Qui a livré Anne Frank aux nazis : le mystère enfin éclairci ?

Flore Lheureux
Flore Lheureux
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Alors que Le Journal d’Anne Frank est incontestablement le récit de première main le plus célèbre de la vie juive pendant la Seconde Guerre mondiale, un mystère semblait insoluble depuis 1944 : qui a dénoncé l’adolescente de 15 ans et les huit autres personnes qui se cachaient avec elle à Amsterdam ? Une enquête menée par une équipe internationale révèle « le scénario le plus probable » de cette histoire tragique.

Plus de cinq ans auront été nécessaires pour venir à bout de cette énigme vieille de 78 ans. En 2016, l’agent du FBI, Vince Pankoke, retraité, reçoit l’appel d’un ancien collègue néerlandais. Il lui propose le cold case Anne Frank. Car la dénonciation d’Anne Frank et de sa famille est un acte criminel : durant la Seconde Guerre mondiale, trahir un compatriote en le livrant aux nazis est une infraction pénale aux Pays-Bas. En ce sens, dès 1948, la police ouvrira deux enquêtes, sans succès.

Pour cette nouvelle tentative, les recherches sont financées par des éditeurs internationaux, la ville d’Amsterdam ainsi que des prêteurs privés. Au retraité du FBI, se joint plus d’une trentaine de personnes : historiens, détectives, criminologues, archivistes ou encore bénévoles. Pour analyser des centaines de milliers de documents à travers 8 pays, on met au point un programme d’intelligence artificielle.

Le destin tragique d’Anne Frank

C’est en 1933 que la famille Frank arrive aux Pays-Bas pour fuir la montée du nazisme en Allemagne. À Amsterdam, Otto fonde l’entreprise Opekta, qui vend des épices et la famille réside dans le sud de la capitale où beaucoup de juifs ayant quitté l’Allemagne s’installent.

Il tente par deux fois d’obtenir des visas pour émigrer en Amérique. Lorsque les Allemands convoquent des juifs néerlandais pour les déporter, à partir de juillet 1942, le père de famille décide d’aménager un petit appartement derrière ses bureaux. Le 6 juillet, les Frank s’y installent, aidés par les employés de l’entreprise. Plus tard, ils accueillent la famille van Pels, ainsi que le dentiste Fritz Pfeffer.

Pendant 2 ans et 30 jours, les désormais clandestins restent cachés dans l’annexe. C’est lors de cette période qu’Anne rédige son journal, publié par son père en 1947. La journée, ils ne font aucun bruit. La nuit, ils s’autorisent à écouter la radio pour suivre l’avancée des Alliés. Sur une carte, ils marquent même leur progression. Le 6 juin 1944, le débarquement en Normandie leur redonne de l’espoir. Mais les nazis les arrêtent finalement le 4 août de cette même année.

Pendant quatre jours, on les enferme dans une cellule à Amsterdam, avant de les transférer au camp de Westerbork. Le 3 septembre, ils prennent le convoi vers le camp de concentration d’Auschwitz. Quelques jours après sa sœur Margot, Anne meurt du typhus entre février et mars 1945, dans le camp de Bergen-Belsen où elles avaient été transférées quelques mois plus tôt. Les troupes britanniques libèrent ce camp le 15 avril. Otto est le seul à avoir survécu à la guerre.

La découverte de la lettre

Parmi la trentaine de scenarii qui pouvaient désigner un dénonciateur, les enquêteurs écartent progressivement certaines pistes. En 2018, l’équipe parvient à localiser le fils d’un détective ayant mené l’enquête en 1963, qui possédait encore les dossiers de l’époque. Un document en particulier retient l’attention de Pankoke : une lettre dactylographiée adressée à Otto Frank, le père d’Anne.

« À l’époque, votre cachette à Amsterdam a été signalée à la Jüdische Auswanderung d’Amsterdam (ndlr : l’agence qui a organisé la déportation des juifs), Euterpestraat, par A. van den Bergh, qui habitait à l’époque près du Vondelpark, O. Nassaulaan. Le JA avait toute une liste d’adresses qu’il avait fournies. »

Après étude, les enquêteurs découvrent que cette lettre est une copie écrite par Otto et qu’il a conservé l’originale chez un notaire, ce qui montre qu’elle devait lui sembler importante. Fait troublant, dans les années 1960, lorsque les détectives demandent à Otto s’il ne connaît pas un certain Arnold van den Bergh, il répond que non. L’homme est décédé en 1950 et, faute de preuve concluante, la piste est rapidement abandonnée. Pourtant, il semblerait qu’Otto Frank se soit renseigné sur van den Bergh. Il s’est en effet rendu en prison pour interroger un des agents néerlandais impliqué dans le raid qui a découvert sa famille pour en savoir plus sur ce notaire.

Le Conseil juif, Amsterdam 1942 - Cultea
Le Conseil juif, Amsterdam 1942. Arnold van den Bergh est cinquième à partir de la gauche. (Banque d’images WW2/Niod/Joh. de Haas)

L’homme faisait partie du Conseil Juif, créé en 1941 par les forces d’occupation. Celui-ci avait toute la confiance des juifs d’Amsterdam. Certains prisonniers du camp de transit de Westerbork envoyaient par exemple du courrier au Conseil pour les membres de leur famille. Le Conseil possédait ainsi des centaines d’adresses des personnes cachées.

Par sa collaboration avec les occupants, Arnold van den Bergh est d’abord épargné de la déportation pendant les premières années. Mais en 1944, sa protection devient de plus en plus fragile. Il aurait ainsi donné l’emplacement des cachettes juives afin d’épargner sa propre famille, d’après les conclusions de Pankoke. « C’est le scénario le plus probable » explique-t-il à CNN, il s’agit du « seul scénario où le traître avait un mobile, une connaissance et une opportunité, les trois piliers de toute enquête criminelle ».

Un autre élément vient étayer sa théorie. L’emplacement de la cachette des Frank a été donné à Julius Dettmann, un haut fonctionnaire de la Sicherheitsdienst, le service de renseignements nazi. Un citoyen ordinaire n’aurait jamais pu entrer en contact directement avec lui. L’informateur devait donc avoir un poste important. Dettmann s’étant suicidé dans sa cellule après la guerre, il n’a jamais pu livrer la moindre information à ce sujet.

Une question se pose alors : si Otto Frank savait que le traître était Arnold van den Bergh, pourquoi a-t-il gardé le secret ? Probablement pour ne pas accabler la famille du notaire, mais également pour éviter d’attiser la haine antisémite suite à la dénonciation des Frank par un juif et non un collaborateur.

Pour Ronald Leopold, directeur de la Maison Anne-Frank, cette hypothèse est « fascinante », mais « vous devez être très prudent avant d’inscrire quelqu’un dans l’histoire comme celui qui a trahi Anne Frank si vous n’êtes pas sûr à 100 ou 200% de cela » rapporte l’AFP. Il faudra donc probablement attendre des contre-enquêtes et d’autres expertises concernant ce sujet si épineux… En ce sens, Pankoke conclut que :

« Ce sont les nazis qui sont responsables de la mort des clandestins, pas le notaire qui a transmis leur adresse. »

Ce mercredi 19 janvier, le livre de la Canadienne Rosemary Sullivan, Qui a trahi Anne Frank, sera disponible en France aux éditions Harpercollins.

Qui a trahi Anne Frank ? Rosemary Sullivan - Cultea

Sources :

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Diplômée d'histoire et de journalisme, je suis passionnée par la culture. A travers mes articles, j'espère pouvoir vous partager cet engouement.
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