« Le Deuxième acte » : le questionnement du réel par Quentin Dupieux [critique]

Pour son 13ème film, Quentin Dupieux a fait l’ouverture du 77ème Festival de Cannes. Avec Le Deuxième acte, le cinéaste signe un film irrévérencieux, méchant, misanthrope, mais aussi tout simplement l’un des meilleurs de sa carrière. Emmené par Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard et Manuel Guillot, c’est une proposition impertinente, satire du septième art et de ses acteurs. 

Le Deuxième acte : l’un des meilleurs Dupieux

Comme à son habitude, Quentin Dupieux livre un film court  (1h20) qui s’articule autour d’un concept. Et comme d’habitude, le cinéaste propose un récit dans un récit dans un récit. Le Inception à la française est une fois de plus de retour. Mais alors que Mr Oizo semblait s’enfermer dans ses complaisances de metteur en scène, et restait très loin de toute prise de risque, et ça, sans doute, depuis Au Poste ! (2018), Le Deuxième acte est un alizée rafraîchissant dans la carrière de son auteur. 

Quentin Dupieux, même s’il reste dans son univers, son style absurde, son ambiance drôlement malaisante, son rythme lent, propose avec Le Deuxième acte, sans doute son œuvre la plus intelligente depuis Réalité (2014). Le long-métrage est mieux rythmé que ses derniers films, les dialogues sont mieux écrits, il y a davantage de vannes et de punchlines et le tout va beaucoup plus vite.

Évidemment, Quentin Dupieux n’évite pas son traditionnel épilogue lourdingue, souvent de trop dans ses œuvres, qui n’a plus rien à raconter puisque les enjeux sont déjà résolus. Le Deuxième acte ne déroge pas à la règle, comme si Quentin Dupieux allongeait ses films pour simplement atteindre les 1h20 de métrage, comme pour légitimer l’appellation « film » de ses œuvres.

Avec Le Deuxième acte, Quentin Dupieux livre une satire acerbe du septième art et ses acteurs. Il signe un film nihiliste et cynique sur le Cinéma, sur les films, sur ses comédiens. En ça, Mr Oizo imagine un film dans le film. Il met en scène alors un quatuor d’acteurs quelque part entre fiction et réalité. Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard incarnent leur propre rôle mais pas tout à fait. Ils interprètent des personnages mais pas tout à fait.

Caricatures d’eux-mêmes, Quentin Dupieux s’amuse à jouer avec leurs traits de caractères, leur image, leur réputation, en grossissant les contours jusqu’à l’excès. Avec ce procédé, Quentin Dupieux, comme il aime le faire, mélange fiction et réalité, qui s’entrechoquent dans un univers alternatif quelque part entre ces deux mondes.

Léa Seydoux et Raphael Quenard

Le cinéaste s’arrête alors constamment sur la frontière du réel, entre personnages et acteurs, notamment en reprenant les défauts de ses comédiens bien connus du public. Ainsi, Vincent Lindon doit cacher ses tics, Léa Seydoux doit composer avec la réputation d’être une mauvaise actrice, Louis Garrel doit affronter son image d’homosexuel non assumé et Raphael Quenard doit gérer son portrait de campagnard ignare.

Mais pour autant, ils ne portent pas leur vrai nom, et il n’y a jamais le mot « action » ou « coupez » qui est employé dans le film. Comme pour surligner la notion de fiction. En tout cas, c’est drôle, c’est cinglant, le film n’épargne personne, et surtout pas la figure de la célébrité. Le Deuxième acte est donc un long-métrage profondément méchant, qui joue avec les préjugés du public, et mettant en scène ses comédiens sous leur pire jour narcissique, égocentrique, raciste, sexiste, moralisateur, opportuniste et égoïste.

L’identité du réel

Le Deuxième acte est un film profondément méta, mais dans le bon sens du terme. Quentin Dupieux se la joue une fois de plus « petit malin » et réutilise les procédés qui ont fait le succès de ses précédents métrages. Il brise le quatrième mur, imbrique des récits dans des récits, confond les couches de réalité, et fait intervenir les petites mains du septième art : figurants, techniciens, etc… Jusque-là, on est en terrain connu.

Et pourtant, ici, Mr Oizo parvient à se transcender, en tout cas à transcender son cinéma. Ici, sa thématique, c’est l’identité du réel. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Par ce biais, il questionne son audience. Est-ce que l’acteur est vrai ? Sa célébrité ? Sa notoriété ? Son talent ? Est-ce que le cinéma est vraiment important ? Utile ? Nécessaire ? N’est-ce pas simplement une énorme hypocrisie ? Un faux masque nauséabond ? Surtout à une époque où tout fou le camp ?

Drôle et parfois même inquiétant, Quentin Dupieux s’amuse pendant 1h20 à brouiller les pistes. Notamment en mettant en scène des acteurs qui jouent des acteurs qui jouent des acteurs. Avec Le Deuxième acte, il remet en question l’influence du septième art, mais également le système vicié de l’industrie. Il met en exergue les abus de pouvoir, le wokisme, l’argent, la déconnexion de ce monde, la présence de l’IA (donc du faux, encore une fois), bref toute la mascarade du septième art.

Raphael Quenard, Vincent Lindon et au milieu le formidable Manuel Guillot

Pourtant, malgré cet imbroglio perpétuel entre réalité et fiction, il parvient à tirer son épingle du jeu. Il parvient, finalement, à nous faire comprendre le vrai du faux, ce qui est important ou pas. En témoigne le parcours du personnage de Manuel Guillot, le simple figurant/serveur, dont l’évolution, la trajectoire et le dénouement sont identiques dans les deux strates de réalité.

La même anxiété, le même chagrin, le même sentiment d’abandon et de moquerie, la même conclusion, le même décalage entre réalité et fiction émanent de ce personnage. Une manière pour le cinéaste de nous dire que, s’il y a du cinéma ou pas, le problème des gens reste le même. La violence, la détresse du monde, restent les mêmes. Que le septième art ne fait que s’inspirer de la vie réelle, et ne pourra jamais la dépasser, aller au-delà de sa dureté, de son implacabilité.

Pour autant, Mr Oizo conclut son film sur une note plus optimiste. Avec un très long plan-séquence sur un rail de travelling, le metteur en scène nous raconte, que, peut-être, l’important ce n’est pas ce qui est montré, mais le dispositif technique pour en arriver là, ce n’est pas le résultat mais bien sa fabrication. Et finalement, ce qui est réel, se trouve peut-être dans cette création-là, et non pas à l’écran…

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