« Captain America » : figure propagandiste, ou héros anti establishment ?

"Captain America" : figure propagandiste, ou héros anti establishment ?

Captain America est aujourd’hui considéré comme un véritable symbole de l’Amérique, de ses valeurs et de sa puissance. Un personnage devenu iconique, au point d’en être devenu une caricature de lui-même. Pourtant, Captain America est un personnage bien plus complexe qu’un simple outil de propagande. En réalité, loin de l’image du chouchou de l’Amérique, ce super-héros est bien plus iconoclaste que ce que le grand public peut en percevoir. Retour sur cette figure qui a traversé les décennies, incarnant tantôt l’idéal patriotique, tantôt la critique de l’establishment. 

Captain America : un personnage profondément politique… Mais pas propagandiste ? 

Captain America apparaît en mars 1941, dans Captain America Comics #1, soit neuf mois avant Pearl Harbor, qui n’aura lieu qu’en décembre 1941. À cette époque, les États-Unis ne sont pas encore en guerre contre l’Allemagne. Pire encore, l’opinion publique est majoritairement isolationniste et une partie ne cache pas ses accointances avec l’idéologie nazie (une chose qui n’a pas vraiment changé en 2025 d’ailleurs…). Des mouvements comme America First (soutenus par Charles Lindbergh) militent contre toute implication dans le conflit européen.

Dans ce contexte, publier une BD avec un héros frappant Hitler en couverture n’est donc pas un choix marketing. Il s’agit d’une prise de position radicale, voire controversée. Pour comprendre cet engagement, il faut savoir que Joe Simon et Jack Kirby, les créateurs, sont deux fils d’immigrés juifs, profondément choqués par la montée du nazisme en Europe. Le personnage de Steve Rogers, alias Captain America est pour eux manière de militer contre le fascisme, bien avant que ce positionnement idéologique ne soit consensuel.

D’ailleurs, la publication de Captain America a valu à l’éditeur Timely d’être la cible de nombreuses menaces de la part du German American Bund, une organisation nazie américaine. A tel point qu’une protection policière dut être déployée, puisque certains membres de l’organisation commençaient à roder autour des locaux de l’éditeur.

En bref, à cette époque, on peut donc difficilement qualifier le Captain de « héros de propagande », tant celui-ci va à l’encontre de la politique de son époque. C’est un héros engagé, certes, mais à mille lieues de l’opinion publique majoritaire. Les choses changent cependant du tout au tout avec l’entrée en guerre des Etats-Unis, suite à l’attaque de Pearl Harbor. Le « porte-bannière étoilée » devient le symbole que l’on connaît, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après cela, il connaîtra un déclin temporaire…

Icône anticommuniste ? Un ratage éditorial 

La période « anticommuniste » de Captain America, assez méconnue du grand public. Et pour cause, c’est une parenthèse idéologique tendue et très inconfortable dans l’histoire du personnage. Il s’agissait alors d’une tentative maladroite de réadapter Steve Rogers à la guerre froide, au début des années 1950. Un virage idéologique bien loin du personnage que l’on connaissait alors. En fait, on peut même le considérer comme complètement « hors sujet ».

Cette nouvelle version du héros est réadaptée pour servir l’idéologie de l’époque, à savoir la lutte contre les “rouges”, dans un style beaucoup plus binaire, brut et réactionnaire. Steve Rogers affronte alors des traîtres communistes, infiltrés dans le gouvernement ou les médias. Plus agressif, moins nuancé, il devient un justicier antisoviétiques paranoïaque, véritable caricature de l’Amérique maccarthyste. 

Mais ce virage idéologique est massivement rejeté par le public, qui préfère un Captain plus humaniste. Finalement, le run s’arrête rapidement. Seuls trois numéros sont publiés, de 1953 à 1954, avant que le personnage ne retombe dans l’oubli, jusqu’à sa résurrection par Stan Lee en 1964. D’ailleurs, lorsque Stan Lee et Jack Kirby ramènent Steve Rogers, ils prennent une décision narrative drastique pour gérer cette période problématique : en fait, le vrai Captain America était congelé depuis la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, celui qui combattait les communistes dans les années 50 n’était pas Steve Rogers… Oui, c’est une réécriture rétroactive pour se débarrasser d’une période gênante.

Cette période courte et ridicule est la preuve d’un fait assez étonnant : Captain America ne marche pas forcément quand il est une figure propagandiste. Au contraire, l’avenir nous démontrera qu’il est bien plus pertinent en tant que critique de l’impérialisme américain et de l’establishment.

Captain America contre l’establishment américain 

Captain America est loin d’être resté une figure figée dans une vision idéalisée de l’Amérique. Plus étonnant encore : dès les années 70, il commence à incarner un contre-pouvoir au sein des comics Marvel, comme métaphore des grandes questions politiques de son époque.

