Après avoir mis en scène Border (2019) et surtout le très remarqué Les Nuits de Mashhad (2022), le cinéaste iranien Ali Abbasi est de retour avec son premier long-métrage en langue anglaise : The Apprentice. Pour l’occasion, il décide ici de se concentrer sur l’ascension de Donald Trump, magnifiquement campé par Sebastian Stan. Le metteur en scène se concentre ici sur les premières années du promoteur et futur président des USA, et notamment sur sa relation tumultueuse avec l’avocat Roy Cohn, incarné avec une froideur hallucinante par Jeremy Strong.
The Apprentice : un biopic pas comme les autres
C’est toujours difficile de réaliser un biopic sans prendre parti, sans se positionner, sans défendre une idée qui ne sera par définition pas universelle. Encore plus quand on s’attaque à une figure politique encore vivante comme Donald Trump. Logiquement, un biopic est censé relater les faits historiques, sans forcément prendre de position politique ou idéaliste. Mais avec un individu comme Trump, c’est encore plus compliqué de rester impartial.
C’est dans cette logique d’équilibre, de non-jugement, qu’Ali Abbasi a décidé de se concentrer sur la genèse de Trump, sur sa fabrication, sur son ascension. The Apprentice, plus qu’un film sur Trump, est un regard sur la relation entre le futur Président des États-Unis et son avocat de l’époque : le terrible Roy Cohn (Jeremy Strong). Il ne s’agissait pas, avec The Apprentice, de raconter tout le parcours de Trump de manière traditionnelle. Le film préfère se concentrer sur des épisodes phares de son développement en tant que figure politique et médiatique. Ce n’est pas un biopic traditionnel, mais plutôt un coup d’œil sur sa relation avec Roy, et sur son chemin à travers le prisme de son avocat.
Ainsi, The Apprentice est un récit d’apprentissage. Celui de Trump auprès de son mentor Roy Cohn. Ce dernier va se prendre d’affection pour Donald Trump et va lui apprendre toutes les ficelles du métier. The Apprentice jette ainsi un regard sans filtre sur un milieu gangrené, sur une manière de fonctionner vomitive. Roy lui a ainsi appris les rudiments de la politique, du mensonge, avec des règles simples :
- Règle N°1 : Attaquer. Attaquer. Attaquer.
- Règle N°2 : Ne rien reconnaître. Tout nier en bloc.
- Règle N°3 : Revendiquer la victoire et ne jamais reconnaître la défaite.
The Apprentice jette ainsi plus largement un regard sur la politique américaine, sur sa transformation, sur l’évolution d’une société qui ne cherche plus la vérité, qui ne cherche plus la justice, et qui est aveuglée par un semblant de pouvoir et de crédibilité pourtant si faillible. The Apprentice, plus que de narrer l’ascension de Trump, raconte toute la modification intrinsèque d’un monde politique de plus en plus pourrit, de moins en moins honnête. Et c’est en ça que le film est passionnant. Parce que Trump n’est finalement pas le vrai sujet, mais le simple prétexte, le simple instrument d’un système qui se gangrène de l’intérieur.
Sebastian Stan crève l’écran
Mais pas de panique, The Apprentice regorge de Donald Trump. Omniprésent dans le film, le personnage est brillamment incarné par Sebastian Stan. Ce dernier parvient à capter l’essence du politicien. Très crédible dans le rôle, l’acteur parvient à s’approprier ses gestuelles, ses mimiques, ses expressions faciales avec une crédibilité à toute épreuve. Son jeu évolue tout au long du film pour se caler sur le développement de son personnage. D’abord peu sûr de lui, Trump n’est qu’un jeune promoteur en quête de réussite. Puis, peu à peu, à force de pouvoir et de permissivité, le jeune Donald se transforme peu à peu en un monstre capitaliste et égoïste d’une cruauté sans égal.
Peu à peu, Trump se mue en une version plus jeune et plus ambitieuse de Roy Cohn. La relation entre les deux hommes est parfaitement traitée, passant de rapport de mentor à élève, à une trahison en bonne et due forme façon Brutus et César. L’apprenti dépasse le maître, que ce soit en manigances politiques autant qu’en cruauté sociale. Le jeune Trump devient alors un monstre absolu, désireux de combler un vide avec son envie névrotique d’accumulation de pouvoir et d’influence. Une manière pour lui de se protéger contre son propre dégoût de lui-même, contre son vieillissement et ses problèmes de santé. Un vieillissement, un regard superficiel sur le corps, qui sont également abordés par Ali Abbasi.
The Apprentice est quasiment un drame Skakespearien, dans lequel Trump est constamment à la recherche de lumière, ce qui explique son addiction actuelle à la notoriété. Mais Ali Abbasi a voulu conserver les faiblesses de ses personnages. Il dépeint ainsi parfois Trump comme une figure vulnérable, un personnage de chair et de sang, faible, faillible, qui entretient des relations polluées avec sa propre famille, avec ses amis, et qui a un rapport problématique au corps et au vieillissement. Donald est un personnage ambivalent, qui rythme les aléas du film.
Mais ce qui anime surtout The Apprentice, c’est la dynamique entre Roy et Donald. Le mythe du disciple et de son mentor est omniprésent dans le film de Ali Abbasi. The Apprentice étudie ce mythe et aborde la transformation mutuelle de deux hommes. Deux trajectoires qui finissent par se croiser et s’inverser. Il se sert de cette relation pour dénoncer un système vérolé, qui a placé Trump à la tête des USA. Le regard sur une société qui ne cherche plus la vérité, mais simplement la victoire, coûte que coûte, peu importe les conséquences. Ainsi, The Apprentice ne raconte pas l’histoire d’un homme politique, mais celle d’une relation entre deux requins, et d’un système moderne foireux… Une réussite !
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