L’année 2024 fut une merveilleuse parenthèse pour les documentaires dans les salles françaises ! Nous pourrions citer les incroyables Dahomey de Mati Diop, Riverboom de Claude Baechtold ou encore Bye bye Tibériade de Lina Soualem… 2025 sera-t-elle aussi prospère ? La journaliste Shiori Itō le confirme de son côté avec le merveilleux Black Box Diaries.
Black Box Diaries : le diamant brut des derniers Oscars !
Synopsis : Depuis 2015, Shiori Itō défie les archaïsmes de la société japonaise suite à son agression sexuelle par un homme puissant, proche du Premier ministre. Seule contre tous et confrontée aux failles du système médiatico-judiciaire, la journaliste mène sa propre enquête, prête à tout pour briser le silence et faire éclater la vérité…
Nous sommes fin janvier 2025 quand le monde découvre la nomination de Black Box Diaries à la 97e cérémonie des Oscars dans la catégorie « meilleur film documentaire ». Le premier film documentaire japonais à avoir jamais obtenu un tel sésame et œuvre multirécompensée qui prend racine dans les pages d’un livre du (presque) même nom « Black Box ».
Un ouvrage choc qui revient sur une des affaires précurseurs du mouvement MeToo au Japon : celle Shiori Itō autrice et réalisatrice des deux œuvres. Au Japon seul 4 % des viols font alors l’objet d’une plainte et, lorsque Shiori Itō en 2017 se manifeste publiquement pour dénoncer le viol qu’elle a subi de la part d’un journaliste puissant et proche du Premier ministre de l’époque, le monde s’écroule. L’agression a eu lieu en 2015, lorsque la loi ne criminalisait pas encore les « actes sexuels non consentis ».
La voix de la jeune femme (qu’on essaie de faire taire) devient alors le catalyseur des débats entourant ces lois archaïques vieilles de 100 ans. Les victimes, à l’époque pour « prouver » l’agression, devaient absolument apporter des preuves concrètes qu’elles avaient subi des « violences ou des intimidations mettant leur vie en danger ». Une véritable onde de choc. Black Box Diaries est actuellement distribué dans une cinquantaine de pays. Une liste sur laquelle le Japon ne figure pas puisque le film n’a, sur la terre concernée, encore trouvé aucun distributeur.

Black Box Diaries : Au cœur de l’authenticité.
Qu’est-ce qui fait la force, la beauté de Black Box Diaries ? La voix de sa réalisatrice.
Un documentaire, c’est aussi une œuvre cinématographique. Un bout d’art au service d’une « authenticité », d’une « vérité » que l’on retrouverait à priori moins dans ce que certains appellent le « Cinéma » avec un C majuscule. Et pourtant… Black Box Diaries est tellement plus. La virtuosité du film repose sur plusieurs éléments.
La narration de Black Box Diaries, entièrement illustrée de plans au téléphone pris par la réalisatrice elle-même, est d’une authenticité folle. Des plans mal cadrés pour montrer la fébrilité d’une caméra qu’on essaye de dissimuler. Des tremblements comme pour métaphoriser la plume angoissée d’un journal intime. Une narration non linéaire comme pour montrer les allers-retours incessants d’une mémoire traumatique et d’un emballement médiatique. En laissant de côté l’esthétisation, Black Box Diaries adopte une forme plus offensive, à l’image d’une Shiori Itō qui pour la première fois a le courage (et les moyens) de refuser le silence.
Le documentaire prend alors la forme, derrière les pages d’un journal intime, d’un véritable thriller politique qui ne pourrait que rappeler Erin Brockovich, seule contre tous ou le plus récent et injustement oublié Scandale de Jay Roach. Ce rythme effréné, (en plus d’empêcher qui que ce soit de clamer un quelconque ennui) devient la métaphore d’un des sentiments les plus palpables du film : la rage. Mais que dissimule ce cri ? La voix brisée d’une femme à jamais traumatisée.

Black Box Diaries : l’histoire d’une femme et de toutes…
Des images marquantes, il y en a dans Black Box Diaries…
Des insoutenables comme cette image, captée par une caméra de surveillance, de la jeune Shiori Itō extraite totalement inconsciente d’un taxi par les bras de son bourreau au pas de la porte d’un hôtel. Des poignantes comme ces plans face caméra de la réalisatrice qui craque de fatigue et de détresse devant cette situation ubuesque d’une victime devant prouver son statut. Et quelques images, qui le temps de la chute d’un pétale de cerisier sur un cours d’eau, dépassent la noirceur pour apaiser les cœurs de regardants et regardée.
Car c’est bien la lumière qui est au centre du documentaire, la lumière du bout d’un tunnel dont on souhaite par-dessus tout s’extraire. Pas de romantisation, pas d’esthétisation, mais beaucoup de poésie. Les séquences les plus émouvantes restent alors les plus vulnérables à l’image de celle où Shiori Itō qui, devant une assemblée de journalistes féminines, éclate en sanglots devant leurs paroles, trop rares, pleines de sororité. Des respirations que la journaliste aime qualifier de « couverture enveloppante ».

Black Box Diaries dresse le portrait d’un Japon ultra-moderne, mais corseté dans une mouvance patriarcale où la parole des femmes est niée. Mais le documentaire va également plus loin…
On s’attarde sur le bouton détaché de la jeune femme lors de la conférence de presse où celle-ci rend l’affaire publique. Ce bouton est bien la preuve qu’elle l’a cherché pour certains. Certaines femmes vont jusqu’à reconnaitre la culpabilité de l’agresseur tout en sympathisant pour le « pauvre homme ». Encore des carrières brisées… Porter plainte oui, mais anonymement, c’est mieux. Être victime oui, mais sans faire de vague, c’est mieux également…
Ces phrases, vous les entendrez partout. En s’attardant sur la réaction de la société devant celle qui devrait être soutenue mais qu’on préfère trainer dans la boue, Shiori Itō dresse un témoignage à la fois intime et (malheureusement) universel dans un monde où la parole des femmes et minorités en ébullition depuis 2017 est déniée.
La boite noire est un système dont le fonctionnement interne est délibérément illisible. La métaphore ne peut qu’être plus probante. En créant Black Box Diaries, Shiori Itō fait imploser la sienne. D’autres peut-être désormais le feront…
Black Box Diaries s’ouvre par un tunnel par lequel on s’engouffre. Nous espérons alors que ces quelques lignes apporteront à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une nouvelle piste vers une lueur d’espoir. « On vous croit » sera notre seule conclusion. Black Box Diaries, un documentaire de Shiori Itō à découvrir de toute urgence au cinéma le 12 mars 2025.