Une heure avec Philippe Touzet, auteur de théâtre et de radio

Une heure avec Philippe Touzet, auteur de théâtre et de radio - Cultea

Philippe Touzet est un auteur de théâtre et de radio. Spécialisé dans la fiction radiophonique, il a écrit plus d’une trentaine de textes pour France Inter et ses émissions (Au fil de l’Histoire, Nuits Noires, Affaires sensibles). Ses pièces de théâtre sont éditées et jouées dans toute la France. Parmi elles, Bis repetita, un récit jonglant avec le temps et les souvenirs sur fond de répétition générale, ou Entre chienne et loup, une confrontation plus sombre entre un soldat et une civile en pleine guerre.

Personnalité majeure dévouée à la défense des droits des auteurs, ancien président des Ecrivains associés du théâtre (E.A.T), il interpelle régulièrement le public sur la place des autrices dans le milieu du spectacle, les conditions de vie des auteurs et autrices pendant la crise sanitaire, ou encore la reconnaissance des auteurs contemporains dans le microcosme du spectacle vivant.

Aujourd’hui, Philippe Touzet nous fait l’honneur et le plaisir de répondre à nos questions, à la fois sur sa vie, son parcours et son métier, à grand renfort d’anecdotes. Il pose également un regard acéré sur les conditions de vie des auteurs, et plus généralement, des acteurs du spectacle vivant, en ces temps troublés.

 

Bonjour Philippe.

Philippe Touzet : Bonjour.

Merci de te prêter au jeu de l’interview. Pour commencer, une petite présentation. Philippe Touzet, tu es un auteur de théâtre et de radio, comédien, metteur en scène et chroniqueur sur Profession Spectacle. Tu es également ancien président des Ecrivains associés du théâtre, et tu enseignes à Sciences Po. Est-ce que je n’ai rien oublié là-dedans ?

Actuellement, non. Je pense que c’est dans les clous.

On va aborder tous ces sujets au cours de l’interview. Commençons par le commencement. Comment en es-tu venu à ton environnement actuel, c’est-à-dire, auteur de théâtre ? Sachant qu’au départ, tu n’étais pas vraiment prédestiné à cela.

C’est le chemin d’une vie !

Reprenons carrément depuis le début. J’étais en première, et j’avais un copain qui m’a dit un jour : « Tiens, je vais écrire un spectacle, et je vais le monter. » C’était l’époque où on ne doute pas, vers 17-18 ans. « J’ai la possibilité de jouer dans un magnifique théâtre à l’italienne à Arcachon, donc est-ce que tu veux te joindre à l’aventure ? » Pourquoi pas, je n’avais jamais été dans un théâtre, j’avais 16 ans.

Et puis, on a joué 3-4 fois dans ce théâtre, qui malheureusement n’existe plus (pour faire place à un centre commercial). Et là, je me suis pris un « shoot ». Je me suis dit « qu’est-ce que c’est que ce truc ? T’es dans un stress pas possible, tu joues, tu as des gens dans la salle qui rigolent, qui applaudissent. Y’a les lumières. » J’étais très très surpris. Le parallèle est osé, mais ça me faisait penser au rugby, puisque je jouais dans un club dont les séniors étaient en première division, et nous, les juniors, les cadets, on jouait dans les grands stades, des fois devant un énorme public. C’est vrai que le temps d’arriver, de sortir sur le terrain, il y avait une dose de stress assez importante, et après de libération. Je fais donc le parallèle entre les coulisses et le vestiaire, le terrain et le plateau. Et ça m’a bien plu.

Quelque temps après, moi, j’ai écrit un spectacle, et j’ai fait le sens inverse. Je demande à mes copains « Venez, on va s’éclater ! » Je n’avais pas accès au théâtre à l’italienne, on a plutôt joué dans la MJC d’Arcachon. On s’est bien éclatés là aussi, et ça s’est implanté comme ça. J’ai commencé à écrire du théâtre, à jouer. Alors que je n’étais jamais allé au théâtre. Et petit à petit, à l’âge de 20 ans, j’ai su que je ne voulais pas suivre les traces paternelles. J’étais fils, petit-fils, arrière-petit-fils d’ouvriers. J’avais travaillé pendant les étés comme beaucoup à l’usine, pour me faire un peu d’argent. Et j’avais compris franchement que je n’allais pas y passer le reste de ma vie. C’était sympathique, les gars étaient adorables, mais les horaires en 3-8…

Donc, j’avais 20 ans, j’étais dans un petit village qui s’appelait Mios, à côté d’Arcachon. Le grand bond, au milieu des années 80, je suis partie à Paris avec l’idée de rentrer dans un cours de théâtre, de rencontrer des comédiens, pour voir comment ça fonctionnait, comment fonctionnait un plateau. Je n’avais aucune culture ! Ma seule culture était les films américains des années 70. Je n’avais jamais lu Marivaux, Corneille, j’étais inculte au possible. Mais j’avais la banane, j’avais la pêche, donc je suis rentré, à l’époque, dans le cours privé le plus prestigieux, les cours Florent, sur l’île Saint-Louis. Il y avait même une audition à l’époque et une période probatoire. Et voilà, je suis resté trois ans et c’est là que j’ai appris mon métier. J’ai eu de très bons profs. Je sais qu’actuellement, ce n’est plus le top de citer les cours Florent, mais moi, j’en suis sorti de là. J’ai appris une chose : c’est la passion, c’est l’enthousiasme, c’est l’envie de jouer.

La deuxième année, je suis allé sur un autre théâtre, le théâtre des opérations, j’ai fait mon année de service militaire. Ca, ça change la vie, de passer des cours Florent à l’armée, c’était sympathique comme changement. Et je suis revenu, j’ai monté ma compagnie, j’ai eu la chance de travailler très rapidement en tant que comédien. Et tout cela s’est enchaîné pendant plus d’une vingtaine d’années. J’ai eu une compagnie, je jouais mes pièces, mes textes, et j’écrivais.

