Quand Icare vola trop près du soleil… jusqu’à se brûler les ailes

Maurane Charles
Maurane Charles
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Jacob Peter Gowi, la Chute d'Icare, XVIIè siècle, Musée du Prado, Madrid.

Il n’est pas rare qu’en entreprenant quelque chose de trop risqué, un proche vous mette doucement en garde… « Tu risques de te brûler les ailes… » Mais en y regardant de plus près, c’est la malheureuse fin d’Icare qui nous permet aujourd’hui de tirer cette leçon. Précisons également que plusieurs versions du mythe existent comme celles de Diodore, Pausanias, Ovide…

Le mythe d’Icare

Le labyrinthe de Dédale

Nous sommes en Crète alors que le roi Minos ordonne la construction d’un labyrinthe afin d’y enfermer le Minotaure. Cette créature au corps d’homme et à la tête de taureau, est une création issue de la liaison adultère entre sa femme Pasiphaé et un taureau blanc.

Afin de construire cette prison, on fait appelle au célèbre architecte de l’époque, Dédale. Il dessine alors les plans du labyrinthe de telle manière que personne ne puisse en sortir, pas même lui. La construction terminée, on enferme le monstre à l’intérieur sans vraiment ébruiter le scandale. Mais tous les neuf ans, pour se nourrir, le Minotaure doit dévorer sept jeunes hommes et sept jeunes femmes d’Athènes. On met alors en place un tirage au sort afin de déterminer les sacrifiés de l’année…

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/17/Ma%C3%AEtre_des_Cassoni_Campana_-_La_l%C3%A9gende_cr%C3%A9toise_en_quatre_compositions_%28d%C3%A9tail_Labyrinthe%29_-_1500-1525.jpg
Maître des Cassoni Campana, Thésée et le Minotaure, 1500/1525.

À Athènes cependant, le fils du roi, Thésée, s’indigne de cette barbarie. Alors un jour, il décide de mettre fin à cette « tradition » et se mêle aux sacrifiés. Lorsqu’il atteint la Crète, il rencontre la fille de Minos, Ariane. Cette dernière tombe folle amoureuse du jeune homme… En échange d’une promesse de mariage, elle promet à Thésée de l’aider à s’en sortir. Alors elle cherche mais se rend vite compte qu’aucune solution ne semble viable. Ariane se tourne donc vers l’architecte Dédale en personne, qui ne sait lui même pas comment trouver la sortie du labyrinthe. Il tire cependant de son manteau une petite pelote de fil. « Donne la à Thésée, et lorsqu’il passera l’entrée du labyrinthe, dis lui de dérouler le fil ».

Ainsi Ariane transmet le message et complète l’offrande avec un glaive. C’est le moment du départ, et Thésée ainsi équipé n’a aucun mal à trouver le Minotaure endormi… Il le tue puis fait demi-tour vers la sortie grâce au fil d’Ariane. Le couple vainqueur de cette macabre tradition libère les sacrifiés survivants et regagne ensemble Athènes.

La colère de Minos

La fuite et la trahison de sa fille entraine Minos dans une rage folle. Il rend responsable Dédale des évènements et l’enferme lui et son fils Icare dans la prison labyrinthe…

Ils passent alors des jours à chercher la sortie en vainc. Un matin, Dédale regarde le ciel et une idée s’impose à lui. Si les murs du labyrinthe entravent leurs mouvements, le ciel reste une voie libre d’accès pour leur évasion. Il se met alors en tête de trouver le moyen de voler. En ramassant des plumes tombées au sol, il confectionne d’énormes ailes avec de la cire et les fixe sur le dos de son fils et du sien.

Dédale et Icare, par Pyotr Ivanovich Sokolov, 1749.
Dédale et Icare, par Pyotr Ivanovich Sokolov, 1749.

Mais avant que le père et le fils ne s’élèvent, Dédale prévient Icare… Il ne faut pas qu’il s’approche trop près du soleil au risque de voir la cire de ses ailes fondre et ainsi de s’écraser sur terre. Ni trop bas car l’écume alourdirait ses plumes. Un juste milieu en quelque sorte… Ils prirent leur élan et volèrent au-dessus de leur prison, voyant le labyrinthe disparaître au fur et à mesure qu’ils prennent de la hauteur. Les hommes admirent leur voyage à travers les nuages, la compagnie des oiseaux ou encore en bas la beauté de la terre et de la mer.