Cela est particulièrement marquant dans l’arc Secret Empire (1974), très inspiré du scandale du Watergate. Dans ce run, il découvre qu’un haut responsable du gouvernement (implicitement Richard Nixon) est à la tête d’un complot autoritaire, prêt à faire plonger le pays dans le fascisme. Dégoûté, Steve Rogers rend son costume et devient Nomad, « l’homme sans patrie ». Ce moment marque une bascule : Cap n’est plus le chien de garde d’un État, mais la voix de la nation morale, celle qui s’insurge contre la trahison des idéaux démocratiques.  

Cette posture critique s’intensifie dans l’arc Civil War (2006–2007), dans lequel Steve s’oppose au Superhero Registration Act, une loi qui impose à tous les héros de révéler leur identité au gouvernement. Face à Iron Man, qui soutient cette mesure au nom de la sécurité, Captain America choisit la désobéissance civile. Il devient alors un fugitif, en conflit ouvert avec les institutions. On retrouve ici une analogie très prononcée avec les débats post 11 septembre autour du Patriot Act. On y critique notamment la surveillance de masse et le choix de la liberté, au détriment d’une sécurité illusoire. Cap incarne ici le citoyen éclairé qui refuse de sacrifier la liberté au nom de la peur.

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux »

Citation apocryphe attribuée à Benjamin Franklin 

La figure de Captain America a aussi été utilisée plus récemment pour dénoncer les dérives de l’idéologie nationaliste. C’est le cœur de l’arc Two Americas (2010), dans lequel Captain affronte William Burnside, un ancien Captain America des années 50 devenu raciste et fascisant. Cette confrontation directe entre deux Captain, est en réalité une confrontation entre deux visions du patriotisme : l’une inclusive, l’autre extrémiste. Un message qui raisonne d’autant plus fort dans l’Amérique de Donald Trump, qui sombre progressivement dans le fascisme et où les symboles de propagande sont brandis à outrance.

Un Captain Afro-Américain 

Courant des années 2010, un passage de flambeau emblématique à lieu. Cela se produit aussi bien dans les Comics Marvel, que dans le Marvel Cinematic Universe. En effet, Steve Rogers passe le flambeau à son fidèle coéquipier, Sam Wilson, alias Falcon (le Faucon), pour devenir le nouveau Captain America. Une décision lourde de symbolique, puisque Sam Wilson est Afro-Américain.

Ce choix n’est pas anodin : Sam n’a pas les super-pouvoirs de Steve, mais il a l’expérience, la droiture morale et un lien fort avec le peuple. Ce Cap est très vite propulsé dans des affrontements beaucoup plus politiques que ceux de son prédécesseur. Il est critiqué, marginalisé, attaqué par les médias et désavoué par une partie du gouvernement. Il se frotte à des questions de racisme, de migration, de brutalité policière… Bref, il devient le Cap de l’Amérique divisée. La symbolique est d’autant plus lourde, quand on sait que dans la réalité, beaucoup de spectateurs n’ont pas apprécié ce changement, pour des raisons purement racistes.

Ce Captain revêt alors une symbolique très lourde et nécessaire. Être un homme noir portant les couleurs d’un pays fondé sur l’esclavage et la ségrégation, c’est faire entrer dans le débat public des questions que l’Amérique a longtemps préféré reléguer à l’ombre. En devenant Captain America, Sam Wilson ne perpétue pas l’idéal américain : il l’interroge et l’oblige à se regarder en face.

« Ils ne laisseront jamais un Noir devenir Captain America. Et même s’ils le faisaient… aucun Noir qui se respecte ne voudrait le devenir. »

Isaiah Bradley dans la série The Falcon and the Winter Soldier 

Cette phrase résume tout. Elle dit le rejet. Elle dit le trauma. Elle dit l’Amérique qui accepte les sacrifices des Afro-Américains pour la liberté… Sans jamais leur accorder cette liberté en retour. Et lorsque Sam Wilson finit par accepter le rôle du Captain, ce n’est pas pour valider l’Amérique telle qu’elle est, mais pour incarner celle qu’elle pourrait devenir.

Captain America n’est donc pas qu’un simple porte-drapeau. Il est le gardien de valeurs universelles, et non le reflet de l’idéologie dominante du moment. Et il y a fort à parier que les prochaines années voient des publications particulièrement militantes chez Marvel, en réaction à la politique en place et aux conséquences qu’elles auront. Reste à savoir si la censure s’abattra dans les rédactions de comics, ou si Marvel préférera s’auto-censurer pour éviter plus d’ennuis… 

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