« Une Jeunesse Française » : une délicate plongée dans les arènes [critique]

"Une Jeunesse Française" : une délicate plongée dans les arènes [critique]

Que se cache-t-il derrière les tenues immaculées de ce fascinant ballet qu’est la course camarguaise ? Un combat symbolique entre l’homme et le taureau ou le face-à-face entre une jeunesse fougueuse et la plus ancestrale des traditions ? Une Jeunesse Française, un documentaire poignant sur les âmes derrière les corps signé Jérémie Battaglia. 

La course camarguaise, à la jonction de l’héritage et du futur :  

Il existe dans le Sud de la France d’étranges arènes, qui à la nuit tombée en été, se remplissent de la ferveur d’un public avide d’adrénaline. Au cœur de ce magma, se trouve un homme faisant face à un animal. L’homme, ou le très jeune homme, porte une tenue blanche maculée de quelques taches de sang séchées et de son nom inscrit en lettres capitales dans son dos. Se dresse devant lui une majestueuse comme effrayante bête : un taureau. Faut-il fuir l’animal ? Bien au contraire… Le jeune homme, aussi appelé « raseteur » devra tout faire pour s’approcher au plus près du sombre pelage de la bête.

Le théâtre d’Une Jeunesse Française prend place dans l’univers traditionnel de la course camarguaise. Un spectacle centenaire, qui contrairement à la corrida espagnole, ne met jamais en scène la mort de l’animal, pour plutôt se concentrer sur la spectacularisation des mains des raseteurs qui viennent « raser » le poil de l’animal pour en extirper les cocardes et autres attributs y reposant. Ici, c’est le raseteur qui expose son corps à la douleur.

Une Jeunesse Française
© Les Films du 3 Mars : Dans la course camarguaise, c’est le corps du raseteur qui est exposé à la blessure.

Comment trouver sa place dans ces siècles d’histoire ? C’est la question à laquelle seront confrontés le pompier en devenir Jawad Bakloul et le flamboyant Belkacem Benhamou. Deux jeunes, hommes issus de l’immigration magrébine, pour qui le combat contre l’animal sonne comme le manifeste de toute une vie. Celui de revendiquer une place dans une société gangrénée par le racisme systémique

Une Jeunesse Française : portrait d’une masculinité en feu. 

Parfaites en 2017, revenait sur la rigidité de la performance des corps féminins au sein de l’équipe canadienne de natation synchronisée, tandis qu’Adonis en 2024 dessinait les contours d’un buste masculin sur-esthétisé par l’usage abusif des stéroïdes dans les milieux de la musculation à haute intensité. Le sport ou la performance des corps peuvent-ils être le miroir des luttes sociales ? Une Jeunesse Française répondra sans aucun doute par l’affirmative.

Une Jeunesse Française n’est pas un documentaire là pour nous conter le passé glorieux d’un art ancestral. Bien au contraire… Celui-ci nous porte dans l’actualité cuisante de ses deux protagonistes principaux qui voient ce sport comme l’unique échappatoire à un monde qui leur refuse la parole.

Une Jeunesse Française
© Les Films du 3 Mars : De gauche à droite Belkacem Benhamou et Jawad Bakloul.

La mise en scène se cristallise ainsi par la métaphore de l’expression « Descendre dans l’arène ». Un dialecte inspiré des combats antiques des gladiateurs qui pourrait se traduire aujourd’hui par « relever courageusement un défi » ou « accepter un combat ».

« Descendre dans l’arène«  c’est délaisser une caméra esthétisant le paysage idyllique camarguais et les corps qui s’engagent au combat, pour filmer la réalité de la confrontation et le sang qui éclabousse le sable. « Descendre dans l’arène » c’est écarter cette même arène pour se plonger dans le quotidien de cette jeunesse tiraillée entre le poids de l’héritage et l’envie d’intégration. Se confronter à l’animal, c’est peut-être alors se confronter à un monde qui nie le droit de dire « j’existe ».

Une Jeunesse Française de Jérémie Battaglia porte encore une fois le cinéma documentaire au bout de sa virtuosité. Un cinéma, qui derrière l’apparente brutalité de ses images, touche certainement encore plus l’intangibilité de ce qu’est la rage de vivre de la jeunesse française. Ce documentaire avec Jawad Bakloul et Belkacem Benhamou à découvrir à partir du 7 mai 2025.  

Sources : 

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