Des amis m’ont dit « Tu écris, tu joues, c’est super, dans des petits théâtres la plupart du temps, mais faudrait que tu penses à éditer tes textes. » C’est vrai que là, j’avais une pudeur. Si je me prends des coups de fusil par les maisons d’édition, je vais avoir du mal à m’en relever. Ca me touchait tellement, c’était tellement intime. Et puis quand même, un jour, à 38 ans, je me suis dit « Faut tenter le coup, ça serait ballot de passer à côté. » Donc, j’ai arrosé à l’ancienne, j’ai pris mes manuscrits, j’ai récupéré les adresses postales, j’ai envoyé cela comme des bouteilles à la mer.

Et l’anecdote qui est assez croustillante, c’est que j’ai été contacté par la maison d’édition Espace 34, que je connais toujours. Avec Sabine Chevallier, qui est une femme adorable et une très grande professionnelle, une très grande directrice littéraire. Elle m’a contacté alors que j’étais en train de déménager. J’avais un mur de cartons, à deux jours du déménagement, il y en avait partout. J’avais envoyé une pièce qui s’appelait C’est ma terre et c’est les miens. Elle me dit : « J’ai beaucoup aimé, mais je ne vais pas éditer cette pièce puisqu’elle ne convient pas vraiment à ma ligne éditoriale. Mais je me doute, en lisant votre texte, que vous avez dû en écrire d’autres. Est-ce que vous pouvez m’en envoyer une ? » Oui, bien sûr, mais en même temps que je téléphonais, je regardais le mur. J’avais au moins soixante-dix cartons devant moi, et, comme je suis quelqu’un de très ordonné, je n’avais rien écrit dessus ! Ca pouvait aussi bien être les casseroles, les oreillers, les manuscrits… Donc, j’ai repassé une journée à rechercher mes textes. Parce que c’est toujours le dernier carton qui contient ce qu’on cherche !

Au bout de tout, première pièce éditée de Philippe Touzet, édité par Espace 34 - Cultea
Au bout de tout, première pièce éditée de Philippe Touzet, édité par Espace 34.

C’était une pièce qui s’appelait Au bout de tout, que j’avais écrite chez Florent, que j’avais jouée en troisième année avec des potes, et qui avait très bien fonctionné. Je l’avais jouée au théâtre de Nesle, au cirque d’hiver, c’était une pièce qui avait une vraie vie. Je l’ai envoyée, elle a été éditée quelques mois plus tard. Et ça s’est enchaîné, parce que, comme j’avais écrit une dizaine de pièces avant de le proposer aux maisons d’édition, j’ai édité 5-6 pièces en 3-4 ans. Donc ça m’a fait remarquer par les théâtres, les metteurs en scène. Un côté coup de boutoir : tous les six mois, j’avais une pièce qui paraissait, mais qui avait été écrite sur une période d’au moins une dizaine d’années.

Et puis après, tu fais ton chemin en tant qu’auteur. Tu as des pièces qui sont éditées mais qui ne sont pas jouées, des pièces qui ne sont pas éditées mais qui sont jouées, des pièces qui sont jouées et éditées, et tu as des pièces qui restent dans les tiroirs.

Là, j’ai encore des pièces que je n’ai pas pensé à faire éditer. Les auteurs sont très particuliers avec leurs œuvres. Faudrait qu’un jour, je me penche là-dessus. J’ai quelques textes qui, je pense, mériteraient d’être édités. Mais pour cela, faudrait que je les envoie à des éditeurs. Si je ne leur envoie pas les textes, ça ne risque pas d’avancer. Et puis après, je suis partie à la radio. Et surtout, au fur et à mesure, j’ai essayé de me dégager du temps. J’ai arrêté la comédie, j’ai arrêté la mise en scène. Ca fait une dizaine d’années que j’écris, que je suis auteur professionnel, conjointement avec ma profession de président des E.A.T., et cela fait une dizaine d’années que je ne suis pas monté sur le plateau.

C’était mon but depuis tout petit, l’écriture. J’ai essayé de me dégager du temps. Alors tu prends des risques financiers, parce que justement financièrement, on survit car on est comédien, metteur en scène, professeur… Parce qu’on a plusieurs casquettes pour pouvoir, à la fin du mois, payer le steak dans l’assiette. Mais à un moment donné, il faut faire des choix pour suivre son chemin.

Et ça ne te manque pas d’avoir mis de côté cette partie comédien et metteur en scène ?

Pas du tout ! Non, j’aimais jouer, j’aimais mettre en scène. Mais on ne peut pas tout faire. À un moment, il faut choisir. Le temps passe vite. Ca passe à une vitesse folle. Alors les vieux te disent ça quand tu as 20-30 ans, et tu les ignores. Mais c’est vrai, ils avaient raison les cons ! Ca passe très, très vite. Il faut choisir : quand tu diriges une compagnie, quand tu veux monter un spectacle, ça met un an et demi, deux ans, avant de pouvoir accueillir les premiers spectateurs. C’est très long. De la même manière, tu peux écrire une pièce en trois mois, en six mois, en un an. C’est difficile de faire le choix. Même s’il y en a qui font tout, qui ont une compagnie, qui font de la mise en scène. Mais moi, j’avais du mal.

Pendant une dizaine d’années, j’ai écrit pour la radio, et j’ai adoré. Pour le moment, ça s’est un peu calmé, parce qu’il y a des suppressions de cases de fiction, notamment sur France Inter, qui font que beaucoup de scénaristes ne travaillent plus. Dont moi. Mais c’est passionnant ce milieu.

Tu as commencé à la fois en tant qu’auteur et comédien. Est-ce que tu penses que c’est absolument nécessaire d’avoir été des deux côtés afin d’être un bon auteur ? Est-ce un passage obligé d’être comédien ?

Non, ça ne l’a pas été pendant des décennies. Parce que pendant des décennies et des décennies, surtout le XXe siècle, beaucoup d’auteurs et d’autrices de théâtre n’étaient pas du tout liés au plateau. Ce qui est le cas actuellement depuis près d’une génération, depuis 25 ans.

Et c’est pour ça d’ailleurs qu’actuellement, c’est très, très dur avec cette pandémie. Un très grand nombre d’auteurs et d’autrices de théâtre sont des personnes qui sont liées au plateau : des comédiens et metteurs en scène, directeurs, directrices de compagnie, voire même des techniciens. Il y a énormément de comédiens qui écrivent pour le théâtre, et vice-versa. C’est très lié aujourd’hui.

