Interview de Yves Girouard, auteur de « Elsa Malt : L’Odyssée des Consciences »

Interview de Yves Girouard, auteur de "Elsa Malt : L'Odyssée des Consciences"

« Passionné de beaucoup de choses, mais expert en rien ». C’est comme ça que se décrit Yves Girouard, l’auteur de Elsa Malt : L’Odyssée des Consciences, son nouveau roman. Yves Girouard multiplie les casquettes. Ancien chef d’entreprise, maître de conférences en sciences sociales, auteur français, il a exercé dans des établissements prestigieux comme l’école Arts et Métiers ParisTech. Passionné par des domaines variés comme la science, l’anthropologie, l’astronomie, la géopolitique, l’histoire, la religion et les thématiques sociétales, il se consacre désormais à l’écriture. En avril dernier, il a publié Elsa Malt, l’Odyssée des Consciences aux Éditions Baudelaire. Un livre qui explore des thématiques comme le transhumanisme, l’impact de la technologie et les enjeux éthiques liés à la survie de l’esprit humain. Il y a quelques semaines, on a eu la chance de le rencontrer le temps d’un long entretien autour de son œuvre, de ses idées et de ses passions.

Comment décririez-vous votre style d’écriture ? Notamment dans Elsa Malt.

Ce que je voulais faire, c’est que le lecteur soit plongé dans le quotidien d’Elsa Malt. A la fois dans le quotidien de son travail, mais aussi dans le quotidien de son esprit. Sa psychologie, ses réflexions, ses prises de décision, les questions qu’elle se pose, etc. Qu’on soit vraiment plongé dans sa tête comme un journaliste qui va suivre un personnage qui cherche à monter un projet. […] Je voulais faire une épopée. Donc vraiment donner un style évidemment plus direct. Il y a moins de prises de recul, d’emphase, etc. J’ai cherché à être direct. Avec des phrases plus courtes, moins ronflantes, de mon point de vue bien sûr. […] Puis, quand les problèmes surviennent, on suit la manière dont elle réagit. A la base, elle part avec des valeurs très strictes, un code éthique, etc. Au fil de l’eau, quand les problèmes arrivent, notamment commerciaux, […] elle va remettre en question ses valeurs. Progressivement, face aux enjeux, ce personnage va se transformer et transformer sa propre conscience, ses valeurs, ses principes. Elle va les transgresser pour sauver sa propre créature. C’est un cheminement que je trouve vraiment intéressant.

Yves Girouard
Yves Girouard
Ne pensez-vous pas que l’absence de description ou d’éléments visuels pourrait perdre le lecteur ?

Je voulais que les gens se fassent leur propre monde via leur imagination. C’était un processus volontaire. Et puis je donne quand même quelques éléments visuels et de description, mais j’ai plutôt fait le focus sur l’action.

Qu’avez-vous mis de vous dans le personnage d’Elsa Malt ? Et pourquoi avoir choisi un personnage féminin ?

Déjà il y a son côté entrepreneur. Ça c’est certain. L’intérêt qu’elle porte à pas mal de sujets. […] Globalement, elle a une sensibilité que je partage. Une sensibilité à la liberté de population. Elle s’intéresse aussi à l’anthropologie. Et à la liberté individuelle. […] J’ai vraiment essayé de me mettre dans la psychologie du personnage. C’est-à-dire quelqu’un qui est vraiment un génie. J’ai essayé de faire la synthèse de beaucoup de sujets. Surtout elle sait coordonner toute une équipe de brillants spécialistes. […] Mais je n’ai pas cherché à délivrer un quelconque message en choisissant un personnage féminin. Dès le départ, j’ai conçu mon héros comme une héroïne. Je pense qu’il y a deux raisons à cela. Déjà, je trouvais ça sympa que, aujourd’hui, au sein des grands dirigeants, on mette une femme au milieu des hommes. Aujourd’hui, les grands entrepreneurs comme Bill Gates, Jeff Bezos ou encore Elon Musk sont majoritairement des hommes, même si des femmes commencent à se démarquer. Donc je voulais créer une sorte de continuité du monde occidental. Je voulais qu’en 2054 des femmes s’imposent comme des grandes cheffes d’entreprise, comme des leaders. Puis, la deuxième idée est du ressort de l’émotion. Je voulais que mon personnage apporte une certaine forme de sensibilité qu’un homme n’aurait peut-être pas apportée de la même manière. Un management plus rationnel, plus équilibré. Et puis, il fallait au départ, pour lancer le projet, qu’il y ait un fait générateur qui soit extrêmement puissant. Pour que le personnage fasse ce projet de manière irrépressible. Ici c’est le décès de son fils. Et je trouve que le lien père-fils est moins puissant que le lien mère-fils. Là c’est vraiment quelque chose de charnel. Donc directement ça renforce la dramaturgie, et ça renforce sa détermination pour la création de son projet. Elle veut annihiler la mort.

