Le festival du film fantastique de Menton, qui célébrait cette année sa 7ème édition, a une nouvelle fois permis de révéler de nombreux jeunes talents. Parmi eux, Marine Hébert, réalisatrice prometteuse qui venait présenter son premier court-métrage : Tomoe.
Synopsis : Japon, 1860. Tomoe aspire à devenir « onna-bugeisha », femme combattante. Mais Masaki, son maître d’armes, retarde étrangement le duel cérémonial. Masaki met-il à l’épreuve sa jeune disciple ou aurait-il peur de la confrontation ?
Dès les premières images de Tomoe, on comprend que le festival se soit empressé de le sélectionner. En effet, parmi toutes les œuvres présentées sur les trois jours, peu démontrent une telle maîtrise de la réalisation, du plan, du cadre. Étonnant et impressionnant pour un premier film dont la scénariste, la réalisatrice et la monteuse ne font qu’une. Marine Hébert, tout comme son film, a su cocher toutes les cases.
Pourquoi on aime
Tomoe (l’œuvre) ne craint pas les longs mouvements de caméra. Ses travellings et ses panoramiques sont beaux, précis. Mais la réalisatrice a également su capter la beauté du cinéma japonais dans les plans fixes où le mouvement est interne. L’œil ne cesse d’être captivé par les personnages ou les éléments qui traversent l’écran et qui en utilisent tout l’espace. La profondeur de champ est exploitée au maximum. Même lorsque les personnages et la caméra sont immobiles on s’émerveille devant ces plans qui ne dénatureraient pas dans un musée ou sur une estampe.
En plus d’une composition que Kurosawa n’aurait pas reniée, Marine Hébert nous offre une lumière et des couleurs superbes. Ces dernières imprègnent chaque scène, baignant l’atmosphère de bleu, de vert, de rouge. Quant aux textures, elles sont presque palpables. On sent la douceur et la dureté des écailles de tortue, la fragilité et la putréfaction des feuilles mortes, la rudesse du papier, la chaleur molle de la nourriture, la fraîcheur vive de l’eau. Mention spéciale aux costumes qui sont tout simplement superbes et qui portent presque les acteurs parfois.
Mais là où on apprécie le plus la démarche de la réalisatrice, c’est dans son propos. Car sa mise en scène n’est pas vide, elle est au service de l’histoire. Et fidèle à la devise du cinéma, Marine Hébert montre au lieu de dire. Le film ne se perd pas en dialogues interminables, les échanges sont même minimalistes. C’est la caméra qui se charge de montrer l’état émotionnel des personnages et leur dynamique relationnelle. Et on touche là au cœur de Tomoe : ses personnages.
Les personnages
Marine Hébert fait également preuve d’une touchante justesse dans son sens du portrait. Les personnages sont peu nombreux et incarnent à la fois des rôles familiaux, des rôles générationnels, des rôles sociaux. Avec très peu de mots, on comprend pourtant toute la portée des sentiments qui les animent. Les acteurs jouent tout en retenue, mais la force de leurs émotions nous frappe, sous-jacente, bouillonnante.
Tomoe est un récit d’émancipation. Celle de son personnage éponyme, incarné par Yumi Narita, contre les codes de la société de l’époque et sa situation personnelle. Elle qui n’a que subi, enfermée dans le cadre, dans sa position, dans sa vie, veut s’en libérer. Quant au sensei du film, joué par Gen Shimaoka, il brise agréablement le lieu commun du vieux maître idéalisé et digne sous tous les angles. Ici, il s’agit avant tout d’un homme, avec ses faiblesses et ses défauts. L’enfant du couple, à qui Ryusei Koike donne vie, est lui aussi agréablement juste. Oscillant entre excitation enfantine et soumission aux codes qui lui ont été enseignés, il campe un jeune garçon lui aussi très touchant.
Interview de Marine Hébért
Cultea : Qu’est-ce que représente Tomoe dans votre parcours ?
Tomoe est mon premier film réalisé, c’est un gros événement pour moi. Je viens du montage, j’ai d’abord été assistante monteuse, puis monteuse. Ce film représente mon désir d’indépendance et d’autonomie. Un projet sur lequel je peux m’exprimer librement.
Cultea : Comment vous êtes-vous familiarisée avec la figure de l’onna-bugeisha (femme combattante dans le japon médiéval) ?
Au détour d’un article scientifique, tout simplement. J’avais envie de décortiquer mon rapport à l’autorité et ça m’a parlé immédiatement. Leur histoire reflétait ma recherche intérieure. J’ai écrit le personnage de Tomoe qui a métaphorisé mes propres émotions. Cependant, le film n’est pas une adaptation de la vie de Tomoe Gozen (ndlr : fameuse onna bugeisha). Je voulais une femme plus ordinaire pour aller chercher des émotions plus personnelles. Mais un historien consultant a travaillé sur le film pour assurer une certaine cohérence : Julien Peltier.
Cultea : Étiez-vous déjà sensible à la culture japonaise ?
J’ai découvert la culture japonaise à travers le cinéma, et surtout les films de Chanbara (ndlr : films de sabre). J’ai aussi lu L’éloge de l’ombre de Tanizaki, plusieurs œuvres de Mishima et j’aime beaucoup Baby Cart, la saga de films adaptée de Lone Wolf and Cub (ndlr : manga de Kazuo Koike et Goseki Kojima).
Cultea : Quels sont les œuvres ou les artistes qui vous ont inspirée sur Tomoe ?
Du Chanbara j’ai tiré la mise en scène des éléments naturels qui métaphorise l’état mental des personnages. Je me suis aussi inspirée des méthodes de travail de Soderbergh. Il fait un découpage assez singulier, avec un rythme interne à ses plans. Enfin, je peux citer Sidney Lumet pour la direction d’acteurs qu’il décrit dans son livre.
Cultea : Enfin, si vous aviez des films fantastiques à conseiller à nos lecteurs, lesquels choisiriez-vous ?
Je dirais Les Innocents de Jack Clayton et Invasion of the Body Snatchers de Philip Kaufman (1978).
Marine Hébert a su bénéficier d’une production hors du commun, pour faire de Tomoe une œuvre de très grande qualité. Et au Japon, on est du même avis, puisque le film sera projeté au prochain Karatsu Rising Sun International Film Festival . On espère donc la retrouver bientôt avec d’autres projets, pour replonger dans son univers élégant, harmonieux et méticuleux.
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