Mais il y a une époque, dans les années 60-70, c’était plutôt des professeurs, des professions libérales, des universitaires. La population des auteurs et des autrices a complètement changé en l’espace d’une génération. On est quasiment tous sortis par le même monde, c’est-à-dire les cours de théâtre, à monter une compagnie, écrire ses spectacles, et ainsi de suite…

On parle souvent, quand on parle de l’auteur, de l’inspiration. Cette fameuse inspiration qui fait écrire des lignes, sur un fond de musique classique de préférence. Comment abordes-tu l’écriture ? C’est quelque chose qui sort d’un coup, ou est-ce que c’est une rigueur que tu es obligé de t’imposer pour pouvoir sortir des pages ?

Non, ça ne sort pas d’un coup. Mais ça serait génial !

L’idée vient d’un coup, très souvent. Il y a un dicton sioux que j’aime beaucoup, qui dit : « C’est pas l’homme qui va vers l’histoire, c’est l’histoire qui va vers l’homme. » C’est vrai que, très souvent, on ne sait pas pourquoi, c’est là que chez le boulanger, il y a une phrase, un mot, une observation. Une histoire, ça tourne constamment dans la tête, c’est très étonnant. Pour les auteurs, il faut noter, puisque souvent, on oublie dans l’instant.

C’est l’histoire qui choisit sa durée. Certaines peuvent faire des pièces d’une heure et demi, deux heures ou des pièces d’un quart d’heure, vingt minutes. Il y a des histoires qui sont plutôt romans, fictions radio… C’est l’histoire qui prédomine. C’est étonnant, il faut être humble vis-à-vis de sa propre histoire. Et ensuite, quand on écrit, il faut être humble de ce qu’il se passe. Il y a toujours quelque chose qui nous échappe. Et c’est toujours plus intéressant de voir, quand on parle avec les comédiens, avec des élèves ou des universitaires, qui vont te chercher des choses dans ton propre texte avec des réflexions absolument cohérentes, mais que tu n’avais absolument pas saisies à l’écriture. Ca m’a toujours épaté.

Donc oui, tu prends du temps pour l’écriture, mais quand tu te bases sur une activité professionnelle… Quand j’étais jeune, plus jeune, j’écrivais ma pièce, je n’avais pas d’enjeu. Je pouvais mettre six mois, un an, pour l’écrire. Maintenant, du côté professionnel, j’ai des contrats, 4 mois, 6 mois. J’ai des compagnies qui attendent, des directeurs de théâtre qui attendent. Donc, j’ai des enjeux au niveau du temps qui sont plus serrés. Et c’est vrai aussi que tu te lèves tous les matins avec une vraie discipline. Moi, je me lève à 8 h. Jusqu’à grosso modo midi, j’écris, je me documente, je réfléchis.

Parce que je te promets que certains matins, tu n’as pas envie. Parce que tu sens que c’est compliqué, que tu n’as pas la tête à ça, comme tout le monde. Des fois, tu as des soucis, tu as des tracas quotidiens, ou là actuellement, avec la pandémie, tout ce qu’il se passe, avec cette incertitude totale pour le lendemain. Des fois, quand tu es auteur, c’est pas simple de s’extraire de tout ça pour écrire un texte. Que ce soit une tragédie ou une comédie.

Donc l’inspiration, elle est là, elle arrive, elle est présente, c’est une prédisposition de l’esprit, et après, c’est énormément de travail. Sachant qu’en plus, en tant qu’auteur de théâtre, il y a une seconde couche. Comme on dit, c’est à partir du moment où le texte de théâtre est écrit que tout commence.

On écrit quand même pour l’incarnation de nos personnages. Donc, il faut après espérer qu’un metteur ou une metteuse en scène soit intéressé. Après, il y a tout un processus. Et pas du tout le même processus que, par exemple, pour un roman : tu l’envoies à un éditeur. L’éditeur : c’est oui, c’est non. L’écriture de théâtre s’inscrit vraiment dans une perspective collective, c’est un art collectif. L’auteur est là, à sa place (importante évidemment), les comédiens sont là, le metteur en scène, les producteurs… Chacun est à sa place.

On va revenir après sur la partie pandémie et la situation actuelle des auteurs. On parlait d’inspiration et du fait que ça peut venir comme ça, avec une histoire, un mot lancé. Tes œuvres sur Affaires sensibles sont basées sur des histoires vraies, que ce soit celle sur le Docteur Petiot, ou celle plus légère du débat sur la scène de la cuisine des Tontons flingueurs. Est-ce que c’est un processus particulier, que de réécrire une réalité, et de mettre sa propre vérité par-dessus ?

Tu te places sur la perspective du roman historique. C’est-à-dire qu’il y a des faits qui sont avérés, et après, il faut que tu t’appuies dessus pour en faire de la fiction. Autrement, tu lis les livres d’histoire, mais tu ne lis pas un roman qui se passe au XIVe siècle ou qui se passe pendant la découverte de l’Amérique. Il faut s’insérer, tout en respectant la vérité historique.

Surtout qu’avec Affaires sensibles, on travaillait sur des faits contemporains, donc des années 50 à nos jours. Même si toutes les personnalités que tu traitais étaient des personnalités décédées, parfois, leurs entourages ne l’étaient pas. Donc il fallait quand même faire très attention ! Pas forcément du côté juridique, mais du côté affectif et susceptibilité. Il faut quand même prendre ça avec beaucoup de pincettes, beaucoup de documentation. On n’est pas dans la fiction pure. Quand tu écris sur un personnage comme Pierre Mendès France, tu te renseignes. Quand tu travailles sur un personnage comme Orson Welles, c’est un minimum de se renseigner aussi. Surtout quand on les inscrit dans un moment bien précis de leurs vies.

L'enregistrement de la fiction Nougaro, pour Affaires sensibles - Cultea
L’enregistrement de la fiction Nougaro, pour Affaires sensibles.

Donc, c’est un vrai exercice de style que j’apprécie beaucoup, parce que ça m’a beaucoup appris sur la possibilité de coller au plus près d’une vérité historique, tout en étant complètement dans la fiction. C’est un vrai intérêt d’auteur, mais c’est beaucoup de boulot. C’est au minimum 2-3 mois pour une fiction qui dure 30 minutes. Chaque mot, chaque réplique sont réfléchis. Tu ne fais pas parler Simone de Beauvoir comme tu fais parler François Mitterrand. Tu ne situes pas une action à bord du paquebot France comme tu la situes dans une rue, dans un appartement. Il faut faire un gros travail de recherche.

Alors c’est vrai qu’heureusement, Internet est extraordinaire pour ça. Tu as une bibliothèque entière dans ton salon. Si tu sais un peu te débrouiller, tu arrives quand même à obtenir des infos de première main. Même si ça m’est arrivé d’acheter des livres, d’aller dans les bibliothèques municipales, parce que tout n’est pas sur Internet non plus. Et c’est bien d’avoir du papier sous les yeux, pour réfléchir.

Donc ça, c’est un travail complètement différent. En plus, la radio, c’est très limité. C’est un faux-ami du théâtre, parce que quand on écrit du théâtre, on se dit qu’on peut écrire de la radio. Eh bien, non ! Ce sont deux disciplines littéraires complétement différentes. C’est facile à comprendre : le théâtre, tu écris pour tous les sens, à commencer par les yeux. Et la radio, tu écris pour les oreilles. Ca, c’est très important.

Justement, c’est l’objet de la question suivante. Au niveau de l’écriture radiophonique, tu es un des premiers professeurs de fiction radiophonique en France. Comme on voit que les podcasts audio explosent, comment est-ce qu’on réfléchit vraiment aux podcasts, comparés au théâtre ou à n’importe quel autre support ?

Le podcast audio a amené quelque chose d’extraordinaire. Enfin, je parle vraiment de la fiction, puisque c’est vraiment mon domaine. Il y a aussi le documentaire, il y a beaucoup de témoignages, des émissions, qui sont sûrement de très grande qualité, mais là, je ne suis vraiment pas un spécialiste.

En fiction, ça a amené de nouvelles écritures, de nouvelles énergies, de nouvelles dynamiques, parce que c’est la liberté. Quand tu fais ton podcast, tu n’as pas de limites, comme j’ai eu en tant que scénariste pour France Inter. Même si je bénéficiais d’une grande latitude, malgré tout, j’écrivais pour une émission bien précise, avec des enjeux bien précis. C’était une grosse production, c’était Radio France. Donc ça peut paraître formaté, évidemment.

Là, tu as quand même la liberté totale. Tu peux t’éparpiller dans tous les sens, tenter toutes les expériences, littéraires et sonores. Ca a dynamisé, dynamité la fiction à un point incroyable, et ça a créé un autre mode de fonctionnement. Au cinéma, au théâtre, à la télé, tu es captif. Tu ne te mets pas devant ta télé et tu t’en vas dans la cuisine. La radio, si ! Tu mets tes oreillettes, tu vas dans la rue, tu écoutes ta fiction, tu fais la cuisine, tu penses à mille choses ! C’est d’ailleurs pour cela que l’écriture doit être très prenante. Parce que, autrement, il n’y a rien de plus facile que d’appuyer sur un bouton et de passer à autre chose. On est dans une autre logique, donc l’écriture radio est vraiment basée là-dessus.

Après, c’est l’intérêt littéraire, artistique, créatif, qui est énorme. On est face à une nouvelle frontière. Comme on disait aux Etats-Unis au XIXe siècle : tout est ouvert ! Pareil pour Internet, on se pose des questions que devaient se poser les hommes et les femmes 20 ans après la découverte de l’impression de Gutenberg. Ca nous arrive dessus, on pense pouvoir le maîtriser, mais c’est exponentiel. Dans 5 ans, on aura peut-être droit à des hologrammes, à des ordinateurs qui se plient dans tous les sens et qu’on peut se mettre dans la poche. Tout est ouvert, et c’est une période incroyable.

Mais justement, il faut après se placer du niveau professionnel. Parce que écrire, c’est bien, créer, c’est bien. Mais il faut savoir ce qu’on veut dans la vie. Si on veut réfléchir en tant que professionnel (et ce n’est pas un gros mot), si on veut vivre de son écriture, il faut admettre que le podcast est devenu un produit qui nivelle par le bas, au niveau salarial. Tout le monde est moins bien payé. Au niveau de la production, la législation est floue. C’est une période un peu Far West pour le podcast.

Il faut légiférer, encadrer tout ça pour protéger les créateurs, et tous ceux qui participent à la production, afin que tout le monde soit rémunéré normalement. Parce que sinon, on peut faire ça ad libitum, entre copains et copines, et on s’éclate. Mais ça a ses limites aussi. Il faut absolument amener un cadre. Il arrivera, notamment avec les plateformes qui en fournissent un. Mais il faut mettre un petit peu d’ordre. L’ordre et la législation ne sont pas les ennemis de la création. Ils sont les garants de la création et donnent la possibilité aux auteurs et autrices d’être correctement rémunérés.

Tu as donc choisi plutôt la radio, le théâtre. Des choses qui sont donc le spectacle vivant, les choses qui sont directes. Est-ce le type d’écriture qui t’attire ? Pourquoi ne pas être allé du côté du roman, par exemple ?

Le roman, ça fait des années que j’essaye d’en écrire un. Visiblement, je ne suis pas au top. Je pense qu’on a plus d’affinités dans certains domaines d’écriture. Il y a de très grands paroliers incapables d’écrire un roman ou une pièce de théâtre. Il y a de très grands auteurs de théâtre qui ne savent pas écrire une fiction radio. Est-ce que je saurais écrire un scénario de télé ou de long-métrage ? C’est loin d’être sûr.

J’adorerai écrire, par exemple, au moins une fois un scénario de bande dessinée. Je suis tellement un « bédévore » que je me dis que j’aimerais vraiment. Mais est-ce que je saurais le faire ? Ca reste à l’état d’idée.

Après, on peut travailler. C’est vrai que le théâtre vient de très, très loin, c’était en moi. Mais la fiction radio est venue sur une rencontre. C’était moi l’interviewer et j’interviewais Patrick Liegibel, le patron des fictions de France Inter à l’époque. C’est un homme adorable. On a discuté longuement, il n’était pas pressé. On parlait de théâtre, et à un moment donné, il m’a dit : « Tiens, j’aimerais bien que vous écriviez une fiction radio pour moi. » Moi, je suis toujours partant pour les expériences, alors je réponds oui !

