À quoi ressemblerait un film qui décortique minutieusement les tribulations de l’impossible deuil d’un couple déjà depuis longtemps éteint ? Probablement à une œuvre comme La Mélancolie de Takuya Katô.
La Mélancolie d’une mort cruelle des sentiments
Synopsis : « Après la perte brutale de son amant, Watako retourne discrètement à sa vie conjugale, sans parler à personne de cet accident. Lorsque les sentiments qu’elle pensait avoir enfouis refont surface, elle comprend que sa vie ne pourra plus être comme avant et décide de se confronter à tous ses problèmes. »
Le film s’ouvre ainsi sur le personnage de Watako (Mugi Kadowaki), une femme coincée dans un mariage sans saveur qui, à l’aube de la narration, s’offre des escapades amoureuses dans des campings de luxe auprès de son amant Kimura (Shôta Sometani), lui aussi marié. Une parenthèse enchantée qui se brise lorsque celui-ci décède brusquement après avoir été percuté par une voiture. Watako à ce moment aurait pu intervenir. Elle aurait pu, dans un souffle désespéré, tenter de le sauver. Chose qu’elle ne fit jamais…
La jeune femme se voit donc dans l’obligation de retourner à la nonchalance de sa vie maritale. Une existence désormais rongée par deux formes de culpabilité. Celle d’avoir brisé la fidélité de son mariage, et surtout, celle de n’avoir rien fait pour sauver l’homme qu’elle aimait.
Un deuxième long-métrage signé par Takuya Katô, qui, sous l’iris de sa caméra, filme dans une froideur presque documentaire la dissolution niée d’un mariage.
Comment filmer la nonchalance ? La survie avant la vie ?
Comment filmer la dépression ? L’étincelle de vie qui s’éteint dans l’œil d’une jeune femme, prisonnière de sa propre existence ? Par la distance. Un écart du quatrième mur caractérisé par une mise en scène de l’espacement, traduite par des choix formels cinématographiques percutants !
Pour montrer cette nonchalance, cette froideur d’une vie sans aucun sel, le réalisateur fait le choix de placer sa caméra et ses personnages dans un décor extrêmement théâtral, presque surnaturel. Un découpage ponctué de plans fixes et larges qui se marie alors parfaitement avec une photographie soignée. Une palette de couleurs ternes, mais d’une merveilleuse profondeur de teintes grises et bleues.
Une extériorité des décors et de l’ambiance qui reflète alors parfaitement la psychologie de Watako. Une femme qui, enfoncée dans une profonde dépression, laisse alors son existence défiler devant elle. Les scènes avec son amant en sembleraient presque dénuées de sentiment. Une illusion d’une fugace échappatoire arrachée par les roues d’un chauffard. Un récit lent et répétitif, qui dépeint ainsi avec perfection la prison du mariage. La prison (soulignée par le format 4/3) d’un serment d’une vie à deux qui n’a plus sens quand les sentiments sont absents.
Une froideur, une pointe sans saveur
Une maitrise parfaite de la plasticité de l’œuvre cinématographique qui ne se retrouve néanmoins pas dans la narration et le scénario.
La torpeur de la mise en scène se retrouve en effet un peu trop dans le scénario. Dans le sens où cette volonté de mise à distance de l’œil du spectateur l’éloigne indéniablement d’une forme de sympathisation pour le film et son héroïne. Le long-métrage questionne de nombreux codes et mœurs de la société japonaise, si bien que chacun d’entre nous peut s’y retrouver en interrogeant ses propres angoisses sur ces sujets, c’est certain. Seulement, la répétition extrême des évènements, le manque d’ancrage ou le manque de paroles sympathisantes nous empêchent de totalement se plonger dans le récit. Nous comprenons la détresse de Watako sans jamais la ressentir.
Une vraie proposition plastique, un véritable morceau de cinéma, mais qui peine néanmoins à nous impliquer totalement dans la narration. Un récit qui manque de ce retentissement que nous avions pu retrouver dans des films sur un sujet similaire comme Le Bonheur d’Agnès Varda. La Mélancolie d’avoir manqué de quelque chose.