Alcibiade : retour sur la vie d’un Athénien haut en couleur !

Jules Chancel
Jules Chancel
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Alcibiade, homme à la beauté et à l’intelligence redoutables, aura beaucoup fait jaser dans les rues d’Athènes. Tantôt bienvenu, tantôt vilipendé, il ne laissait personne indifférent. Mais c’est cela, au fond, qui le définissait. Un être d’excès, d’insolence, mais surtout de stratégie. Revenons ensemble sur le parcours chaotiquement génial d’une star athénienne.

Une jeunesse dorée

Né en 450 avant J.-C., Alcibiade fait partie de la grande noblesse athénienne (Alcméonides). Fils de Clinias et de Dinomaque, il est grâce à cette dernière le petit-neveu du grand stratège Périclès. Ce dernier s’occupe très vite d’une partie de son éducation et l’adopte à la mort de son père en -447. Il le confie à différents précepteurs pour que le jeune homme apprenne la politique, l’art et la guerre. Alcibiade se révèle très doué, mais peu studieux… Il devient même un disciple de Socrate et apprend sa philosophie. Mais le jeune homme a des facilités, ce qui le rend insolent.

De plus, par la fortune familiale, il adopte rapidement un train de vie luxueux. Adolescent, il devient un jeune homme séduisant et intelligent. Bisexuel, il découvre les plaisirs charnels auprès des jeunes femmes, mais aussi auprès d’hommes plus âgés, notamment Socrate. Le poète Diogène Laërce le décrit en ces termes :

« Lorsqu’il était jeune, il détournait les maris de leurs épouses, et lorsqu’il était plus âgé, il détournait les femmes de leurs maris. »

De plus, il commet scandale sur scandale afin qu’on parle de lui en ville. Il est tellement fantasque qu’il est prêt à tout pour se faire remarquer. Plutarque rapporte par exemple qu’un jour, il coupa la queue de son chien pour que les Athéniens arrêtent un peu de parler de la sienne… Par la suite, se faire remarquer et provoquer des scandales deviendra sa marque de fabrique dans le jeu politique égéen. Notons qu’il y a un véritable basculement dans le fonctionnement politique athénien à partir d’Alcibiade, comme nous le verrons ici.

Alcibiade recevant les leçons de Socrate, François-André Vincent - Cultea
Alcibiade recevant les leçons de Socrate, François-André Vincent.

La vie politique et militaire

Le monde grec au Ve siècle

En -431 démarre la guerre du Péloponnèse. Ce conflit majeur de l’histoire de l’Occident voit s’opposer la ligue de Délos, menée par Athènes, à la ligue du Péloponnèse, menée par Sparte. La Grèce à cette époque n’est alors pas un tout uni, mais un ensemble de cités-États autonomes. Si, au début du Ve siècle, Sparte et Athènes s’unissent pour contrer l’envahisseur perse, ce n’est plus le cas 60 ans plus tard. En effet, Athènes a pris beaucoup d’ampleur. Pour repousser les Perses, cette dernière crée un regroupement de cités qui domine alors toute la mer Égée. Ainsi, même si la nouvelle flotte militaire est « commune », c’est véritablement Athènes qui commande. Se crée alors une rivalité entre les deux cités.

À force de lutter, Athènes finit par définitivement rebouter les Perses qui acceptent de signer la paix en -449. Ce traité signé, la ligue de Délos aurait dû être dissoute. Mais Athènes continue d’exiger son tribut annuel et menace d’interventions militaires si celui-ci n’est pas honoré. C’est la goutte d’eau. De plus, les sociétés athéniennes et spartiates sont diamétralement opposées. Athènes est une démocratie, tandis que Sparte est une oligarchie. La « couronne » de Sparte est dynastique, alors qu’à Athènes, le Stratège est élu. Enfin, l’Assemblée à Sparte n’a qu’un rôle de consultation, là où elle est décisionnaire chez les Athéniens.

Alcibiade sur les champs de bataille

La guerre du Péloponnèse est d’abord une guerre d’usure. Périclès est malin et décide de garder Athènes à l’abri derrière un mur tandis qu’elle se ravitaille par la mer. Il est à noter qu’Athènes mise tout sur sa large flotte surpuissante, tandis que Sparte est remplie d’excellents combattants terrestres. Ainsi, on retrouve Alcibiade au combat durant la bataille de Potidée (432-429). Bataille durant laquelle son ami Socrate lui sauve la vie. Alcibiade lui rendra la pareille quelques années plus tard en -424, lors de la bataille de Délion.

La trêve arrive finalement en -421, sous l’impulsion du général athénien Nicias. Au même moment, la cité d’Argos voit sa trêve avec Sparte menacée. Nicias propose que les Athéniens et Spartiates discutent calmement du sort de la cité. Alcibiade s’oppose à la paix et propose une alliance défensive à la cité. C’est son idée qui est acceptée. Argos et deux cités rejoignent Athènes, Alcibiade est nommé Stratège en -420.

La bataille de Potidée - Cultea

Alcibiade, politicien athénien

En -416, le bellâtre engage sept chars aux Jeux olympiques. Il y remporte trois récompenses, dont premier et deuxième. Avec les fêtes et la débauche qui s’en suit, il est célébré dans toute la ville d’Athènes.

Il se présente alors à l’Assemblée pour proposer une expédition en Sicile. Il prétexte vouloir aller aider leur allié, la cité de Ségeste. Mais la vérité est bien différente. Il entend surtout soumettre toute la Sicile, carrefour économique important du monde antique. Ce faisant, Athènes contrôlerait l’approvisionnement en blé de la ligue du Péloponnèse. De plus, la cité s’ouvrirait d’autres routes commerciales. L’Assemblée est enthousiaste, mais le sage Nicias s’y oppose. Il présente les dangers d’une telle expédition, l’intérêt uniquement pécuniaire de son opposant et le danger de laisser Athènes sans protection. L’Assemblée, ignorant le sage, décide d’envoyer cent vaisseaux !