Patrick Liegibel, ancien producteur de fictions radiophoniques sur France Inter - Cultea
Patrick Liegibel, ancien producteur de fictions radiophoniques sur France Inter.

C’était une fiction de 8 minutes pour l’émission Nuits noires. Ca devait être un polar, je n’en avais jamais écrit. Et quand tu es habitué à écrire des pièces de 1h30 ou 2h, 8 minutes, c’est trois mots ! J’ai passé deux mois à écrire. C’était bien improductif, deux mois pour huit minutes.

Patrick était un producteur à l’ancienne (était parce qu’il n’est plus producteur) qui m’a beaucoup guidé. Il me disait que c’était trop cinéma, ou trop théâtre. Je m’arrachais les cheveux, jusqu’au moment où j’ai compris la logique. J’écoutais beaucoup de fiction pour comprendre. J’ai écouté, écouté… Et c’est comme ça, qu’au fur et à mesure, j’en ai écrit une quarantaine en 10 ans.

Mais au départ, je me disais que ce n’était pas pour moi. Donc tout s’apprend, rien ne vient d’une manière innée. Mais c’est vrai qu’il y a des disciplines littéraires où tu as plus de difficultés que d’autres. Je bloque actuellement sur le roman, et j’espère que ça va se débloquer. Je vais prendre le temps.

Ca prendra le temps qu’il faut ! 

Exactement, il ne faut pas être pressé.

Est-ce que tu peux nous parler de ton ancien travail de président des auteurs de théâtre, et de la particularité de la profession d’auteur ?

J’ai été président pendant 5 ans des Ecrivains associés du théâtre (E.A.T, ndlr). Le combat de cette association est de promouvoir et de diffuser les œuvres de théâtre contemporaines. Ca, c’est le credo. Et après, d’essayer d’améliorer la situation qui entoure le métier, surveiller s’il n’y a pas trop d’abus, légiférer sur certains points comme j’en ai parlé précédemment, afin d’apporter plus de clarté au niveau national, la préservation des droits d’auteur… C’est multiple, parce que nous sommes

dans un métier qui est très fragile.

Là actuellement, pendant la pandémie, les auteurs de théâtre n’ont pas accès au chômage partiel, n’ont pas accès à la saison blanche de nos amis intermittents. Donc, les auteurs de théâtre vivent de deux revenus : le droit de représentation quand la pièce est jouée, et le droit d’édition quand la pièce est éditée. Comme la plupart du temps, les maisons d’édition théâtrales sont à tirage confidentiel, c’est-à-dire autour de 500 jusqu’à 1 000 exemplaires, si c’est une pièce qui marche bien, tu te doutes que ce n’est pas avec la vente des livres que l’auteur peut subsister. Donc c’est via les droits de représentation, et les droits accessoires (ce qui est conférence, salon littéraire, résidence d’auteur, commande d’écriture) qu’il peut vivre décemment. Tout s’est écroulé depuis un an.

Quand j’étais président des auteurs de théâtre, à travers les multiples manifestations culturelles, les rendez-vous au ministère, tu essayes de protéger les droits de tes pairs et de diffuser au maximum les œuvres. Sachant que, depuis 20-25 ans, nous avons une génération d’auteurs et d’autrices assez extraordinaire !

Justement, dans une lettre ouverte à Libération, tu exprimais la difficulté de la profession, notamment du fait qu’un auteur vivant était gênant : « Le problème est que l’auteur vivant est en vie. Il peut téléphoner, venir à une répétition, émettre un avis, ne pas être d’accord. » C’est une réalité ?

Oui, mais là, tu prends la conclusion d’un petit paragraphe. Très souvent, il y a un grand nombre d’adaptations.  Je ne suis pas contre, le théâtre se nourrit de différentes expériences depuis deux mille ans, et je trouve cela désolant qu’il y ait des guéguerres entre artistes, entre créateurs à ce sujet-là. Surtout actuellement, où on est plutôt dans un combat de survie, plutôt que savoir si telle ou telle chapelle est plus privilégiée que d’autres.

Donc c’est vrai qu’il y a les collectifs de comédiens, les écritures sur le plateau, les adaptations de romans, de films, de séries… Et on finira par adapter la liste des commissions bientôt ! Ca fait beaucoup, tant mieux. Parfois, ça fait un peu trop.

Mais là où je m’insurge, c’est quand j’entends certains et certaines, des directeurs de théâtres, des metteurs en scène, des collectifs de comédiens, qui disent être forcés d’écrire eux-mêmes parce qu’il n’y a pas d’auteurs ou d’autrices de théâtre en France.

Alors, tu peux tout me dire, mais pas ça. Je l’ai dit précédemment, on a depuis 20-25 ans des auteurs remarquables qui parlent de tous les sujets. Donc il suffit d’aller dans une librairie théâtrale, il suffit de se balader sur le net, de contacter une maison d’édition théâtrale, de contacter les E.A.T qui, tous les deux ans, font un catalogue avec au moins 400 pièces. Alors pour moi, on est dans l’ordre du mensonge, ou de l’incompétence, ce qui est plus grave.

Les auteurs et autrices existent, il suffit d’être curieux. Je lis depuis des années 3-4 pièces de théâtre par semaine. Je peux te dire que les auteurs existent et écrivent de très belles pièces. Mais il faut les lire ! Il faut vouloir les rencontrer, les mettre en scène. Et c’est vrai que très souvent, économiquement, c’est plus facile de monter un Molière qu’un Touzet, je veux bien le croire. Mais après, c’est une question de choix.

Alors, à la fin de mon papier, je demande que ce soit clair, qu’on le dise : « Je veux être calife à la place du calife, je veux faire mon adaptation, c’est moi qui dirige tout, qui fais tout. » C’est un discours qui peut se comprendre, de vouloir avoir la main sur tout, même si c’est une drôle de manière de voir la création, au sein d’un art collectif. Mais bon, pourquoi pas. Mais ne pas dire qu’il n’y a pas d’auteurs et d’autrices. Je peux comprendre l’excès d’ego, mais il ne faut pas dire des choses qui ne sont pas vraies, puisque ça dessert quelque chose.

