Julian Fellowes : Pourquoi adorons-nous ses séries ?

Julian Fellowes : Pourquoi adorons-nous ses séries ?

Pourquoi aimons-nous les séries de Julian Fellowes ? Peu d’amateurs de séries historiques ont pu passer à côté du phénomène Downton Abbey, l’histoire du crépuscule d’une émérite famille de la haute aristocratie anglaise et de ses domestiques. Pourquoi regardons-nous ces séries comme une madeleine de Proust que nous n’avons jamais connue ? Retour sur le paradoxe de la nostalgie d’une période n’ayant jamais existé. 

La Belle Epoque, l’ère Édouardienne ou le Gilded Age… Qu’y a-t-il de si fascinant ?

Des maisons recouvertes de dorure, des parures de diamants, un paquebot mythique et des armées de domestiques. Voilà un résumé assez convaincant de ce que l’on pourrait trouver dans le patchwork des œuvres de Julian Fellowes. La douce romantisation d’un monde où de grands aristocrates tels que Lord Grantham dans Downton Abbey auraient pour devoir de perpétrer l’héritage de leurs illustres familles.

Un monde fantasmé qui perpétue ce sentiment magique de nostalgie que le spectateur pourrait avoir en pensant à des périodes comme celle de La Belle Epoque en France. Une nouvelle Antiquité, un âge d’or de son pays, bien loin des réalités contemporaines.

Un phénomène que la journaliste Marie Jeannin explique de façon très claire dans un article pour le magazine GEO.

« Il suffit de ces deux mots, “Belle Époque”, pour faire naître tout un cortège d’images mi-historiques, mi-fantasmées. (…) le terme “Belle Époque” est utilisé tel quel, non traduit, dans les autres langues du continent -, c’est l’âge d’or de la France et surtout de Paris, la Ville Lumière. »

Une époque d’insouciance et de progrès technique qui ne sera jamais plus égalée ? Pas réellement, selon la journaliste. Car si la Belle Epoque, ou toutes ces périodes dorées comme on les imagine, furent certes de grandes époques faites de bouleversements économiques et scientifiques forts, elles furent également, dans le cas de Belle Epoque par exemple, le théâtre d’un monde où les inégalités sociales et l’instabilité politique régnaient en maitres.

« Pour briller avec tant d’éclat, la “Belle Époque” n’en a pas moins ses ombres. Celle de la Tour Eiffel masque les “zoos humains” du tournant du XXème siècle, atroces exhibitions récurrentes des Expositions universelles qui vantaient sans fars un Empire colonial français alors à son apogée. Car la “Belle” Époque ne l’était pas pour tout le monde”.

Peggy Scott (Denée Benton) Marian Brook (Louisa Jacobson Gummer) dans The Gilded Age par Julian Fellowes

La magie des séries de Julian Fellowes, un passé fantasmé… 

Pourquoi fantasmons-nous le passé ? La mémoire est un procédé complexe où les souvenirs associés aux émotions négatives disparaissent plus facilement que ceux associés aux émotions positives. Ainsi, une époque fantasmée comme la Belle Epoque ou le Gilded Age engendre plus de biais positifs que négatifs.

Plus qu’un fantasme, un biais politique. Trouver le « bon vieux temps », comme le veut l’adage, n’est pas une mince affaire. Une mission que le journaliste Jason Feifer s’est empressé d’accomplir.

« Une enquête récente menée par l’organisation à but non lucratif PRRI a révélé que 51 % des Américains pensent que notre mode de vie est pire que dans les années 1950. Mais les Américains d’après-guerre croyaient-ils vivre un âge d’or ? (…). Malgré la vision romantique que nous avons aujourd’hui de cette époque, les tensions étaient vives : la race, la classe sociale, la menace d’une guerre nucléaire, un système politique qui, selon les Américains, les avait trahis et une culture vidée de son énergie. »

Jason Feifer – Slate 

La recherche du bon vieux temps serait donc une affaire de politique, comme le moyen de pointer du doigt les tares d’une époque au profit d’une ancienne de laquelle la pensée politique aurait gommé les défauts. Un propos intrinsèque à Downton Abbey ou The Gilded Age de Julian Fellowes, où les aristocrates anglais de Downton déplorent, figés dans leur domaine, la mort d’un ancien monde et où le vieux New York de The Gilded Age calomnie outrageusement les nouveaux riches.

En dépeignant de façon romantique ces périodes, Julian Fellowes donne la nostalgie aux spectateurs d’une époque qu’ils n’ont simplement pas connue. Des séries qui dessinent les traits d’une époque loin de leurs problématiques contemporaines, mais qui s’infusent de leurs propres biais modernes. Une idée que l’on pourrait retrouver à travers le personnage de Sybil Crawley dans Downton Abbey, jeune militante aristocrate pour le droit des femmes et des travailleurs, dont la mort en couches sera probablement un des rares épisodes traumatiques de la série. Il rappellera aux spectateurs, comme un léger sevrage de nostalgie, la réalité de la dangerosité de l’accouchement de l’époque.

Lady Sybil Crawley (Jessica Brown Findlay) choque sa famille habillée d’un pantalon – Downton Abbey par Julian Fellowes

Dans l’écrin du soap opéra 

The Gilded Age de Julian Fellowes suit avant tout le destin de femmes qui essayent de s’en sortir dans un monde et une société hautement raciste et misogyne. Une problématique toujours autant présente de notre temps, sous différentes formes. Ces séries offrent donc un portait entre fantasme d’une époque que l’on ne connaitra jamais et projection dans des problématiques modernes.

C’est la magie du genre du soap opera. Un courant télévisuel populaire des années 50 où (le plus souvent) la spectatrice suivait les affres et tourments invraisemblables d’une famille ou d’un groupe de personnes. Des intrigues que le critique Steve Neale définissait par des « rencontres inespérées, des rendez-vous manqués, des revirements soudains, des sauvetages et des révélations de dernière minute ».

La série d’époque à la Julian Fellowes est donc un savoureux mélange de déconnexion de notre propre réalité à laquelle on appose un regard ultra-moderne et critique. Une échappatoire critique sur notre propre société.

 Les œuvres de Julian Fellowes sont tirées de faits réels, mais ne sont pas pour autant ouvrages d’historiens. Entre conservatisme, modernisme et romantisation, celles-ci puisent dans l’imaginaire collectif d’un fantasme du « bon vieux temps », tout en l’infusant des problématiques sociales et politiques de notre société moderne. En attendant, The Gilded Age saison 1 et 2 est disponible sur la plateforme Max et Downton Abbey sur Netflix. 

Sources :

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