Quand la « presse des tranchées » permettait de voir la guerre différemment

Romain Lesourd
Romain Lesourd
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Pendant la Grande Guerre, la presse française se concentre exclusivement sur le domaine militaire. On souhaite persuader le lecteur que le danger n’existe pas au sein des tranchées et que les troupes françaises ont la mainmise sur le sort du conflit. Mais au sein des cavités, des journaux sont créés, de la main des soldats. Ces journaux ont pour but de renforcer l’unité au sein des troupes. Ils s’inscrivent alors dans de nombreux registres.

L’humour comme ligne éditoriale

C’est ainsi que se caractérisent de nombreux journaux des tranchées. Leur but ? Faire oublier un tant soit peu le danger que les soldats connaissent trop bien.

Nombre de ces journaux présentent des articles qui sont des parodies des articles habituels proposés par les journaux de l’arrière. Ils peuvent s’inscrire dans de nombreux registres, comme celui de l’anecdotique ou même de l’humour. Le journal Marmita est l’un d’entre eux.

Une du Marmita n°8, édition du 21 mai 1915 - Cultea
Une du Marmita n°8, édition du 21 mai 1915

Mais le registre le plus utilisé et présenté est celui de la mode. On présente l’uniforme comme un élément de mode. On présente le soldat comme un mannequin dont l’uniforme serait une veste luxueuse. Un moyen pour les soldats d’oublier que la couleur de ce dernier représente son plus gros point faible. La couleur « bleu horizon » de l’uniforme révélait trop souvent la position des soldats, dans un décor où les couleurs tendaient plutôt vers le gris et le marron. On décide alors de tourner l’uniforme en dérision. C’est ce que Le petit bateau, un autre journal issu des tranchées, fait avec brio.

Présentation de l'uniforme français par Le petit bateau
Présentation de l’uniforme français par Le petit bateau

Comme autre style d’humour, il y a la dérision avec Le petit bateau, mais il y a aussi les moqueries. Des moqueries écrites à l’encontre des Allemands. L’humour est perçu comme une arme, une arme utile contre l’ennemi. Car si les soldats sont détendus, ils auront moins peur de la mort et de la guerre. C’est ce qu’explique Le Bochofage :

« L’humour est la fameuse dent que nous lui gardions depuis longtemps, que nous portons aujourd’hui sur le boche abhorré. »

Écrit d’André Charpentier, rédacteur en chef du Bochofage, édition du 14 juillet 1916 - Cultea
Écrit d’André Charpentier, rédacteur en chef du Bochofage, édition du 14 juillet 1916

La presse sentimentale au sein des tranchées

La plume est son fusil, ses sentiments sont ses grenades. Victimes du stéréotype de l’homme violent et cruel dans le monde de la guerre, on oublie souvent que les soldats éprouvent des sentiments. Et c’est ce que certains journaux des tranchées souhaitent mettre en avant. On souhaite oublier un peu la cruauté des luttes armées, on souhaite dire ce qu’on a sur le cœur grâce à la presse.

Voici en tout cas l’ambition qui caractérise ce journal, Canard du Boyau. Édité par le 74e régiment d’infanterie ou la « 74e Demi-Brigade », il souhaite présenter des poètes en herbe, promis à une grande carrière si jamais ils arrivent à survivre au conflit et à rentrer chez eux.

L’un des poèmes les plus connus présentés par ce journal s’intitule Le type qui en a marre. Avec cet écrit, un soldat exprime sa lassitude quant au conflit. Il n’en peut plus des violences et de la distance entre lui et ses proches. Il ne souhaite qu’une chose : que la guerre se termine le plus rapidement possible.

Extrait du Type qui en a marre, n°5 de février-mars 1916 - Cultea
Extrait du Type qui en a marre, n°5 de février-mars 1916

Un moyen pour les soldats d’exprimer leur germanophobie

Évidemment, les soldats engagés dans le conflit souhaitent qu’il se termine le plus rapidement possible. Mais ils pensent également que, s’ils sont dans cette situation, c’est avant tout à cause de l’ennemi. Cette pensée est propre à la guerre.

« Ce que nous voulons ? En résumé : rire, nous amuser, nous distraire, en assurant pour les générations à venir le triomphe définitif de la civilisation sur la Kultur. »

La deuxième partie de la citation, issue du journal Marmita, permet de souligner la germanophobie ambiante très prégnante. Le terme « Kultur » indique la notion de « barbarie allemande » perçue par les soldats français, mais également l’exact opposé du terme « civilisation ».

Beaucoup de journaux vont donc adopter ce procédé pour encourager les lecteurs, donc majoritairement les soldats, à ne pas faiblir face aux ennemis allemands. Celui qui se présente comme le plus extrême en matière de germanophobie est Le Voltigeur. Ce dernier présente une devise des plus nationalistes.

Devise du Voltigeur, édition du samedi 21 juillet 1917 - Cultea
Devise du Voltigeur, édition du samedi 21 juillet 1917

Même s’il est apparu lors des derniers mois de la Grande Guerre, il met en avant le sentiment anti-allemand le plus extrême possible pour redonner de la motivation après 3 ans d’une guerre qui semblait interminable pour les soldats.

Ainsi peut se résumer le rôle des journaux nés au sein même des tranchées : permettre aux soldats de s’évader un instant, d’oublier les balles qui sifflent, d’ignorer les explosions d’obus, de ne pas remarquer les poux sur leurs uniformes… Voilà à quoi ont servi les journaux des tranchées.

 

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