Tu dis que c’est plus facile de monter un Molière qu’un Touzet. Est-ce qu’au théâtre actuellement, on se réfugie dans les valeurs sûres du théâtre classique et pas assez dans le contemporain ?

Le Malade imaginaire, par la Comédie-Française - Cultea
Le Malade imaginaire, par la Comédie-Française.

C’est très compliqué. Vaste question ! Qu’on continue de jouer des textes classiques, évidemment. C’est notre trésor national. Marivaux, Racine, Corneille, Molière… Il faut que toutes les générations aient accès à ces grands textes. La Comédie-Française est subventionnée par l’Etat pour cette transmission. Et ils le font très bien.

Après, on peut discuter sur les adaptations de Shakespeare, de Molière, à l’infini. On va te mettre Sganarelle en claquette et bermuda, Don Juan avec une casquette de base-ball et un survêtement PSG. Bon, je suis plus sceptique sur ce genre de pratiques, mais pourquoi pas.

Là où je le suis moins, c’est sur les scolaires. Pour avoir vu des spectacles extraordinaires de Molière, il n’y a pas longtemps, ça, c’est tout à fait pertinent. Et il y a des metteurs en scène et des compagnies qui se prêtent à ce jeu et qui le font très bien. Il faut que les enfants aient accès à ces grands textes. C’est une évidence. Moi-même, quand j’avais ma compagnie, j’ai monté un Molière. C’est un passage obligé.

Mais il faut tout faire pour privilégier les auteurs contemporains. Et tout est fait en France pour favoriser cela. On a des Centres dramatiques nationaux, des scènes nationales, des scènes subventionnées, il y a une myriade de comités de lecture à travers le territoire qui sont d’excellente qualité. Mais il faut une volonté plus politique pour dire : il faut plus de théâtre contemporain, dans de meilleures conditions, et faciliter l’écriture en accueillant pendant 2-3 ans, dans ces organismes, des auteurs et autrices de théâtre qui seraient considérés comme des auteurs associés et qui pourraient, pendant quelques années, être en contact avec le plateau et être rassurés financièrement. Ce qui n’est pas du luxe dans le métier. 

Et je prends souvent cette image, parce qu’elle me parle : c’est comme si on demandait à un boulanger de faire du pain en dehors de la boulangerie, tu vois ? C’est un peu ce qu’on demande à un auteur de théâtre.

Je n’ai pas été en résidence dans un théâtre depuis 2007, je ne sais pas si tu imagines. Quatorze ans sans être en résidence ! On me demande du théâtre, j’ai eu une année exceptionnelle en 2020, avec 4 commandes, donc je continue d’en écrire. Mais je ne suis pas associé. Quand je vais au théâtre, c’est uniquement en tant que spectateur. C’est particulier de ne plus y être, de ne plus voir le plateau en état de marche. Ca fait des années que je dis cela, j’ai du mal à comprendre qu’on privilégie plus l’administratif, la communication, que des emplois pour les artistes.

Est-ce que tu trouves que le théâtre aujourd’hui est trop élitiste ?

C’est une question très, très large. L’énoncé est court, mais la réponse est large.

Je ne pense pas que le théâtre soit trop élitiste, mais je pense qu’actuellement, surtout dans le théâtre public, subventionné, les programmations sont décalées. Elles ne correspondent pas aux attentes des populations environnantes. Je pense qu’on a un minimum de décalage, et que l’on n’est pas assez présent là où on devrait l’être. Et il y a quelque chose qui pourrait ressembler à de l’entre-soi.

On est un grand pays, la France, je ne veux pas faire de généralités : il y a des CDN (Centres dramatiques nationaux, ndlr) qui sont très ouverts, mais c’est loin d’être le cas pour tout le monde, avec des vrais déserts culturels. Donc, je dirais plutôt décalé. Ca fait 30 ans que je suis dans ce métier, et on n’a jamais rattrapé le retard qu’on avait il y a 30 ans.

J’entends toujours « Le théâtre, c’est pas pour moi ; le théâtre, j’y comprends rien. » Je viens d’une famille d’ouvriers, j’entends ça régulièrement. La plupart des membres de ma famille ont toutes mes pièces, dans la bibliothèque. Mais aucun ne les a lues ! Et ils ne les lisent pas. Un jour, j’en parle à mon oncle : « Tu as toutes mes pièces et tu n’en as pas lu une seule. » Il me répond : « Pourquoi veux-tu que je les lise ? Je te connais depuis que tu es tout petit. » C’est pas mal ça, non ? –Rires-

Ils te prennent pour l’intello de service. Moi, je ne suis pas du tout intello, je suis un artisan, il ne faut pas confondre. Je ne suis pas un universitaire, avec cette érudition, cette construction de pensée qui fait un intello. Ce n’est pas parce que j’écris des pièces et des fictions radios que je suis intello. Je me définis plutôt comme un artisan horloger, qui peut rester des plombes sur son horloge. C’est ça, un auteur.

Il est très étonnant ce décalage, puisque beaucoup d’entre nous, les auteurs et autrices, sommes originaires de milieux modestes. Quand on parle entre nous, on se rend compte que l’on n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Et il s’opère petit à petit une sorte de glissement, de séparation, d’incompréhension. Et pourtant, on est présent en milieu scolaire. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Alors bon, là actuellement, on sait ! Il y a une génération, ça fait un an qu’ils n’ont pas été au théâtre, ça va être difficile de les récupérer. Ca sera un vrai problème quand cette pandémie va s’arrêter. On perd beaucoup de public au niveau de la culture, certains ne s’en aperçoivent pas. Quand dans certains endroits, pendant un an, tu ne vas pas au théâtre, pourquoi irais-tu après ? Et le cinéma, c’est presque encore pire, avec les plateformes comme Netflix qui ont explosé et les gens qui ne peuvent plus sortir.

Pour les artistes du spectacle vivant, c’est Halloween tous les jours. Et c’est vrai que l’on n’exerce pas notre métier depuis un an, et on est en train de perdre du public. Surtout chez les jeunes.

Tu penses que les gens ne seront pas solidaires ? On parle du milieu artistique qui souffre. Tu penses que les gens n’iront pas le soutenir, à la sortie de la pandémie ?

