Et si les Etats-Unis connaissaient une nouvelle guerre de sécession ? C’est un scénario pas si improbable qui se joue sous nos yeux dans le film Civil War, réalisé par Alex Garland (Ex Machina). Une œuvre radicale, puissante et très émouvante, qui laisse cependant un léger goût d’inachevé. Retour sur ce film qui s’impose déjà comme un des plus marquants de l’année 2024.
Synopsis : un groupe de journalistes se lance dans une course effrénée vers Washington, à travers une Amérique en proie à la guerre civile. Mais pourront-ils échapper à la furie d’un pays où l’ultraviolence règne en maître ?
Photographie d’une Amérique déchirée
Avec un sujet pareil, difficile de ne pas aborder frontalement la violence extrême. En effet, Civil War nous plonge sans détour dans la brutalité qui caractérise ce pays en guerre. Attentats-fsuicides, meurtres gratuits, torture, sadisme, violence psychologique… Bref, tout ce qu’on peut craindre de pire au sein de son Etat. La guerre fait désormais partie du quotidien de ce pays et rythme la vie des citoyens, qui semblent presque accoutumés à cette situation mortifère. Là est le véritable tour de force de Civil War : il rend cette guerre tangible. Nous ne sommes pas déconnectés de ce qui se passe à l’écran, mais bel et bien immergés dans ce quotidien morbide.
Une des caractéristiques les plus surprenantes de Civil War est d’ailleurs le paradigme adopté pour raconter cette histoire. Loin de nous proposer une grande fresque politique, le film s’intéresse plutôt au parcours de ces journalistes qui tentent de couvrir l’événement au péril de leur vie. En résulte une aventure profondément humaine, où la violence frappe d’une façon particulièrement frontale. Et il faut admettre que cette idée de suivre la guerre par l’œil de ces journalistes est une idée particulièrement efficace dans son traitement. Toutefois, ce paradigme adopté montre certaines limites, que nous évoquerons un peu plus tard.
Civil War : un quasi-documentaire dystopique
L’autre tour de force du film est de retranscrire de façon réaliste la guerre dans ce quelle a de plus abject. Ici, pas de glamourisation des armes, ni des combattants. La violence n’est ni sensationnelle, ni spectaculaire. En regardant Civil War, on se surprend parfois à avoir l’impression de suivre un documentaire en immersion dans un véritable conflit armé. Et cette mise en scène millimétrée rend le voyage aussi glaçant qu’extraordinaire.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les scènes de Civil War sont aussi réalistes que perturbantes. En effet, Alex Garland a dévoilé avoir étudié de nombreux documentaires de guerre et travaillé avec de véritables vétérans, afin de rendre ce conflit tangible. Mission accomplie ! Les scènes de guérilla urbaine sont à glacer le sang et les images d’un Washington sous les bombes ont de quoi faire frissonner bon nombre de spectateurs.
L’anxiété devient rapidement inévitable, quand on se rend compte que le meurtre est devenu un divertissement à l’échelle nationale. Garland met en lumière la névrose américaine des armes et de la violence, à travers ce périple où les tueurs débridés sont omniprésents. Malgré leur statut de journalistes et les traités internationaux, il n’existe aucune protection pour nos personnages. Et il y a encore moins de protection pour les citoyens, dont certains ont perdu leur qualité d’être humain aux yeux de leurs ennemis. Difficile donc de ne pas ressentir de sueurs froides durant la quasi-totalité du film, tant l’identification à la situation et aux personnages est aisée.
Les personnages sont d’ailleurs une autre grande force du film. Outre le fait que suivre des journalistes renforce la nature de « documentaire » de cette œuvre, chacun d’eux parvient à être attachant à sa manière, malgré des caractères diamétralement opposés. Tandis qu’ils traversent un pays dévoré par le feu de la guerre, ceux-ci développent une camaraderie quasi-familiale. Chacun devient un miroir du passé et du futur de chacun, dans un fascinant patchwork multigénérationnel.
