Retour sur l’histoire du génocide arménien

Antoine Moroni
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Le 24 avril 1915, le parti au pouvoir de l’Empire ottoman, le Comité Union et Progrès (CUP), ordonna l’arrestation de nombreux intellectuels arméniens. C’est le point de départ officiel du génocide arménien. Retour sur cet événement historique, encore contesté aujourd’hui par la Turquie.

Une période trouble pour l’Empire ottoman

L’Empire ottoman, aujourd’hui disparu, était une puissance fondée au XIIe siècle. Multiculturel, multilingue, il contrôlait à son apogée la majeure partie de la Méditerranée, de la Mer Noire et de la Mer Rouge. Malgré une réorganisation commencée au XVIIe siècle, il se trouve dépossédé régulièrement de morceaux de son territoire.

En 1908, le Sultan en place, Abdülhamid II, réputé rigide, se voit renversé par les Jeunes-Turcs, un parti politique plus connu sous le nom de Comité Union et Progrès. Les hauts dignitaires sont principalement turcs, mais alliés aux différents peuples de l’Empire, tels que les Arméniens.

Arrivé au pouvoir, le parti CUP éclate dans des luttes internes à partir de 1913. Enver Pacha finira par prendre le pouvoir par la force en 1913. Il tue les membres du gouvernement, et instaure une ligne politique plus ferme. Il forme alors un triumvirat qui restera à la tête de l’Empire jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Les Arméniens, un peuple allié puis persécuté

L’Empire regroupe un grand nombre de peuples, ralliés sous sa bannière. Ainsi, Grecs, Arméniens, Turcs, Kurdes coexistent. Mais dès la fin du XIXe siècle, le Sultan en place, Abdülhamid II, ordonne différents massacres contre la population arménienne, faisant 200.000 victimes. L’origine de cette hostilité est liée aux volontés arméniennes de voir une amélioration de leurs conditions de vie. En effet, il existe une réelle inégalité au sein de l’Empire. Il y a des différences fiscales majeures entre les musulmans et les chrétiens, ainsi que des perspectives d’évolution inéquitables.

La révolution de 1908 voit les Arméniens s’allier au CUP, et prendre les armes afin de participer à la prise de pouvoir. Au même titre que les chefs grecs et musulmans, les chefs arméniens seront reçus par le gouvernement après le succès du soulèvement. Vient alors la question de la création d’un Etat arménien, formellement repoussé par le pouvoir. Dès lors, les Arméniens décident de ne plus soutenir le CUP, et se rapprochent de la Russie. Celle-ci héberge une partie du peuple arménien, contenant notamment le territoire de l’actuelle Arménie.

Le Panturquisme à l’aube de la Première Guerre mondiale

Dans les sphères du pouvoir se développe alors le Panturquisme, une idéologie cherchant à réunir et mettre au premier plan les peuples turcophones. Contrastant avec la cohabitation multiculturelle du passé, l’Empire ottoman cherche plutôt à créer une unité autour de lui.

Dans ce climat nationaliste montant, le pouvoir voit d’un mauvais œil le rapprochement Russo-arménien. En avril 1909 éclate notamment un massacre de 30.000 Arméniens dans la région de Cilicie.

Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, il est alors demandé aux Arméniens de montrer leur attachement à l’Empire. Dans le même temps, la Fédération Révolutionnaire arménienne recrute massivement des volontaires pour renforcer l’armée Russe. Malheureusement, ces recrutements ne font qu’accroitre la tension avec le pouvoir en place.

Déroulement du génocide

En avril 1915, le Ministère de l’Intérieur ordonne l’arrestation de plusieurs milliers d’intellectuels arméniens basés à Constantinople. Ceux-ci seront alors déportés, puis tués. A l’aide des forces de police, de l’armée ou de milices kurdes, l’Empire va alors systématiser ce processus sur tout son territoire.

La couverture utilisée est la déportation et le déplacement de population. L’objectif officiel est de placer le peuple arménien dans d’autres régions. Les convois vont donc accueillir les populations, puis les massacrer lors de marches forcées, avant de passer à la région suivante.

Une volonté affirmée de détruire la population arménienne

En septembre 1915, le ministre de l’Intérieur enverra à son parti le message suivant :

« Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. »

La censure est présente afin d’éviter toute trace du génocide. Sur tout le territoire, on construit des camps de concentration, afin d’y placer les populations qui y mourront. On libère également des prisonniers de droit commun, pour qu’ils assistent les forces armées dans les massacres.

Les forces arméniennes présentes sur le front ottoman sont désarmées petit à petit, affectées à d’autres missions, puis exterminées en secret.

Sur les 1,6 million d’Arméniens présents dans l’Empire en 1914, on estime le nombre de disparus à 1,2 million, soit 75 % de la population.

Un massacre étendu à d’autres ethnies, la communauté internationale divisée

Les massacres organisés ne sont pas uniquement contre les Arméniens. En effet, près de 350.000 Grecs pontiques ont été massacrés pendant cette même époque, ainsi que 70 % de la population assyrienne. Cependant, il y a également débat sur la qualification de « génocide » pour ces événements. Elle est tout de même fréquemment utilisée pour caractériser les meurtres de masse qui ont eu lieu entre 1914 et 1923.

Carte du monde des pays reconnaissant le génocide arménien - Cultea
Carte du monde des pays reconnaissant le génocide arménien (en vert foncé), des pays dont certaines provinces reconnaissent le génocide (en vert clair) et des pays le niant officiellement (en rouge).

La dénomination de « génocide arménien », bien que largement reconnue par la communauté des historiens, reste en effet sujet à débat au niveau international. L’Uruguay est le premier pays à reconnaitre officiellement le génocide en 1965. Cependant, il faudra attendre la fin des années 90 pour avoir une vague de reconnaissance officielle de pays. Une des raisons est notamment politique, puisque la Turquie nie l’existence de ce génocide. En effet, cela complique les relations internationales avec le pays en cas de reconnaissance officielle.

La France, qui accueille un grand nombre de descendants d’Arméniens, reconnait le génocide en 2001, sous la présidence de Jacques Chirac. En 2006, elle promeut une loi punissant la négation du génocide.

En 2005, L’Union européenne demande aux autorités turques de reconnaitre le génocide, arguant que ce geste est un premier pas vers l’acceptation de sa demande d’adhésion.

Le Pape François, en 2015, qualifie de génocide les massacres perpétrés contre les populations arméniennes, assyriennes et grecques au début du siècle.

Toujours sujet à division, le génocide arménien, et les massacres associés, sont régulièrement reconnus officiellement par les Etats. En 2021, Joe Biden utilise le terme « génocide » lors de la commémoration du 24 avril. Il officialise alors la position des Etats-Unis. C’est le deuxième pays à avoir reconnu le génocide cette année, après la Syrie. 

 

Sources :

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