Je pense qu’il va y avoir un « sas de décompression ». Si le gouvernement dit lundi : « Il n’y a plus de pandémie », je ne pense pas que le mardi les gens vont se précipiter vers les salles de spectacle. Il va y avoir un délai de latence.

Et bien sûr qu’il y a une partie de la population qui va revenir. Mais ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui ne vont pas ou peu au théâtre, et là, ça va être plus compliqué de les faire venir. Ca va être un vrai enjeu de tous les théâtres publics, de créer de multiples initiatives, afin de recréer ce lien qui s’est distendu entre les artistes du spectacle vivant et le peuple. Il va falloir recréer du lien, et ça ne va pas être simple.

On est au mois de février, donc peut-être que les théâtres vont rouvrir au mois d’avril. Peut-être. Mais plutôt juin. Mais comme il faut préserver les festivals d’été, c’est plutôt septembre. Donc, sans faire de mauvais jeu de mots, c’est dramatique. 

De toute manière, on entend dire que le pays est déprimé, que les Français sont en dépression. Mais musées fermés, théâtres fermés, cinémas fermés… Il y a peut-être un lien. On n’est pas là que pour dépenser dans les magasins de chaussures et acheter des pâtes et du café. L’être humain est un être humain en premier, un citoyen en second et un consommateur en troisième. Là, le consommateur prend le pas sur le citoyen. Et énormément de personnes, inconsciemment, sentent le manque d’accès à la culture, aussi vitale que de se balader dans la forêt. Ca fait un an que ça dure. Et je ne parle pas des restaurants…

Toute la vie sociale.

Exactement. On est un pays qui vit de ça, le bistrot, le resto. Il y a peut-être des pays qui peuvent s’en passer, mais pas nous. On le dit bien, il y a cette phrase qui dit que 90 % du business se passe à table. La première chose que tu veux faire pour un rendez-vous amoureux, c’est d’inviter au restaurant. Tout se passe autour de ça. Beaucoup de choses sont concentrées autour de la table, de la convivialité, et d’être ensemble. Ce sont des lieux pour être ensemble, le cinéma, le théâtre…

C’est presque plus important d’être ensemble que d’aller voir ce qu’on va voir. Je ne sais pas si, par moments, tu t’abstrais de ce qu’il passe sur scène, mais quand tu regardes le public, c’est extraordinaire. Assis les uns à côtés des autres, à côté d’inconnus, c’est la communion humaine. C’est ça qui manque. Depuis la nuit des temps, les hommes et les femmes s’assoient autour du feu et se racontent des histoires. Et en ce moment, les histoires, à part la télé, c’est limité.

Tout à fait un panorama un peu noir, de l’ordre du Soulage. Mais il faut espérer que dans 1 an, on refasse ce même entretien, et j’espère qu’on sera ensemble autour d’une table ! C’est là qu’on voit que l’homme est une machine à s’adapter extraordinaire. Il y a un an, on n’aurait jamais fait ça ! Maintenant, on passe notre vie en visio. Alors qu’il y a 1 an, tu disais « Zoom » à quelqu’un, il pensait à son appareil photo.

La situation est relativement sombre, notamment pour les auteurs, qui, comme tu le disais, n’ont pas de revenus, de chômage partiel, de droits d’auteur. Du coup, qu’est-ce que tu conseillerais à un jeune auteur amateur qui voudrait se lancer aujourd’hui ?

Alors, je ne conseillerais pas à certaines personnes de tout arrêter pour se lancer dans le spectacle vivant, si tu vois ce que je veux dire…

L’auteur de l’article a quitté son travail en 2019 pour le spectacle vivant, ndlr-

Je vois très bien.

Après, il y a ceux qui ont le feeling, le flair, et ceux qui ne l’ont pas. –Rires- Là on est dans une période inédite.

Mais déjà, pour moi, il n’y a pas d’auteur amateur. Il y a « Auteur » ou il y a « pas Auteur ». Prenons le cas d’un auteur de théâtre. Tu écris, et je pense que le chemin le plus simple, c’est d’aller vers la comédie, avoir un lien avec les comédiens, avoir un lien avec le métier. C’est fondamental actuellement, vu le fonctionnement de notre métier. Actuellement, on est tous des comédiens ou anciens comédiens, metteurs en scène… C’est un des codes du métier.

Et puis, il faut écrire, ne pas hésiter à envoyer ses textes dans les maisons d’édition. Parce que, à partir du moment où une maison d’édition correcte t’édite, ça te permet d’être lu par beaucoup de gens, grâce à la diffusion. Ca peut te permettre d’accéder à des bourses, à des demandes, des soutiens. Très souvent, pour un auteur, la voie de professionnalisation est là : édition, professionnalisation. Il faut l’un ou l’autre, et quand tu as les deux, tu avances plus facilement.

Mais l’ascension est souvent longue, il ne faut pas espérer gagner des millions dès la première pièce. Ni même à la deuxième. C’est un chemin professionnel. Si tu prends un jeune boucher, il ne va pas avoir sa boucherie à 25 ans. Tous les métiers sont comme ça, on n’accède pas aux manettes à 25-30 ans, à part si tu es Zuckerberg ou Bill Gates. Mais il n’y en a que quelques-uns par génération, qui ont l’idée, et puis le talent et le génie. Les métiers artistiques liés à l’écriture, c’est un long chemin. Et c’est normal, ça t’accompagne toute une vie. Tu écris à 20 ans, comme tu peux écrire à 50 et continuer à 80. 

Je n’aime pas trop l’expression « jeune auteur ». Tu es un auteur, tu es un jeune homme qui écrit, ok. Mais jeune auteur ne veut rien dire. Tu peux écrire une pièce extraordinaire dès la première. Et puis après, mettre 10 ans pour en écrire une autre de qualité équivalente. Il n’y a aucune règle.

Prévert, en parlant de Rimbaud, disait : « Tout le monde se demande pourquoi il a fini d’écrire à l’âge de 20 ans, et personne ne s’est demandé pourquoi il a commencé à écrire. » Rimbaud, à 20 ans, il avait tout dit, il avait fait son chemin. 

Ne pas hésiter à écrire, et ne pas hésiter à envoyer aux éditeurs avant 38 ans donc ?