Pourquoi avoir choisi le deuil comme point de départ ?

Je pense que ça n’aurait pas été la même psychologie de personnage si elle n’avait pas perdu son fils. Si elle avait simplement voulu travailler pour le progrès ou par une volonté mercantile, mon personnage aurait sans doute été moins sympathique. […] Il lui arrive quelque chose qui peut arriver à n’importe lequel d’entre nous, à vous, à moi, donc le lecteur se sent rapidement proche d’elle et peut s’identifier sans souci. Mais elle, elle a les moyens de ses ambitions. Ça crée dans le récit dramaturgique quelque chose qui est évident. […]

Elsa Malt : L'Odyssée des Consciences
Elsa Malt : L’Odyssée des Consciences
Quelles ont été vos influences ?

Pour être honnête, j’avais lu 1984 il y a longtemps. Mais je n’ai pas eu envie de le relire, pour ne pas me faire influencer. […] Je suis resté le plus loin possible de toute influence. Je me suis juste basé sur mon imagination. Après peut-être qu’inconsciemment des choses ont joué. Par exemple quand j’étais gamin, ça a certainement mal vieilli, mais j’aimais regarder Cosmos 1999. Je sais pas si vous connaissez. Et puis, à la base j’avais imaginé quelque chose de différent. Après oui, des choses comme 2001 : L’Odyssée de l’espace aussi. Mais j’ai vraiment essayé de me détacher. […] Mais ce qui m’a surpris, c’est que depuis que j’ai conclu cet ouvrage, que j’ai terminé fin 2023, je me suis amusé à suivre les avancées technologiques en rapport avec mon récit. C’est disponible sur mon blog d’ailleurs. Mais en tout cas, j’ai suivi toutes les avancées techniques et technologiques, voire anthropologiques qui sont sorties depuis que j’ai terminé mon bouquin. Et en fait beaucoup de choses corroborent. Et en fait, plutôt que de faire débuter mon intrigue en 2054, j’aurai dû la commencer bien plus tôt, comme en 2034.

Justement, comment avez-vous choisi vos dates ? Pourquoi débuter votre récit en 2054 ? Vous vous êtes dit qu’à cette époque, le monde ressemblera à votre roman ?

Pour être tout à fait honnête avec vous, au départ je voulais ancrer le récit en 2090. Mais entre le moment où j’ai débuté le projet et celui où je l’ai terminé, ça a pris deux ans. Même si je l’ai écrit en 3 semaines. Et bien durant ce laps de temps, les améliorations allaient beaucoup trop vite. Donc 2090 me paraissait trop loin. Je l’aurai sorti deux mois plus tard, j’aurai mis 2040. Par exemple, prenons les cerveaux. Moi j’ai imaginé qu’on sortait le cerveau des boites crâniennes. De la science-fiction pure et dure. Et bien pourtant, une équipe américaine […] a sorti des cerveaux de porcs de leur boîte crânienne. Ils sont restés une journée en dehors de leur environnement et ont continué à fonctionner. Ça c’est que le début. Autre exemple, la navette d’Elsa Malt fait le tour de la planète en 2 heures. Complètement fantasmagorique, me direz-vous ? Les Chinois ont sorti un moteur qui permettrait à un avion d’aller dans la stratosphère et de faire le tour de la planète en 2 heures. Encore un autre exemple, la NASA a sorti un moteur à plasma capable d’aller à 800 000 km/h et d’emmener une navette sur Jupiter. […]

Mais est-ce que vous ne pensez pas que les situations économiques et sociales qui dominent notre monde soient un frein à cet épanouissement technologique de 2054 ?

