Le jeu vidéo est encore un média nettement utilisé pour apporter une importante critique sur la société et les droits des êtres humains. Preuve en est avec Fantastic Fetus, un petit jeu indépendant, mais dont le sujet est extrêmement important aujourd’hui. Eh oui ! Le jeu vidéo peut aussi ouvrir la parole sur les questions de la grossesse et de l’avortement.
Les jeux dits « empathy games » ont décidé de mentionner l’avortement et son contexte politique et sociétal à travers ce média du divertissement. Preuve encore que le jeu vidéo peut aller plus loin que traiter simplement des traumatismes humains. Bien que l’on puisse suggérer que cette thématique existait déjà à travers certains jeux vidéo. Cependant, il aurait été sérieusement difficile de promouvoir un jeu traitant du sujet. Thème encore très sensible de nos jours, l’avortement est une problématique peu abordée dans l’industrie vidéoludique, mais qui mérite tout de même une attention toute particulière.
Fantastic Fetus !
À l’occasion de la découverte de ce jeu toujours autant d’actualité, nous sommes allés à la rencontre d’Aleksandra Jarosz, développeuse polonaise chez Pigmentum Games, dont Fantastic Fetus est la première œuvre ! La conceptrice, diplômée des Beaux-Arts de Katowice, compte bien utiliser le jeu vidéo pour aiguiser les consciences. Le jeu est entièrement disponible en ligne, gratuitement !
La musique est entêtante, les graphismes sont en noir, bleu et blanc. L’écran nous révèle un amas de pixels nostalgiques. Dès les premières minutes du jeu, l’impression de redécouvrir un Tamagotchi se fait ressentir. Fantastic Foetus joue en effet beaucoup sur la carte du rétrogaming. Pourtant, jamais un sujet ne fut autant d’actualité.
En particulier en Pologne, pays d’origine de la conceptrice où la quasi-interdiction de l’avortement se décide à travers de terribles manifestations depuis déjà plusieurs mois. Le jeudi 22 octobre 2020, le Conseil constitutionnel polonais avait rendu un arrêt très controversé stipulant que les IVG, même dans le cas d’une « malformation grave du fœtus » ou d’une « maladie incurable », étaient inconstitutionnels. Sorti en 2019, le jeu pouvait aussi faire écho à la loi anti-avortement votée en Alabama, aux Etats-Unis.
« L’idée de créer le jeu Fantastic Fetus nous est venue il y a deux ans. Comme vous le savez probablement, le bon parti PiS (Droit et Justice) dirige toujours le pays. La première fois que l’idée de restreindre la loi sur l’avortement en Pologne est apparue en 2016. Elle a provoqué des manifestations massives à l’échelle nationale, nommées Black Protests. Le projet de loi a été abandonné, mais les femmes polonaises savaient que ce n’était pas le dernier mot du parti au pouvoir. Les gens ont beaucoup de fausses croyances et d’imaginations de grossesse. Ils ne pensent pas que parfois la biologie fait des erreurs, ce qui conduit à de terribles aberrations du fœtus. Dans ce cas, nous devrions fournir aux femmes les soins de santé qu’elles méritent. »
We know and we understand #Alabama #AlabamaAbortionBan
In 2016 Poland was facing the same problems #BlackProtests.
We want to share our game #FantasticFetus as a symbol of solidarity.
Twitter could you give with us contacts to press&influencers?https://t.co/2HvhQoDHQv pic.twitter.com/63hAbRtAup— Aleksandra Jarosz (@AKJarosz) May 16, 2019
Un Tamagotchi pour éveiller les consciences !
Ainsi, le but du jeu est de vivre le quotidien d’une femme durant les neuf mois de la grossesse. Il faut donc prendre soin de son état de santé et de faim jusqu’à ce que vienne l’accouchement tant attendu. Toutefois, une curieuse surprise attend à la fin du jeu. Nous ne la dévoilerons pas, mais elle constitue toute la question politique de l’avortement en Pologne. Le jeu étant très explicite dans son message final, on réalise alors que la conceptrice voulait sensibiliser le public à l’importance du « pro-choix » dans une société qui menace d’une lourde peine de prison quiconque souhaite se faire avorter.
Aleksandra Jarosz ajoute :
« Fantastic Fetus essaie d’expliquer sur le plan intellectuel et émotionnel l’importance du choix des femmes. Tant que la grossesse est liée au corps de la femme, cela devrait toujours être son choix. Nous devons leur faire confiance qu’ils savent ce qu’ils font. Cette femme peut prendre les bonnes décisions pour elle-même et sa famille. »
La conceptrice ajoute également à propos de la situation en Pologne :
« La situation en Pologne est dramatique. Dernièrement, le parti au pouvoir a tenté de convaincre la société que la communauté LGBT est dangereuse, ce qui a conduit à de nombreux actes d’agression envers ce groupe. 22 octobre, l’arrêt de la cour constitutionnelle a interdit l’avortement lorsqu’un fœtus a des aberrations mortelles. 98 % des avortements légaux en Pologne sont dus à ce cas. Cette réglementation obligera les femmes à être enceintes, même si elles savent que l’enfant mourra pendant ou peu après la naissance. Cela met en danger la santé physique et mentale des femmes polonaises.
Les protestations ont été une réponse immédiate. Chaque jour, différents groupes sociaux se joignent aux femmes polonaises. Chauffeurs de taxi, agriculteurs, employeurs, LGBT, médecins, voire policiers. Au bout de 8 jours, on pouvait dire que tout le pays était en protestation. Les gens dans la rue se battent non seulement pour de nouvelles lois sur l’avortement, mais aussi pour la démission du PiS. C’est une révolution. Le peuple polonais se bat à nouveau pour la liberté. »
Que l’on aime ou non, Fantastic Fetus est une expérience très courte, mais qui ne laisse pas indifférent. Retenons surtout que la création d’Aleksandra Jarosz est une très bonne ouverture à la parole sur un thème délicat pour le jeu vidéo. On espère que l’art vidéoludique pourra toujours traiter de problématiques importantes au sein de la société.
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