Publié le 25 août 2022 Les Enfants endormis (éditions du Globe) est le premier roman d’Anthony Passeron. Dans cette œuvre bouleversante, l’auteur revient sur « les années sida » à travers un récit familial.
Un oncle héroïnomane, une grand-mère dans le déni et des scientifiques vaniteux…
L’auteur a audacieusement choisi d’entremêler deux récits. Anthony Passeron narre l’histoire de son oncle héroïnomane, Désiré, contaminé par le VIH après un échange de seringues. L’auteur retrace également l’histoire, un peu chaotique, de la recherche sur le VIH.
Emile et Louise, les grands-parents de l’auteur, ont travaillé dur pour faire partie des notables de leur village de l’arrière-pays niçois. Propriétaires d’une boucherie reconnue, ils sont parents de quatre enfants, dont l’oncle et le père d’Anthony Passeron. Louise est particulièrement fière de Désiré, son aîné. Une tradition, explique l’auteur-narrateur. Désiré est le seul enfant de la famille à obtenir son bac et à faire des études à Nice. Mais un jour, au début des années 1980, tout bascule. Désiré part à Amsterdam et sombre dans la drogue. L’herbe d’abord, puis l’héroïne. Quelque temps plus tard, le couperet tombe : Désiré et son épouse, Brigitte (elle aussi héroïnomane), sont atteints du VIH.
Pour raconter ce récit familial, Anthony Passeron s’attache à mettre en valeur les rares sources qui sont à sa disposition, car les membres de sa famille ne sont pas très loquaces. Il s’est ainsi appuyé sur les photos et sur les quelques indices que ses parents et ses grands-parents ont bien voulu lui donner…
Les Enfants endormis, la petite histoire dans la grande
On ne peut que saluer l’efficacité de l’auteur qui aborde de nombreux thèmes sans superficialité aucune : l’ascension sociale de ses grands-parents, la vie dans des territoires reculés, la maladie fulgurante de son oncle, le déni de sa grand-mère, la vanité des scientifiques, le silence après la mort de Désiré… Anthony Passeron témoigne d’un sida des campagnes, des périphéries que l’on ne connaît pas ou peu. Les invisibles deviennent visibles, le temps d’un roman.
Pour une fois, ils seront au centre de la carte, et tout ce qui attire l’attention se trouvera en périphérie. Loin de la ville, de la médecine de pointe et de la science, loin de l’engagement des artistes et des actions militantes, ils existeront, enfin, quelque part.
Le roman est fait de décalages et de fossés. Un fossé social d’abord entre Désiré et sa famille puis entre les médecins et les parents. Un décalage géographique ensuite entre Paris, Atlanta, Washington, où la recherche avance, et l’arrière-pays niçois, un peu archaïque.
Le roman joue avec nos sentiments. On s’indigne lorsqu’on lit à quel point la recherche sur le sida a piétiné ou quand on comprend à quel point les homosexuels ont été stigmatisés par le traitement médiatique de la pandémie. On pleure parfois lorsqu’on découvre l’agonie de Désiré, de Brigitte, et surtout de leur petite fille, Louise.
L’entremêlement de deux histoires montre que l’histoire collective, en l’occurrence celle de l’une des plus grandes pandémies de la fin du XXe siècle, est façonnée avant tout par une multitude de petites histoires individuelles, familiales, intimes. Les Enfants endormis illustre bien une phrase que l’on entend souvent en ce moment: « l’intime est politique ». Nos comportements les plus intimes, la consommation de drogues et la sexualité en l’occurrence, sont politiques. Cela n’est pas sans tabou… Les médecins rechignent en effet à s’emparer de cette étrange maladie qui touche principalement les homosexuels et les héroïnomanes.
« J’ai écrit par nécessité », a dit Anthony Passeron, au micro d’Augustin Trapenard dans La Grande Librairie, sur France 5. On sent bien l’urgence d’écrire qu’a ressentie l’auteur. Témoigner avant que les rares sources à sa disposition ne disparaissent… Un récit salutaire.