La grande révolution culturelle prolétarienne de Chine

Anaïs Girard
Anaïs Girard
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Le 27 janvier 1968, Mao Zedong décide de mettre fin au désordre meurtrier causé par la révolution culturelle, qu’il avait lui-même engagée. Retour sur une décennie éprouvante qui a marqué au fer rouge toute une génération. 

Rouge. Dans la culture chinoise, elle demeure la plus répandue des couleurs. Le rouge est en effet associé à de grands symboles et à de grands espoirs : bonheur, chance, succès, feu. Mais à l’heure de la révolution culturelle, c’est un autre brasier aux nuances pourpres qui s’est allumé. Celui des cendres, du sang et de tous les extrêmes. 

Une jeunesse sacrifiée par la révolution culturelle

« Que le monde médite sur cette leçon de la révolution culturelle : pour assurer la paix et l’avenir du monde, la priorité absolue a un nom, l’éducation », atteste la Chinoise Zhu Xiao-Mei dans son livre, La Rivière et son secret. Pendant dix ans, les jeunes Chinois ont en effet été privés d’éducation : plus de devoirs, plus de livres, plus d’enseignements autres que ceux tirés à travers les pages du Petit Livre rouge, une compilation de citations écrites par Mao. 

Place Tiananmen, le 15 septembre 1966, à l'occasion d'un rassemblement de masse du président Mao avec les Gardes rouges, les partisans de son idéologie - Cultea
Place Tiananmen, le 15 septembre 1966, à l’occasion d’un rassemblement de masse du président Mao avec les Gardes rouges, les partisans de son idéologie | © Wikimedia Commons

Car c’est par Mao que la révolution culturelle (et son malheur) arrive, le 18 août 1966. Fondateur du régime communiste chinois et président du Parti (le PCC), il veut alors renverser toute la hiérarchie du pays, à commencer par le président de la République, Liu Shaoqi. Pour parvenir à ses fins, il motive ainsi les étudiants de toute condition sociale à se mobiliser. Et, au cœur d’une société largement contrôlée, bridée et réprimée, certains voient en ce soulèvement une véritable libération.

Mao Zedong, l'un des fondateurs du Parti communiste chinois, puis dirigeant de la Chine populaire de 1949 à 1976 - Cultea
Mao Zedong, l’un des fondateurs du Parti communiste chinois, puis dirigeant de la Chine populaire de 1949 à 1976. Il était surnommé « le Grand Timonier » | © Wikimedia Commons

Or, cette délivrance de façade n’est qu’un trompe-l’œil destiné à masquer la dictature de Mao. « Le président Mao nous avait décrit un paradis, puis il s’était servi de notre ignorance pour nous encourager à scier les barreaux de l’échelle qui menait à ce paradis », décrit Hua Linshan dans Les Années rouges. Le mal est fait. Les jeunes s’échauffent, s’emportent et ratissent le pays. Culte de la personnalité, grandes réunions et forte propagande sont au cœur de leurs actions combinées. On les appelle désormais les Gardes rouges.   

Les Gardes rouges : la rébellion écarlate

« À la montée du bus, les Gardes rouges s’interposent et interrogent : où, dans le Petit Livre rouge, se trouve tel passage ? Tel autre ? Si on ne peut répondre, l’accès au bus est refusé », raconte Zhu Xiao-Mei dans La Rivière et son secret. La jeunesse est ainsi manipulée et encouragée à défendre la cause maoïste, coûte que coûte. Pendant une décennie, elle se met à patrouiller dans les rues, hostile à toute forme d’opposition. 

Plusieurs femmes Gardes rouges pendant la révolution culturelle chinoise - Cultea
Plusieurs femmes Gardes rouges pendant la révolution culturelle chinoise | © Universal History Archive / Getty Image

Il est difficile de connaître le nombre exact de Gardes rouges. Tour à tour bourreaux et victimes, les jeunes sont finalement dispersés à partir du 27 janvier 1968 par Mao lui-même. Celui-ci décide en effet de se retourner contre ses propres sympathisants pour mettre fin à la guerre civile. On compterait alors près de 17 millions de jeunes instruits déportés à la campagne, dont 4 670 000 anciens Gardes rouges. Mao veut qu’ils soient « rééduqués ». Livrés à leur sort, les jeunes se retrouvent déclassés. Les Gardes rouges disparaissent.   

Un bilan pourpre

 Entre les saccages du patrimoine chinois et les lynchages systématiques – les artistes, les professeurs et les cadres font en effet partie des victimes privilégiées -, les Gardes rouges sont les acteurs principaux d’un chaos ravageur. Les violences sont nombreuses et traumatisantes, à l’image du massacre de Guangxi, l’un des plus graves de cette période. On s’adonne alors à une barbarie sans limite, voire à des actes de cannibalisme, comme l’attestent certains témoignages

« Maître Huang m’avait dit qu’il avait beaucoup souffert, mais comment imaginer que, pendant la révolution culturelle, des misérables se soient montrés assez cruels pour couper la main d’un homme uniquement parce qu’il était un artiste traditionnel de grande valeur ? » Fabienne Verdier, artiste française formée en Chine, Passagère du Silence

On ne sait pas exactement combien de personnes sont mortes pendant la révolution culturelle. D’après le sinologue et historien Lucien Bianco, « les chiffres varient de 750 000 à 1,5 million de personnes décédées de morts violentes. » Dans une interview pour Télérama, il révèle que certains chiffres parlent d’au moins 4 millions de victimes. Or, la plaie est douloureuse. Chez les nouvelles générations, la révolution culturelle est encore, pour la majorité, un sujet tabou.

Cimetière de la révolution culturelle dans la ville de Chongqing, où plus de 1 700 personnes ont été tuées - Cultea
Cimetière de la révolution culturelle dans la ville de Chongqing, où plus de 1 700 personnes ont été tuées  | © Wikimedia Commons

La répression des Gardes rouges a bel et bien été amorcée le 27 janvier 1968, mais ce n’est qu’en 1976 que la doctrine de la révolution culturelle commence à prendre fin. Si elle a brièvement annihilé les esprits, elle n’a pas entaché l’énergie de toute une population, dont la force réside dans la contemplation et l’éducation. Car, comme l’écrivaine Fabienne Verdier le dit si bien : « Ce sont les savants et les penseurs qui changent le monde. »     

 

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