Il faut ainsi saluer le travail monumental des acteurs, et notamment du quatuor principal mené par Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny et Stephen McKinley Henderson. Ce casting impeccablement choisi nous offre une parfaite synergie d’équipe, venant accentuer l’attachement que l’on éprouve pour chacun d’eux. Mention spéciale à Jesse Plemons (Killers of the Flower Moon), qui est absolument terrifiant en soldat sadique, et à Nick Offerman (The Last of Us), très crédible en président des Etats-Unis.
Un film politique… Dépolitisé ?
Dans Civil War, nous ne suivons pas la guerre dans sa globalité… Nous suivons le quotidien d’un pays en guerre à travers les yeux d’un groupe très restreint de personnes. Et cela fait toute la différence avec ce que nous sommes habitués à voir au cinéma. Nous n’avons pas une vraie vision d’ensemble de ce qu’il se passe. Nous n’avons que le paradigme de quelques journalistes, tentant de retranscrire le plus fidèlement possible leur expérience du conflit. Et ce paradigme adopté est à la fois génial, mais également problématique :
- Génial, car il nous embarque dans une aventure humaine et ultraréaliste. Les personnages sont attachants, parfaitement caractérisés et dégagent une humanité comme on en voit rarement au cinéma.
- Problématique, car au final nous n’avons qu’une vision très restreinte de la situation géopolitique. Nous sommes face à une nouvelle guerre de sécession, mais nous n’avons que le strict minimum d’informations concernant le conflit. Quel a été le déclencheur de la guerre ? Quelles ont été les pertes dans les deux camps ? Comment réagit la communauté internationale ? Quel est l’objectif des forces sécessionnistes (à part tuer le Président et prendre le pouvoir) ? On n’en sait rien !
Et là sont les limites de ce film, par ailleurs brillant. Malgré ce contexte de guerre omniprésent, Alex Garland n’explore pas les causes du conflit, ni l’impact global. Pourtant, les Etats-Unis d’Amérique demeurent la première puissance mondiale. Difficile donc d’imaginer une guerre civile dans ce pays dont on n’explore ni les causes, ni les conséquences… En résulte une impression très paradoxale de film au concept éminemment politique, mais qui refuse de traiter de politique.
Ainsi, même si ce long-métrage est une expérience particulièrement viscérale, il n’en demeure pas moins passablement frustrant. Car quand on s’empare d’un sujet aussi éminemment politique, ne pas traiter un minimum de cet aspect laisse un léger goût d’inachevé. Si cela n’entache pas l’expérience en tant que telle, les personnes les plus exigeantes en matière de contextualisation en seront pour leurs frais…
Une œuvre qui sonne comme un avertissement
Civil War ne sort pas dans n’importe quel contexte. Celui-ci sort durant une année d’élection présidentielle aux Etats-Unis, alors que le pays est plus divisé que jamais. Les tensions sociales sont à leur paroxysme et on a pu assister à plusieurs signes avant-coureurs d’une potentielle deuxième guerre de sécession aux USA. Les plus évidents sont :
- La résurgence du drapeau des confédérés lors de nombreuses manifestations aux Etats-Unis.
- Les menaces récentes de sécession de l’Etat du Texas.
- La tentative de coup d’Etat par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021, lors de l’assaut du Capitole.
Ce film est donc bien plus qu’une dystopie. Il s’agit de la manifestation d’une peur profonde qui s’est emparée des USA. Civil War résonne ainsi comme un avertissement, et non comme un divertissement. Raison pour laquelle nous aurions d’ailleurs souhaité un développement géopolitique un peu plus poussé.
Civil War est indéniablement une des expériences les plus audacieuses et viscérales que pourra nous proposer le cinéma en 2024. Un film redoutablement efficace, au réalisme saisissant et à la mise en scène millimétrée. Si on regrette la timidité du développement politique, on ne peut que saluer le travail cinématographique déployé. Un véritable tour de force d’Alex Garland, qu’on espère voir représenté lors des prochains Oscars.
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One Reply to “« Civil War » est une plongée glaçante dans une Amérique fracturée [critique]”