C’est au cœur du 13ème Champs-Elysées Film Festival que nous avons pu rencontrer la réalisatrice Eleonore Saintagnan, qui vient de sortir Camping du Lac. Une rencontre enrichissante, pleine d’humanité et d’anecdotes intéressantes.
ELEONORE SAINTAGNAN : Camping du Lac est un film qui raconte comment, un tout petit peu avant l’été 2022, je partais sur un coup de tête voir la mer. Et je suis tombée en panne en plein milieu de la Bretagne. Et pendant les réparations de ma voiture, je me suis faite héberger dans un terrain de camping avec des gens qui vivent là-bas à l’année. Finalement, je suis restée tout l’été sur place.
Et avec les gens du terrain, on a tous ensemble créé une histoire de monstre lacustre avec les moyens du bord ; c’est-à-dire les caravanes, le Son et Lumières qui a lieu tous les ans dans l’abbaye en dessous du camping à côté du lac… Avec les Festnoz, le feu d’artifice du 14 juillet, les beaux paysages du centre de la Bretagne…
En tout cas, la fiction tourne autour d’une créature qui serait soit un monstre, soit un poisson miraculeux, c’est-à-dire que chacun des personnages du film a sa théorie sur cette bête. Pour certains, c’est juste une histoire qu’on raconte aux enfants pour leur faire peur, pour d’autres c’est un dieu, pour d’autres encore une sorte de métaphore de la nature. Pour certains, cette créature fait référence au mythe local du poisson de saint Corentin, un saint qui vivait avec un poisson miraculeux dont il mangeait un morceau de chair chaque jour et qui se régénérait automatiquement. Un poisson increvable, quoi.
Je me suis demandée si ce poisson qui vivait à l’époque de saint Corentin, donc avant même la chrétienté puisque c’est un mythe païen qui a été christianisé, si ce poisson était immortel et qu’il grandissait au fur et à mesure du temps, il devait être vraiment grand maintenant.
Quels sont les thèmes du film ?
ES : Bah, c’est un conte écologique. Ca parle aussi beaucoup de comment on peut se recréer une famille quand on n’en a pas ou quand on n’en a plus au fur et à mesure des rencontres que le hasard nous offre. Parce que dans ce terrain de camping, ce sont beaucoup de gens qui sont coupés de la société pour des raisons diverses, et qui finalement se sont recréé un système familial avec de l’entraide et du troc.
Par exemple, Joanne fabrique de la lessive à partir du lierre qu’elle cueille sur les arbres. Et puis il y a Anna qui est coiffeuse, qui a un enfant qui est gardé par Alain et Joanne quand elle travaille… Y’a un tatoueur aussi qui s’est installé dans une des caravanes, qui tatoue tout le monde et fait des petites réparations chez les uns comme chez les autres. Et puis voilà, je trouvais très beau ce système d’entraide où chacun avec ses luttes et ses préoccupations personnelles se rend compte qu’on a tous un but commun qui est de préserver l’environnement dans lequel on vit.
Pouvez-vous nous parler de la frontière parfois fine entre fiction et réalité de Camping du Lac ?
ES : J’ai créé une histoire de fiction avec les personnes que j’ai rencontrées et les éléments que j’avais sous la main. Mais ce n’est pas un documentaire sur ces éléments. Mais c’est vrai que la fiction est presque un prétexte pour filmer ces gens et ces paysages. Et ce que je voudrais qu’on voie dans le film, ce sont des gens qui font un effort commun pour raconter une histoire. C’est une histoire de poisson, mais j’aurais pu faire la même chose avec, je sais pas… Un singe ou n’importe quoi.
J’ai proposé à tous les gens qui vivaient dans le camping et que j’avais rencontrés autour du camping aussi en leur disant : « Je sais bien que vous êtes pas des professionnels du cinéma mais est-ce que déjà vous avez envie de participer, et qu’est-ce que vous pouvez donner ? » Et certains ont dit qu’ils pouvaient donner leur image (parler, être filmé), d’autres ont bien voulu qu’on utilise leur maison, mais n’ont pas voulu apparaître dans le film. Y’a des gens qui m’ont raconté leur histoire, qui m’ont dit que je pouvais en parler, puis parler de leurs luttes politiques…
Donc j’ai commencé vraiment par un travail de documentaire, d’immersion… Et après moi c’est un peu comme eux, je prends ce qui peut servir cette histoire que je voulais raconter qui est quand même inspirée d’une nouvelle de Russell Banks qui s’appelle The Fish qui date de 1974 ; et qui m’a servi de trame en fait pour construire cette histoire de poisson tout en filmant la vie de ces gens… La nouvelle se passe au Vietnam en 1974 et mon film se passe en Bretagne aujourd’hui.
