« To a New You » de Shinji Mito : un manga qui joue avec les limites [critique]

"To a New You" de Shinji Mito : un manga qui joue avec les limites [critique]

Panini Manga a révélé le 2 novembre la nouvelle œuvre de Shinji Mito (Ex Nihilo, Alma) qui s’ajoute à leur collection : To a New You. Le manga qui comporte déjà 5 tomes au Japon est un provocant et habile mélange de genres qui tient le spectateur sur la corde raide. Nous avons lu le premier tome pour vous.

Synopsis : Japon 2014. Satoru Sakuma est un professeur de lycée à l’existence ordinaire. Lorsqu’il voit sa femme dans les bras d’un autre, il prend la fuite et rencontre une jeune fille qui tente de le séduire. Après s’être finalement réconcilié avec sa femme, Satoru reprend le cours de sa vie. L’appel de ses nouveaux élèves le laisse sans voix… L’adolescente qu’il a rencontré à Odawara est dans la classe dont il est le professeur principal ! La jeune fille taquine et pleine de vie le poursuit de ses ardeurs mais ses intentions vont bien au-delà de l’opération de séduction qu’elle a entrepris. Aki cache un lourd secret. Et pendant que Satoru essaie de se défaire de son encombrante élève et de cette attirance qui lui est interdite, un mystérieux virus se propage à travers le Japon.

Un manga qui joue avec les genres

A première vue, on pourrait se méprendre et croire à un Seinen tranche de vie. To a New You nous embarque immédiatement dans le quotidien de son protagoniste. Et Satoru Sakuma n’a rien d’un modèle : il est l’archétype du loser à qui il n’arrive que des soucis. Loin de l’anti-héros dont on apprécie les défauts, les faiblesses et la lâcheté de Satoru n’en font qu’un personnage dont on attend et espère une évolution drastique. Mais alors qu’on pense le suivre dans ses journées de professeur, To a New You prend tout à coup des virages à 90 degrés et nous surprend.

En effet, le manga laisse traîner dès le premier tome de nombreux indices quant à une mystérieuse épidémie. Combinaison intégrale en fond de selfie, faits divers aux journaux télévisés, absence inexpliquée de collègues… Une menace latente pèse sur le monde de Satoru sans qu’il ne s’en rende compte. Dès lors, l’intrusion du fantastique donne une ambiance intrigante et inquiétante au manga. On se demande d’où vient le rêve récurrent de Satoru. Si sa ville d’origine est déserte pour les raisons officielles… Et si Aioi voyage dans le temps.

Ainsi To a New You n’hésite pas à emprunter les codes des différents genres et à partir dans des directions imprévues. On touche clairement à l’horreur lorsqu’on nous montre les victimes de l’épidémie dans des scènes très graphiques. La conjointe de Satoru étant enquêtrice de police, on peut également s’attendre à du thriller. On pourrait même toucher à la science-fiction avec la possible boucle temporelle. Ce mélange de genres peut fonctionner admirablement, on l’a vu pour 20th Century Boy par exemple, de Naoki Urasawa. Espérons que Shinji Mito saura se montrer aussi adroit pour jongler avec les émotions et les attentes de ses lecteurs dans cet exercice de style complexe.

Essai transformé

Shinji Mito entérine avec ce manga sa position d’auteur confirmé. En effet, si Alma était déjà d’une très grande qualité au niveau du dessin et de la mise en scène, To a New You transforme lui aussi l’essai. Les personnages sont beaux, détaillés, expressifs. Les émotions sont retranscrites à la perfection, tout comme les mouvements. Les décors aussi sont très soignés et ont une vraie importance dans l’histoire. Il en résulte une impression de maîtrise qui rend le manga très agréable à l’œil et qui surprend chez un mangaka en début de carrière.

Du côté de l’intrigue, avec un seul tome il est difficile de savoir si Shinji Mito a fait preuve d’une aussi bonne maîtrise que sur Alma. On peut déjà noter, en tout cas, que son sens du mystère est toujours aussi poussé. Il s’agit en effet à nouveau d’un projet ambitieux où les indices sont distillés au goutte à goutte et où l’imaginaire du lecteur peut s’en donner à cœur joie. Quant à la provocation du mangaka, qui marche sur une corde raide, elle peut interloquer sur certains points.

Des limites éthiques floues

On est vite confronté à Aki Aioi et la relation qui la lie à Satoru Sakuma. La jeune fille est une lycéenne mineure qui cherche à tout prix à séduire physiquement le héros, bien plus âgé. Les explications et justifications du « héros » quant à son attirance en retour pour la jeune fille sont contradictoires et laissent un goût désagréable de fan-service mêlé à l’envie d’avoir la conscience tranquille. La série expliquera peut-être que l’âme de la jeune fille est en réalité toute aussi vieille (si la piste de la boucle temporelle se révèle vraie). Néanmoins, son physique reste celui d’une adolescente.

Un choix inquiétant quant à la suite de l’œuvre et qui pourrait se révéler pertinent si le but était de dénoncer les dérives d’une telle relation. Mais le manga, qui traite le sujet avec une relative légèreté, responsabilise la jeune fille. Car elle est l’instigatrice de tout. Et notre « héros », qui pourrait (et devrait) pourtant mettre un terme à cette histoire, est représenté en victime du jeu de la jeune fille.

Ainsi, on peut s’interroger sur l’utilité de la provocation de Shinji Mito, qui dans le premier tome ne vise pas un propos clair. Car c’est bien lui qui sexualise Aki Aioi à travers ses choix de cadrage et de mise en scène, même lorsque le héros dit ne rien ressentir. Espérons que le mangaka saura clarifier ses intentions et sa position sur le sujet dans les prochains tomes car la sexualisation des mineures est à prendre très au sérieux.

To a New You réussit définitivement à nous intriguer. L’art du mystère de Shinji Mito est une invitation à tourner les pages dans cette fin du monde qui s’annonce trépidante. On attend la suite avec un mélange de hâte et de circonspection. 

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