L’affaire Farewell : une histoire d’espionnage à la française

Qui aurait pu croire que le seul style de vie à la française allait pouvoir retourner un espion soviétique ? Retour sur l’affaire Farewell, affaire de contre-espionnage parfaitement ficelée par les services secrets français.

Contexte

Début des années 1980 : le KGB fait depuis des années un immense travail de sape. En pleine guerre froide, les Soviétiques pillent secrets d’État et secrets industriels à la pelle. En France, la gauche arrive au pouvoir pour la première fois depuis le début de la Ve République en 1981. Le gouvernement est formé et compte quelques communistes. L’opinion publique de l’Ouest se pose alors des questions : la France va-t-elle changer de camp ?

Vladimir Vetrov, espion à Paris

En 1965, le KGB envoie en France Vladimir Vetrov. Officiellement, c’est un diplomate rattaché au service du commerce de l’ambassade de Paris. Officieusement, bien sûr, c’est un espion. La DST, service de contre-espionnage français, suit le Soviet à la trace. Des rapports de surveillance consignent ses actions :

« Observé le samedi 16 octobre 1965 à 16 h 50, square des Ecrivains-Combattants, tenant un enfant de 3 à 4 ans à la mainIl parle avec le nommé F. A., marchant côte à côte, précédé d’une femme qui attend. »

Vetrov contacte des fabricants de matériel technologique de pointe. Il se rapproche d’ingénieurs et de cadres chez Beckman Instrument et chez Thomson. Son but est de récupérer des informations sur les technologies interdites à l’export vers l’URSS. Mais l’espion découvre aussi la vie à l’Ouest : les marques, les boutiques, les cabarets, la liberté. En quelques mois, il tombe amoureux de la France.

Son contact chez Thomson, Jacques Prévost, est lui-même rattaché aux services secrets français. Ce dernier va rendre un grand service au Russe à la fin des années 60. Alors que Vetrov conduit saoul, il emboutit sa voiture de fonction prêtée par l’ambassade. Si ses supérieurs l’apprennent, il pourrait avoir de gros ennuis. Son « ami » Prévost lui propose alors de faire réparer la voiture rapidement ; Vetrov ne paie rien et récupère sa Peugeot 404 comme neuve. Il sent cependant qu’il a une dette envers le cadre de chez Thomson.

Vetrov, taupe au service de la France

En 1970, Vladimir Vetrov est rapatrié en URSS. Après un court déploiement au Canada et des disputes avec ses supérieurs, il se sent frustré. 10 ans après son retour, en 1980, il tente de reprendre contact avec Prévost par courrier. Aucune réponse. Un an plus tard, il lui fait parvenir une nouvelle missive, mentionnant une question « de vie ou de mort ». Sous l’égide de la DST, le Français renoue le contact. Prévost se charge de trouver un interlocuteur à son ancien comparse, rôle finalement confié au chef de l’antenne moscovite de Thomson, Xavier Ameil.

Pensant que Vetrov souhaite retourner en France, Ameil lui offre d’entrer sur le territoire sans passer par les frontières classiques. Mais le citoyen russe, que la DST nomme à présent Farewell, propose mieux : il veut rester au pays pour donner des informations aux Français. Lassé de la dictature qui broie les humains en même temps que leurs libertés, il veut donner un sens à sa vie. En six entretiens avec Xavier Ameil, il fournit des centaines de noms d’espions en activité et retranscrit les listes d’objectifs du KGB. La France recueille ainsi plus de renseignements tangibles avec un seul agent en quelques mois que depuis le début de la guerre froide. Farewell fournit même le bilan d’activité des services secrets soviétiques, listant les moyens mis en œuvre et les missions réussies en plus des objectifs.

Du côté du KGB, on ne se doute de rien. Mais en 1982, le conte de fée va prendre fin.

Décès de Farewell, épilogue

En février 82, l’agent double tente de tuer sa maîtresse Ludmilla en pleine rue. C’est cependant un milicien qui mourra à sa place, en s’étant interposé entre les deux individus. Vetrov est arrêté et mis en camp pour 12 ans. L’affaire aurait pu s’arrêter là et Farewell aurait pu purger sa peine en Sibérie pour un simple crime. Mais sans que l’on sache précisément comment, le KGB a finalement découvert son activité, considérée comme de la haute trahison.

Après avoir révélé le nom et l’adresse de centaines d’agents et transmis plus de 3 000 documents aux autorités françaises, Farewell est abattu en 1984 dans son pays d’origine. La France expulsera grâce à lui 47 faux diplomates, mais vrais espions. En travaillant main dans la main avec la CIA et en restant fidèle au bloc de l’ouest, la DST aura également un rôle influent dans la diplomatie secrète jusqu’à la fin de la guerre froide. L’affaire Farewell n’est toutefois pas définitivement close, car l’accès à tous les documents n’a pas encore été autorisé…

 

Sources :

2 Replies to “L’affaire Farewell : une histoire d’espionnage à la française

  1. A Farewell coincidence; I lived at 70 ave Victor Hugo PARIS XVI in 1964 and visited the Rockhill Apts in 1970 in Montreal (owned by a friend of the family). No intel connection, just « large numbers » in play. Read the book, saw the movie and the documentary.

    Vetrov lived only a few kilometers away and probably took the same busses on rue de la Reine en route to SHAPE. In Montreal my father was a friend of a very rich woman who owned the entire Rockhill apts and I could have dropped in for tea or something. I wish I could say it was more than a coincidence but its just as well that he was not blown by local services, just spotted and made to feel uncomfortable.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *