Représenter la Shoah à travers un jeu vidéo, tel est le pari risqué de The Light in the Darkness. En effet, cette œuvre vidéoludique est l’une des premières à aborder aussi frontalement l’Holocauste. Dans cette histoire, le joueur incarne des victimes de déportation… Et il n’est pas question ici de changer le cours de l’Histoire.
The Light in the Darkness offre une nouvelle preuve (s’il en fallait pour certains) de la puissante portée culturelle du jeu vidéo. L’œuvre pose ici une question délicate : comment raconter la Shoah à travers un jeu ? Pour son créateur, Luc Bernard, il ne s’agit pas là d’un simple divertissement, mais plutôt d’un outil pédagogique. L’objectif affiché est d’expliquer de façon ludique quelle fut l’entreprise d’extermination des juifs par les nazis.
Devoir de mémoire et respect de l’Histoire
The Light in the Darkness a demandé pas moins de deux ans de développement, dont la moitié fut consacrée à des recherches. En effet, pour créer son jeu, Luc Bernard a consulté les archives du musée américain du mémorial de l’Holocauste à Washington, ainsi que celles du musée de l’Holocauste de Los Angeles. Il put également rencontrer plusieurs survivants, afin de recueillir leurs expériences :
« Il faut absolument que tout soit exact, même si c’est un projet artistique » […] « On a tout vérifié, une fois, deux fois, trois fois. C’est pour ça que cela a été très dur. »
Luc Bernard
Mais le jeu vidéo est-il un bon médium pour transmettre l’histoire de la Shoah ? Luc Bernard en est convaincu et il n’est d’ailleurs pas le seul. Selon l’historien Tal Bruttmann, le plus important n’est pas le média utilisé, mais plutôt la pertinence des faits historiques :
« Si c’est un moyen d’atteindre un certain nombre de personnes en leur montrant ces événements et en les rendant acteurs d’une histoire inéluctable, l’idée n’est pas problématique. » […] « La démarche a l’air décente dans la volonté de respecter l’Histoire. »
Tal Bruttmann
Face aux éventuelles réticences quant à l’utilisation du jeu vidéo pour aborder ce thème, l’historien fit une comparaison avec la bande dessinée :
« Pendant très longtemps, la BD a été illégitime pour dénoncer la Shoah… Jusqu’à ce que Maus, ce vrai chef-d’œuvre, change beaucoup de choses. » […] « Que ce soit un jeu vidéo ne pose pas de problème, si ça permet une meilleure transmission. »
Tal Bruttmann
L’historien évoqua d’ailleurs d’autres médiums utilisés pour évoquer le sujet, notamment TikTok, où diverses institutions ont parlé de la Shoah :
« de manière plus ou moins décente, appropriée, ou problématique ».
Tal Bruttmann
Pas uniquement des institutions d’ailleurs ! On se rappelle de Lily Ebert, rescapée d’Auschwitz, qui s’est faite connaître sur TikTok en faisant découvrir le sujet aux jeunes générations.
La Shoah, un sujet encore tabou dans le jeu vidéo
Difficile d’aborder le sujet de la Shoah, notamment quand il s’agit de jeu vidéo. En effet, jusqu’ici, très peu s’y sont risqués. On peut évidemment citer l’emblématique série Wolfenstein, le jeu I have no mouth and I must scream ou encore The New Order… D’autres jeux indépendants et peu médiatisés (pas toujours de très bon goût) s’y sont également essayés, sans vraiment se démarquer. Ainsi, à l’heure actuelle, très peu d’œuvres vidéoludiques se sont aventurées à présenter un camp de concentration de façon réaliste.
Ce déficit de jeux abordant le sujet est une chose assez étonnante, quand on sait à quel point cet art est capable d’aborder des sujets difficiles. Le deuil, le racisme, le terrorisme, la vengeance, les maladies mentales, le fanatisme religieux… Autant de thèmes (et bien plus encore) abordés avec brio par divers jeux très réussis. Malgré tout, la Shoah semble rester une zone très inconfortable pour les créateurs (et probablement pour les éditeurs). Une chose que l’on peut comprendre au vu de l’importance du sujet. Toutefois, cela reste assez regrettable quand on connaît le potentiel éducatif du jeu vidéo.
« Ne pas avoir la Shoah représentée dans les jeux vidéo, c’était un problème. »
Luc Bernard
Un moyen d’aborder la Shoah dans des pays d’Afrique et d’Asie
Il est à noter que The Light in the Darkness n’est pas destiné expressément au public occidental. En effet, selon Luc Bernard :
« C’est un jeu international […] destiné aux pays qui n’ont pas accès à l’éducation de la Shoah. »
L’objectif est ainsi d’atteindre certains pays où l’Holocauste n’est quasiment jamais abordé. Le créateur prend en exemple le cas de l’Égypte :
« Où 90% des jeunes jouent aux jeux vidéo et où l’Holocauste n’est pas enseigné. »
Il souligne d’ailleurs que, même dans les pays censés être éduqués sur la question, il a pu constater un manque cruel de connaissances concernant l’Holocauste :
« C’est vraiment la France qui a aidé, la France qui a déporté. Aux États-Unis, très peu de gens savent ce qu’il s’est passé en France. Ils pensent que c’est l’Allemagne toute seule qui a tout fait. »
Ainsi, The Light in the Darkness s’annonce comme un outil éducatif unique en son genre. Reste à savoir si celui-ci ouvrira de nouvelles portes thématiques pour le jeu vidéo dans son ensemble…
Sources :