Enorgueilli par tant de beauté, Icare vole un peu plus haut encore tandis que son père hurle ses avertissements. Mais le garçon n’en a cure et continue son ascension vers l’étoile de feu. Et peu à peu la cire fond… Doucement… Et les ailes se détachent soudain, Icare sombre vers la mer à toute allure, il s’écrase à la surface et les flots engloutirent son corps. Dédale désespéré se lamente en vainc. La soif de liberté du garçon a pris le dessus sur la raison…

Des analyses diverses

Le mythe d’Icare foisonne de symbolisme.

Les avancées techniques

L’architecte Dédale est un homme ingénieux et il révolutionne la technique, trouve des solutions à tous les problèmes de ses clients. Le labyrinthe est son œuvre la plus importante de son histoire. Ses nombreux couloirs, sa fondation en font un élément de technique reconnu. Mais ce progrès est aussi celui qui piège son inventeur. Pour François Jacob, « Dédale incarne la techné (la technique) qui permet d’atteindre la maîtrise du monde… qui permet à ses clients de s’abandonner à leur démesure … En Dédale se profile une science sans conscience… » On a donc une mise en garde contre les avancées techniques ?

La leçon sur l’orgueil

Cette interprétation est la plus connue liée au mythe d’Icare. Elle parcourt notamment l’Antiquité et le Moyen-Age. La morale de l’histoire est alors préventive pour tout humain oubliant sa condition. À travers ce mythe on met en garde adultes et enfants du danger de l’inconscience, de l’orgueil et de la démesure.

La chute d'Icare
La chute d’Icare par Maso da San Friano (Tommaso Manzuoli), Florence, Palazzo Vecchio ©Luisa Ricciarini/Leemage

Une élévation positive

Au fil des siècles, la culture européenne trouve une autre interprétation plus religieuse au mythe d’Icare. On ne parle plus négativement de la décision du jeune homme de se diriger vers le ciel, on ne l’accuse plus de démesure. On voit cet acte comme une élévation de l’âme par elle-même. L’idée est que l’exhalation ressentie durant l’ascension purifie son corps et son esprit. De plus les ailes sont un symbole fort qui incarnent la possibilité de s’élever vers (les) dieu(x). En quelque sorte, de quitter le monde matériel pour le spirituel.

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Chute d’Icare par SARACENI © Gallerie Nazionali di Capodimonte, Naples.

Pour l’Antiquité, il est plus question d’une punition pour l’impudence d’Icare. Le Soleil étant considéré comme un dieu, le jeune homme est puni pour avoir voulu se rapprocher trop près d’un dieu.

La relation père/adolescent

En suivant de manière un peu moins sacrée cette interprétation, on peut penser l’envol du jeune homme comme une émancipation par rapport à son père. L’adolescent tente de se trouver seul, prend le parti de grandir à sa manière et de découvrir les choses en désobéissant à son paternel. Mais dans la version d’Ovide dans les Métamorphoses, Dédale oublie de surveiller son fils et cause indirectement sa mort. Ici le père n’a pas assez bien préparé son fils à se débrouiller seul et n’arrive pas à le soutenir dans son envol… Icare échoue à « voler de ses propres ailes »…

Et vous, comment interprétez-vous le mythe d’Icare ?

Sources :

Silvia Lippi, Icare et le père, Cahiers de psychologie clinique 2011/1 (n° 36)

Michèle Dancourt, Dédale et Icare : Métamorphoses d’un mythe, CNRS Éditions, 2002

Élodie Matricon-Thomas, Le fil d’Ariane et la traversée du Labyrinthe, GAIA. Revue interdisciplinaire sur la Grèce ancienne, 2014

M. Eigeldinger, Le mythe d’Icare dans la poésie française du XVIe siècle, Cahiers de l’AIEF, 1973

 

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Étudiante chercheuse en Histoire Contemporaine - Passionnée de littérature, de musique, de cinéma.
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