Je voulais qu’il y ait un aspect international dans mon livre. Elsa Malt est basée à Singapour, mais on croise des Chinois, des Américains, je voulais vraiment donner cette dimension internationale. Par exemple, je parle de la guerre sino-américaine dans mon roman. C’est une guerre nucléaire. Donc je ne pouvais pas placer ce contexte politique trop près de notre époque (même si ça peut arriver), ni trop loin parce que les considérations géopolitiques auront totalement changé. […] Donc 2054, je trouvais ça adapté comme époque.

J’aimeraiS vous parler d’un chapitre que j’ai beaucoup aimé, celui de la confrontation entre Elsa et le journaliste. C’est un véritable échange d’idéologies et une collision éthique totale. Elsa se range du côté de l’avancée technologique coûte que coûte, tandis que le journaliste met en exergue des considérations religieuses, le rapport au cycle de la vie, à la nature, etc.

Je suis ravi que vous me disiez ça, parce que j’avais peur que les gens le trouvent un peu long.

Mais du coup, en schématisant évidemment, de quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?

Haha, hmm, je dirais que, et c’est très sincère, je n’ai pas d’idée arrêtée. C’est-à-dire que je considère que le progrès scientifique est inéluctable. Même si on veut l’arrêter, on ne pourra pas. On a parlé de traités, de codes, de choses comme ça, mais c’est dans la nature humaine de chercher le progrès et de toujours aller plus loin. Donc à partir de là, il faut essayer de faire avec. Donc je considère que le transhumanisme, à titre personnel, ça m’effraie un peu. Mais on disait la même chose par exemple de la télévision ou d’Internet. C’est comme tout, il y a du positif comme du négatif. Le positif c’est que si on perd un bras on vous le remplace, vous avez une tumeur on vous l’enlève. C’est quand même pratique. Après, effectivement, il y a un côté négatif où, au-delà d’un certain cap, on va vous implanter des souvenirs, des croyances, pour vous orienter et vous faire penser des choses. On peut vous faire croire tout et n’importe quoi. […] Donc je n’ai pas d’idée arrêtée, mais je vois les limites. Maintenant je ne suis pas complètement opposé à ces idées, car ça apporte des bienfaits. […]

Est-ce que vous pensez que la religion est un frein au progrès ?

Factuellement dans l’histoire, elle l’a été. On peut tout simplement prendre l’exemple de Galilée. Il pouvait prôner la vérité, il était au centre de nombreux déboires. Donc factuellement, c’est le cas. Aujourd’hui elle peut continuer à l’être en fonction des territoires. Si vous allez en Iran, vous ne pouvez pas dire ou faire n’importe quoi. Mais je dirai qu’aujourd’hui, c’est moins le cas. La science a acquis ses lettres de noblesse et existe indépendamment de la religion. La religion peut évidemment donner son avis, mais elle n’empêche plus à la science de se développer. En revanche, et c’est à ça que touche le livre, elle peut avoir un impact sur la manière dont les populations vivent, reçoivent et acceptent le progrès. […] La religion finalement n’est pas foncièrement opposée au progrès, elle le serait plus d’une manière idéologique.

Est-ce que vous considéreriez votre roman comme un roman de science-fiction ou d’anticipation ?

C’est évidemment un peu des deux. Pour le moment, on n’a pas de complexe scientifique sur une lune de Jupiter. Donc c’est évidemment de la science-fiction. Mais c’est d’abord de l’anticipation parce que le livre se base sur des évolutions technologiques qui sont aujourd’hui à portée de main. Et qui le sont de plus en plus. Mais je dirais quand même que c’est les deux.

Parlons un peu d’Elon Musk. Est-ce que c’est un choix conscient qu’Elsa Malt, votre personnage, porte les mêmes initiales qu’Elon Musk ?

Oui évidemment. Même la sonorité des syllabes est connectée. Au départ, ce n’était pas ce nom-là que j’avais choisi. Je ne me souviens plus du prénom de base. Mais je me suis dit, finalement, ton personnage a tellement de similitudes avec Elon Musk. Donc j’ai trouvé ça drôle de faire une connexion quelque part. Donc j’ai décidé de faire une connexion avec ces initiales et la musique des prénoms.

Donald Trump et Elon Musk
Donald Trump et Elon Musk
Et du coup, quel est votre avis sur la figure d’Elon Musk ?

