniste subtilement dérangée, Pascal Plante raconte comment le Mal s’immisce dans l’esprit du public. Mais aussi de l’assistance, du peuple, tant ces images sont normalisées, ces histoires récurrentes. Il aborde le danger d’une sur-exploitation de ces faits divers sur la volonté de vendre l’image comme une denrée consommable. Et l’impact que tout ceci peut avoir sur nous.
Par le biais de cette héroïne obsessionnelle et clairement flippante, Les Chambres rouges est un véritable film d’horreur dont la conclusion est pétrifiante. Tout en pointant du doigt, évidemment, l’atrocité de ces tueurs psychopathes, il rappelle également que le public a une part de responsabilité…