Y’a eu aussi cette canicule. Moi en faisant un film en Bretagne, je pensais faire un film de pluie, mais en fait il a fait presque 42 degrés certains jours du tournage et j’ai intégré cette canicule dans l’histoire. Je voulais raconter que la cupidité des gens faisait qu’ils prenaient l’eau du lac pour la revendre en tant qu’eau miraculeuse jusqu’à complètement le vider, qu’il y avait même des camions-citernes qui venaient pomper l’eau du lac…
Et finalement la sécheresse a fait que l’eau du lac s’est vidée par évaporation… Donc j’ai dû en plus intégrer cette canicule. Mais le réchauffement climatique est lié au capitalisme, donc c’est pas complètement incohérent en fait.
En tant que spectateur, on ressent vraiment l’aspect fable écologique.
ES : Tout à fait. Et c’était déjà présent dans le livre de Russell Banks en 1974. Moi je suis très inspirée par l’écriture beatnik américaine. Et en fait, c’étaient des écrivains qui étaient très préoccupés par le réchauffement climatique. A l’époque ça s’appelait pas comme ça, on appelait ça je sais pas… L’écologie. Mais c’était considéré comme un truc secondaire, un truc de hippie alors qu’aujourd’hui on est en train de se rendre compte que c’est pas une fable et que c’est un problème qui existe réellement et qui est beaucoup plus urgent et présent qu’on ne le croyait.
Comment liez-vous votre imaginaire d’artiste plasticienne et de réalisatrice ?
ES : Bah c’est-à-dire que j’ai fait un film qui aurait pu être fait avec des centaines et des milliers d’euros et je l’ai fait avec 250 000 balles, ce qui est rien du tout. Du coup, je me suis dit autant en jouer en fait de ce manque d’argent et le mettre en avant et montrer des gens qui, malgré le manque de moyens, mettent tout leur savoir-faire au service d’un objet qu’on fabrique ensemble.
C’est ça que j’ai voulu montré dans le film et que je fais de manière générale dans tous mes films. C’est-à-dire que mes films ou les vidéos que je faisais avant en tant que plasticienne ont toujours été des films de petit budget et de bricolage. Je pratique le bricolage aussi quand je fais des expositions plus d’art visuel. Je suis pas très nouvelle technologie, je préfère les artisanats et pour moi l’idée d’apprendre à construire des choses soi-même est importante. Quand j’ai un budget, je préfère payer des gens pour m’apprendre les techniques et fabriquer les choses moi-même que les payer pour faire les choses.
Dans le cadre de l’animatronique manuelle/marionnette géante, je voulais retourner à une méthode proche des premiers King Kong, qui soit une sorte de monstre avec quelqu’un à l’intérieur en fait. Et donc j’ai fait fabriquer cette marionnette par des marionnettistes qui l’ont créée de leurs mains et là j’ai dû faire appel à des professionnels quand même parce que j’étais incapable de faire ça moi-même. D’ailleurs, ils sont cachés à l’intérieur et ce sont eux qui manipulent la marionnette qui fait 6 mètres de long.
Comment les mythes et diverses légendes vous inspirent-ils ?
ES : Dans la nouvelle de Russell Banks, il y a d’un côté les bouddhistes qui le vénèrent comme un Dieu et d’un autre les catholiques qui veulent à tout prix le détruire et qui vont jusqu’à utiliser des explosifs pour le faire, donc on reste assez proche finalement de la nouvelle dans le film… Mais évidemment, y’a pas de bouddhistes dans le Centre Bretagne donc j’ai cherché une légende locale ; la légende de saint Corentin qui est une légende catholique, mais qui vient de la tradition païenne.
C’est comme les menhirs en fait. Dans le Centre Bretagne il y a beaucoup de menhirs christianisés, donc en fait ce sont les chrétiens qui ont rajoutés une croix dessus et en dessous on a des menhirs dont on a jamais vraiment su si c’étaient des objets funéraires, d’adoration…
Saint Corentin, avant d’être l’Evêque de Quimper, c’était juste un ermite en fait qui vivait en communion avec la nature.
Camping du Lac est actuellement en salles.