Tout commence en un plan. Une image étrange, rapprochée d’artefacts où l’on pense distinguer quelques coquillages et ce qui s’apparente à un vieux bracelet d’hôpital défraîchi. Une voix se fait entendre. Elle « collecte », elle « documente » en couchant ses souvenirs « sur papier ». Le but ? Contrer la « peur qu’ils disparaissent ». Collecter, documenter et (surtout) filmer comme pour échapper au vide laissé par les souvenirs qui s’étoilent. Tel est le propos de Trans Memoria, premier long-métrage documentaire de la réalisatrice transgenre Victoria Verseau.
Collecter, documenter… Ne pas oublier…
Il y a quelque chose d’envoutant dans Trans Memoria. Est-ce à cause de ces étranges plages aux teintes grisonnantes ? De cette araignée qui s’échappe des bouts de plastiques éclairés par une lumière blanche ? Ou une voix, calme, posée qui nous invite à découvrir ce qu’elle n’a jamais dit à personne ? C’est peut-être ça la clef de Trans Memoria. La voix. Les voix.
Synopsis : « Victoria remonte le temps pour comprendre ce qui la définit en tant que femme et se confronte alors au deuil de son amie Meril. Le film devient un espace pour partager sa douleur et les souvenirs de son opération avec Athena et Aamina, elles-mêmes au début de leur propre parcours de transition. En retournant en Thaïlande, elles partent à la recherche des fantômes du passé et d’un futur meilleur. »

Une décennie s’est passée depuis que Victoria est partie en Thaïlande pour se faire opérer. Avec elle se trouvait Meril, qui depuis a mis fin à ses jours. Un fantôme bruyant dont le vide s’exprime dans chaque extrémité de la caméra. Un lit vide devient le témoin de celle qui s’y était couchée. La rencontre de Victoria avec Athena et Aamina, à l’aube de leur parcours de transition, rappelle douloureusement à la réalisatrice qu’elles étaient deux. Prendre la caméra devient, peut-être, le seul moyen de figer les images. Pour que jamais le vide ne les remplace.
Le travail de la photographie, signé Daniel Takács, est dans ce sens à absolument saluer. Le dispositif cinématographique de Trans Memoria est d’une redoutable efficacité. Une voix off sur de plans majoritairement fixes et longs. Toute la virtuosité de la plasticité repose par conséquent sur l’alliance de ces deux éléments. Quand la caméra filme les ruines d’un centre commercial délabré, Victoria parle d’un lieu magique où elle avait essayé son premier bikini en compagnie de Meril. Une image, un son, pour nous faire comprendre instantanément la douleur qui déborde de ces deux éléments. Des images vivantes pour une réalisatrice terrifiée à l’idée que les choses disparaissent.

Trans Memoria : repousser les limites de la figure de la documentariste.
Trans Memoria offre un regard aussi poétique que cru sur le parcours des femmes transgenres en levant le voile sur le tabou de l’opération. Victoria doute constamment. L’opération, malgré la libération qu’elle a offerte à la jeune femme, en valait-elle la peine devant toutes les séquelles qu’elle provoque ? Qui est-elle après l’opération ? Qui sommes-nous une fois que notre plus grand rêve se réalise ? Que faisons-nous ? Des questions que la réalisatrice se pose et nous pose dans une forme mélancolique absolument désarmante.
Raconter son histoire et les histoires devient donc un moyen d’avancer. D’explorer son être et sa féminité. C’est en tout cas le propos de la réalisatrice. Filmer la chirurgie dans la joie qu’elle procure comme la douleur qu’elle inflige devient un moyen de redonner la parole à celles qu’on essaie de faire taire. La lumière crue comme meilleure réponse aux mythes nauséabonds du fléau de la transphobie.
Trans Memoria, se refuse néanmoins à toute forme d’unilatéralité du point de vue. Une idée que la réalisatrice met en scène par la confrontation de sa figure créative devant les témoignages d’Athena et Aamina. Une des critiques qu’on aurait pu faire au documentaire est sa mélancolie tirant presque sur le pessimisme. Un angle que la réalisatrice assume en se confrontant diégétiquement à d’autres femmes trans lui reprochant que son documentaire pourrait donner une mauvaise image de la transition. Mais le titre Trans Memoria porte en lui cette universalité. Trans Memoria est un point de vue, celui de Victoria, mais au centre de milliers d’autres.
Il y a « autant d’histoires et de perspectives qu’il y a de personnes trans » déclarait la réalisatrice. Trans Memoria est le récit de Victoria, entrechoqué de ceux de Meril, Athena et Aamina. Un moyen de multiplier les points de vue devant l’effacement d’une identité dans un monde de plus en plus hostile à celle-ci.
De notre côté, il est de notre devoir en tant que média de relayer cette parole. Trans Memoria, un documentaire de Victoria Verseau avec Athena Love et Aamina Larsson à découvrir à partir du 19 novembre 2025 au cinéma.
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