Cependant, juste avant son départ, Alcibiade est accusé publiquement de sacrilège. On l’accuse d’avoir parodié une des plus grandes cérémonies du culte grec. C’est donc le cœur lourd qu’il part avec l’expédition, sachant qu’il sera jugé à son retour. Mais, en l’absence de ce dernier, une nouvelle dénonciation a lieu. On l’accuse d’avoir eu le premier rôle, celui du prêtre, dans la parodie. Il est immédiatement condamné à mort, ses biens sont confisqués et son nom est inscrit sur une stèle d’infamie.

On envoie alors un bateau le chercher en Sicile pour qu’il soit traduit. Cependant, sur le trajet du retour, le bateau du condamné disparaît… Alcibiade devient un exilé.

Athènes - Cultea

Alcibiade, le traître

Notre champion choisit comme terre d’exil la cité ennemie de Sparte. Et il est tellement influent et loquace qu’il devient conseiller des Spartiates. Il n’hésite alors pas à trahir Athènes en envoyant les flottes et troupes de Sparte directement en Sicile. C’est une véritable boucherie. L’armée athénienne est massacrée et Nicias, envoyé en renfort, est tué. L’expédition en Sicile, qu’il avait lui-même dessinée, se solde par la mort de 12 000 Athéniens et des prisonniers réduits en esclavage.

Alcibiade suggère par la suite d’aller étouffer Athènes au plus près, dans sa région de l’Attique. Sparte s’installe donc à Décélie en -413, une cité fortifiée à seulement 20 km d’Athènes. Puis, les Spartiates réalisent des blocus pour fragiliser son économie et envoient régulièrement des menaces…

Enfin, Alcibiade révèle que les plus gros contributeurs financiers de la ligue de Délos se trouvent en Asie mineure (actuelle Turquie). Ainsi, il est envoyé négocier un changement de camp auprès de ces cités. Il part en Ionie, négocier avec les Perses. Il parvient à rallier quelques cités, mais l’influence athénienne tient bon. Un peu trop d’ailleurs, ce qui éveille des soupçons chez les Spartiates. Ces derniers commanditent l’assassinat d’Alcibiade. De plus, Alcibiade étant toujours aussi provocant et désinvolte, il avait cru bon de faire un enfant à la femme du roi de Sparte…

Alcibiade est donc de nouveau en fuite…

Alcibiade chez les Perses

Ainsi, Alcibiade change encore de camp et rentre au service du satrape perse Tissapherne. Il réussit assez aisément à prendre le contrôle de cet homme qu’il va manipuler. Il se met à préparer son retour à Athènes. Le malicieux met alors en place, par l’intermédiaire de son nouveau pantin, de nombreuses manœuvres diplomatiques. Alcibiade contacte même les Athéniens de Samos et leur explique que le satrape est prêt à s’allier à Athènes si celle-ci abandonne la démocratie. L’Assemblée d’Athènes refuse, mais d’autres événements font basculer la cité dans l’oligarchie en -411. Par un jeu de leviers, Alcibiade sympathise avec le pouvoir de Samos et devient général de leur flotte. À ce poste, il reprend avec l’indécence qu’on lui connaît la politique de paix autrefois entreprise par Nicias.

Dans le même temps, Athènes renverse son oligarchie et redevient une démocratie. La nouvelle Assemblée, qui n’a apparemment pas de mémoire, demande le retour du grand Alcibiade. Ce dernier préfère attendre un peu pour être certain que tout est calme. Il en profite pour réaliser des prouesses militaires, comme par exemple lors de la bataille de Cyzique (-410).

Enfin, consécration ultime, il prend possession de Byzance en -409. Les Athéniens lui réservent un accueil triomphal dans le port du Pirée. Il est élu Stratège en -407, on lui rend ses biens confisqués, on retire son nom de la stèle et on le célèbre.

Alcibiade face à Lysandre

Du côté spartiate, un nouveau leader se dévoile. Lysandre, brillant stratège, presque meilleur qu’Alcibiade, prend la tête des armées. Il négocie même le soutien des Perses. Lors de la bataille de Notion (-407), le général athénien Antiochos est vaincu largement par Sparte. Cette violente défaite provoque la destitution d’Alcibiade qui fuit à nouveau.

Alors que s’annonce la dernière grande bataille de l’existence d’Athènes, Alcibiade réapparaît. Il vient critiquer les positions et la stratégie des Athéniens et propose un meilleur plan de bataille. Mais il est ignoré et la bataille est une catastrophe… Athènes est ruinée, à genoux. Alcibiade part se réfugier là où on peut encore vouloir de lui : en Perse. Il se réfugie auprès du satrape Pharnabaze. En -404, sa maison est incendiée alors qu’il est à l’intérieur avec une femme. Plutarque écrit que, enroulant son manteau autour de son bras gauche, il s’élança l’épée à la main pour se battre une dernière fois. À peine la porte passée, il est criblé de flèches et de javelots.

Ainsi, à 46 ans s’est éteint l’homme le plus fantasque, désinvolte et impressionnant de l’histoire d’Athènes.

L'oraison funèbre de Périclès - Cultea

Il est peu de récits dans l’histoire qui marque autant que celui de la vie d’Alcibiade. Personnage charismatique et brillant de l’histoire athénienne, il se sera finalement fait écraser par ses nombreux défauts. Il est cependant intéressant de voir comment la trajectoire d’un seul individu a pu influencer le destin de toute une région du monde ! 

 

Source :

Jacqueline De Romilly, Alcibiade, Paris, Éditions de Fallois, 1967.

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