Oui ! Mais c’est parce que je n’étais pas dans cette optique-là, j’étais dans une optique de compagnie. J’écrivais des pièces, je les produisais, on les montait dans un principe de compagnie. Et c’est vraiment que c’est sur le tard que j’ai tenté le coup… Mais il vaut mieux tenter le coup dès qu’on le sent. C’est une question de marche à suivre, de destin, de ce que tu vis au jour le jour. C’est l’expérience.

Avant de conclure cet entretien, quels sont tes futurs projets ? Qu’es-tu en train de faire en ce moment ?

Là, j’écris une commande, et je ne peux pas t’en dire trop. C’est l’adaptation d’un roman, qui est d’une très grande qualité. Et l’autrice m’a demandé de l’adapter. Je travaille dessus depuis un bon moment déjà, et c’est très complexe. Mais ça m’arrache, je ne suis pas du tout dans une zone de confort. Ca me demande une grande quantité de travail sur le texte, la qualité de texte. Pas que j’écrive de grosses merdes d’habitude –Rires-, mais là ça me demande une écriture particulière. Parce que c’est au XIXe siècle, dans un certain milieu, et les gens ne parlaient pas comme maintenant. Et il faut faire un gros travail sur le texte, tout en essayant de ne pas être pesant.

Là actuellement, je travaille sur ce texte. Et après, je vais pouvoir enchaîner sur une pièce de théâtre plus personnelle, que je souhaite écrire depuis pas mal de temps. Mais je repousse, parce que j’ai sans arrêt des commandes d’écriture. Cela me permet de travailler, de manger, mais aussi, pour moi, ça me permet d’écrire des textes que je n’aurais jamais écrits. C’est un avantage artistique énorme : on me propose à travers les commandes d’écriture des thématiques qui sont assez éloignées de moi, comme ce que j’écris actuellement. Alors que de moi-même, je ne me serais pas frotté à ce style d’écriture et ce style d’univers. Et ça permet d’approfondir tes capacités, de t’arracher. Quand tu as l’habitude de courir le 5 000, et bien là, tu cours le 15 000. Ce n’est pas la même endurance, la même disponibilité dans la tête.

Donc là, j’ai une autre pièce, quand j’aurai fini ce texte dans quelques semaines.

Et après, je suis comme tout le monde, je suis dans l’expectative, l’incertitude la plus totale. Là, franchement, je suis passé à travers l’année 2020, tant mieux, mais il ne faudrait pas que ça dure trop. Parce que nous sommes des centaines de milliers dans mon cas. La plupart passent entre les gouttes depuis un an (même si certains sont déjà sacrément mouillés jusqu’à l’os). Mais là, si on te dit que ça risque de durer jusqu’à septembre… Et quand on dit septembre, ça ne veut pas dire que le 1er septembre, on va tous avoir du boulot.

Tout est décalé, les contrats sont décalés. Et encore, certains spectacles d’excellente qualité sont annulés déjà. C’est inédit. Il y a des spectacles qui passent à la trappe dans beaucoup de grands théâtres. Ce qu’il faut voir, c’est que la saison s’est arrêtée au mois de mars 2020, et on est en février 2021. Tout est toujours suspendu, avec un mois de reprise entre novembre et décembre. Et quand on commence à voir certains festivals d’été annulés, on se dit que ça risque d’être difficile, très difficile.

Donc satisfait parce que je travaille, j’ai des textes. Parce que je prépare un stage de formation de scénariste pour Phonurgia Nova, qui fait beaucoup pour l’écriture, et l’univers sonore, la fiction radio, depuis des années. Je suis très honoré d’y diriger un stage d’écriture de fiction radio au mois d’avril. Mais ça va être difficile dans les mois qui viennent, comme tout le monde. Je ne peux pas te dire que ça va être la fête. On va voir, comme beaucoup de métiers, à quelle sauce on va être mangé. Il y a des métiers qui vont être impactés, de manière impactante ! On ne peut pas s’imaginer ce qu’on vit en ce moment.

Et il y a beaucoup d’incompréhensions liées aux décisions du gouvernement, c’est très particulier. Quand on voit les centres commerciaux qui étaient blindés, et qu’on nous empêche d’ouvrir les cinémas et théâtres, où l’on maîtrise l’arrivée, l’installation et le départ des spectateurs, dans des conditions sanitaires très satisfaisantes…

La conclusion de l’entretien est d’une tristesse absolue, mon cher Antoine, il va falloir que l’on termine sur une note positive. As-tu une blague, ou quelque chose comme cela ? Non, mais il faut garder le sourire ! Malheureusement, il y a des situations plus difficiles pour beaucoup de gens, chacun voit midi à sa porte, et ce n’est pas simple.

En conclusion, on peut dire que dès que tout cela va rouvrir, et on l’espère le plus tôt possible, il ne faudra pas hésiter à se précipiter dans les cinémas, dans les restaurants, les théâtres, les endroits qui ont souffert de la crise. 

Revenir vers la culture, parce qu’on en a tous besoin.

Pour soutenir les gens, pour se faire du bien aussi, parce que ça commence à plomber le moral de passer par la visio. Pouvoir revoir les choses en réel, sur scène.

Tu as un très beau miroir derrière toi, très joli. On voit le lustre derrière, il y a un vrai effet recherché.

Une vraie mise en scène pour notre entretien, Philippe !

Moi c’est pareil, j’ai mis des faux livres. C’est un poster que je déplace à travers mon appartement. On peut croire « Woah, la bibliothèque qu’il a ! », mais non.

Interview avec Philippe Touzet, auteur de théâtre et de fictions radiophoniques - Cultea
La fausse bibliothèque et la mise en scène du miroir.

Merci beaucoup Philippe pour cet entretien.

Je t’en prie, c’était un vrai plaisir. Merci à toi de m’avoir invité à cet entretien. Merci à Cultea, également, ce magazine en ligne que je ne connaissais pas, mais que je connais désormais grâce à toi. Je me suis baladé, et je l’ai trouvé de très belle facture, avec des articles de très bonne qualité. Je me suis abonné à la page, et je suis tout ! 

Porte-toi bien, portez-vous bien !

 

 

Interview réalisée le 12/02/2021.

Copyright photo de couverture : Philippe Daurios

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