D’abord, c’est un génie. On peut être pour ou contre ses idées, ça n’en est pas moins un génie. C’est un génie scientifique, un génie des affaires. On ne peut pas lui enlever ça. Après on peut discuter de ses méthodes. Je pense que c’est un type complètement fantasque. Son génie est tellement hors norme qu’il pense différemment. Ses rêves qui deviennent réalité peuvent effectivement à un certain degré devenir un danger communautaire. Par exemple, son travail sur l’IA peut être potentiellement dangereux. […] De même, ses satellites créent une forme d’hégémonie. Quel est son projet in-fine ? C’est quand même une énorme prise de pouvoir. Pareil, il est intervenu en Ukraine. Il a coupé ses satellites pour intervenir politiquement. Mais c’est quand même le gars qui a monté la première entreprise spatiale indépendante. Aujourd’hui, la NASA s’adresse à Musk pour des aides financières et technologiques. C’est quand même fou. Et tout ce statut politique et son projet sur Mars, ont forcément été des sources d’inspiration pour mon personnage. Elsa Malt a sa propre société, elle a Callisto, et les entreprises internationales se tournent vers elle. Mais la différence, c’est l’implication politique. Elsa Malt n’est pas un personnage politisé. Elle côtoie des politiques, mais elle n’en est pas une. Elle ne fait pas de politique, ce qui n’est pas le cas de Trump… euh… haha… de Musk. Lapsus révélateur…

Est-ce que vous ne pensez pas que certains éléments comme le réchauffement climatique, les migrations de masse, la pauvreté, risquent d’être des freins au développement technologique ? Est-ce que vous voyez vraiment le monde comme ça en 2054 ?

Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne pense pas. J’y ai beaucoup réfléchi, et je m’intéresse de très près aux avancées technologiques. Je pense que, quelle que soit la situation de l’humanité, […] on sera capable de gérer. On sait se transformer, on sait évoluer. Après les contraintes politiques, les prérogatives de certains gouvernements vont être un frein à ce développement. Mais tous les scientifiques vous diront que même à 12 milliards d’êtres humains, on est capable de s’adapter. En tout cas, au niveau de la nourriture on a aucun problème. Concernant les ressources, oui elles sont épuisables sur Terre. Mais nos technologies vont nous permettre de trouver d’autres ressources, notamment sur d’autres planètes. Le tritium par exemple, il y en a plein sur la Lune. Donc on va être capable d’exploiter ces ressources. Il y aura aussi du voyage touristique évidemment, mais la première mission c’est d’exploiter les ressources. […] L’Homme dans l’histoire s’est toujours adapté. Je suis peut-être un doux rêveur, mais je pense que si l’humanité arrive à se mettre d’accord, on ne risque rien. Je suis inquiet pour les 30 prochaines années, qui vont être une période de transition, mais pas pour la suite.

Est-ce que vous considérez que les artistes ont un rôle à jouer dans cette transition ?

Je pense que les artistes ont un rôle à jouer dans la sensibilisation. Ce qui m’embête, c’est quand on nous vend du prêt-à-penser. Je n’aime pas ça. Je préfère que les gens pensent par eux-mêmes. J’ai essayé de faire un ouvrage qui amène à réfléchir. C’est aussi un divertissement, mais je veux qu’il incite à réfléchir. Mais je ne veux pas apporter de réponse. Mes personnages ont des idées et des croyances différentes, c’est au lecteur de faire son tri et son analyse. […] Donc je veux que mes lecteurs s’identifient à mes personnages. Je veux qu’ils se demandent comment ils réagiraient dans la même situation que mes protagonistes. […] Mais je veux que mon lecteur pense par lui-même. […] Donc je pense que les artistes doivent simplement sensibiliser. […]

Est-ce que vous pourriez imaginer une adaptation cinématographique ?

C’est marrant ce que vous me demandez. Parce que tous mes proches qui ont eu la gentillesse de me lire m’ont dit « mais ça ferait une excellente adaptation cinématographique ». Ce qui est rigolo, c’est que lorsque j’écrivais mon livre je visualisais déjà une actrice. Je trouve que Julia Roberts ferait une excellente Elsa Malt. […]

Quels sont vos prochains projets ?

Je travaille sur un nouveau roman. C’est un roman d’aventures, qui se déroule au XVIIIe siècle. […] On va suivre un personnage qui va fréquenter des personnalités réelles de l’époque. […] Ce nouveau roman va se dérouler en France, en Nouvelle-France et ce qui va devenir les États-Unis. C’est tout un parcours, avec énormément d’aventures. J’ai à peine terminé la première partie, donc il y a encore du travail. […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *