2006. Alors que l’année s’annonce pleine de succès, un jeu vidéo va rencontrer un terrible échec commercial. Et ce ne sera nullement la faute du jeu… Rule of Rose est devenu culte aujourd’hui, non pas pour ses qualités, mais pour sa mauvaise publicité. Retour sur le destin funeste d’une œuvre accusée à tort d’être ce qu’elle n’était pas…
Rule of Rose est un survival-horror psychologique se rapprochant de Silent Hill, la série visiblement oubliée de Konami. Développé par Punchline, l’intrigue se déroule dans les années 1930 en Angleterre. Jennifer est une jeune femme qui se retrouve dans un orphelinat étrange après avoir suivi un mystérieux petit garçon. Elle va très vite se retrouver prisonnière d’un groupuscule de petites filles qui règnent dans les locaux. Jennifer va devoir trouver des réponses à tous les terrifiants secrets et comprendre qui sont ces enfants pour espérer s’échapper. Elle pourra heureusement compter sur Brown, un chien qui a subi de nombreuses maltraitances, pour l’aider.
Un jeu aux sujets très délicats
Malgré ses défauts flagrants dont la jouabilité lors des combats, la richesse du scénario laisse l’interprétation à un grand nombre de sujets complexes et encore difficiles à mentionner aujourd’hui. Arborant les traumatismes de l’enfance et l’absence d’innocence, le titre a souvent été comparé au roman Sa Majesté des mouches de William Golding, bien que les développeurs aient admis ne pas s’en être inspirés. L’un des thèmes libres à l’interprétation est aussi la différence de penser entre un adulte et un enfant. Le jeu montre également la terreur et le sentiment d’intimidation si les enfants avaient le contrôle sur les adultes.
La peur infantile est un sujet trop peu traité et encore peu rassurant dans un art comme le jeu vidéo. La polémique ne pouvait donc être qu’inévitable. D’autant plus que, lors de sa présentation à l’E3 2006, alors que le jeu est commercialisé au Japon sans problème mais dans une grande discrétion, la firme américaine de Sony a décidé d’annuler sa sortie aux Etats-Unis, expliquant que le jeu ne correspondait pas à l’image de marque que l’on se doit d’attendre de la société. Commence alors pour Rule of Rose une véritable descente aux enfers…
« Nous voulions dépeindre le côté sombre des enfants. Pas vraiment sombre, en soi, mais si vous pensez vraiment aux enfants, ils n’ont pas vraiment peur des mêmes choses que les adultes et ne sont souvent pas conscients des conséquences. Quelque chose qui peut leur sembler bénin peut sembler faux ou effrayant pour les adultes, mais ce n’est en réalité qu’une forme d’innocence. Nous voulions en quelque sorte montrer à quel point les adultes peuvent être effrayants du point de vue d’un enfant, car cela a été évoqué à plusieurs reprises, mais aussi à quel point les enfants peuvent être effrayants du point de vue d’un adulte. Nous voulons voir ce contraste. »
Premières accusations en Italie
Rule of Rose deviendra l’objet d’une immense panique morale quant à la représentation de la violence dans les jeux vidéo. Plus explicitement, sur la violence infligée aux enfants. Le 10 novembre 2006, le critique Guido Castellano écrit pour le magazine italien Panorama un vrai coup de gueule sur le survival-horror pour dénoncer, entre autres, sa violence ! Le titre de l’article est explicite : « Pour gagner, enterrer vivant un enfant ».
Le critique explique que Rule of Rose présente des séquences érotiques entre mineurs, des scènes de sadomasochisme et de violences insoutenables avec des personnages « pervers » et « homosexuels ». Il ajoute aussi la description d’une séquence macabre dans laquelle le joueur doit interagir pour enterrer vivante une jeune fille, le tout sous les rires complices des enfants.
Il n’en faut pas plus pour convaincre Walter Veltroni, le maire de Rome. Celui-ci demande au gouvernement italien d’interdire le jeu, au nom de la protection de l’enfance.
« Il est impossible qu’un jeu vidéo violent soit vendu et distribué dans notre pays… Ce jeu ne doit pas entrer dans les foyers italiens. […] Il n’y a pas besoin de doses massives d’horreur pour divertir nos enfants. Je pense que ceux qui créent et fabriquent de tels jeux doivent avoir des esprits pervers. »
Une lettre ouverte aux gouvernements européens est alors rédigée pour prévenir de la violence des jeux vidéo. Et cette lettre cite Rule of Rose comme un jeu obscène. Certains demandent la modification de la classification d’âge du titre afin de l’interdire aux moins de 18 ans, alors que sa classification PEGI est de 16+.
Cependant, toute cette polémique autour du jeu vidéo est une terrible erreur. L’article de Panorama est un plagiat d’une « critique » sur un forum et l’auteur reconnaît n’avoir jamais touché au jeu. Certes, il présente des scènes d’humiliations (écrasé par un pied, contraint d’avoir un rat sur le visage, etc.) sur Jennifer de la part des petites filles prenant plaisir à faire du mal aux autres. Cependant, tout a été dramatiquement exagéré à partir de rumeurs et sorti totalement de son contexte.
Le Royaume-Uni ne veut pas de la rose
Un autre coup dur frappe Rule of Rose. Suite à ces accusations, le Royaume-Uni interdit la commercialisation du jeu sur l’ensemble de son territoire… En plus de son annulation aux Etats-Unis, mais aussi en Italie. L’éditeur 505 Games a néanmoins réagi à la polémique pour défendre le jeu, incitant les détracteurs à essayer le jeu pour constater l’ampleur des dégâts autour de la diffamation.
« Rule of Rose est un jeu vidéo d’horreur, similaire à un certain nombre d’autres jeux vidéo et films sur le marché aujourd’hui, mais n’incite en aucun cas les mineurs à commettre des actes violents et ne promeut pas d’actes de violence envers les mineurs. L’enterrement du protagoniste ou de tout autre enfant n’apparaît dans aucune scène du jeu, même indirectement. La scène qui a déclenché la discussion est en réalité une séquence onirique qui sert d’introduction à l’aventure : une séquence vidéo non interactive dans laquelle le protagoniste, qui n’est pas mineur, est capturé à l’intérieur d’une caisse. La partie interactive du jeu est basée principalement sur l’exploration et la résolution de mystères. Les seules scènes de combat sont contre des monstres. »
La secrétaire générale du British Video Standards Council de l’époque, Laurie Hall, a répondu ceci quant à la réception diffamatoire du jeu en Italie :
« Je n’ai aucune idée d’où vient la suggestion de sadomasochisme dans le jeu, ni d’enfants enterrés sous terre. Ce sont des choses qui ont été complètement inventées. […] Nous ne craignons pas que notre intégrité soit remise en cause, car les citations de M. Frattini sont absurdes. » (Gamasutra, 24 novembre 2006)
Le jeu devient le bouc émissaire parfait pour dénoncer la représentation et l’incitation à la violence dans les jeux vidéo.
Une réception désastreuse en France
En France, Rule of Rose parviendra à se trouver en tirage limité dans les magasins spécialisés. Cependant, la polémique le rattrapera immédiatement. En effet, le député UMP Bernard Depierre, soutenu par Jacques Remiller et Lionel Lucas, déposera un amendement visant à l’interdiction de certains jeux à la vente ou la location. Il évoque encore le jeu de Punchline dans de tristes conditions :
« Demandons-nous simplement comment un enfant ou un adolescent complètement immergé pendant des heures chaque jour, dans un monde virtuel fait de violence gratuite, de meurtre, de torture, sort-il du jeu ? Est-il encore apte à distinguer le réel du virtuel ? Le tolérable de l’inacceptable ? L’action du jeu Rules of Rose se situe dans un pensionnat anglais dans les années 1930. Le but du jeu incarne un sadisme et une perversion inacceptables : il s’agit de violer dans les plus horribles conditions une petite fille puis de la torturer avant de la tuer dans la pire des souffrances. Celui qui aura fait preuve de l’ignominie la plus infâme, la plus répugnante, remporte la partie. »
Pourtant, Rule of Rose ne présente jamais de scènes d’abus sexuels ou de pédophilie tout au long de ses dix heures de jeu. Aucun joueur ayant terminé le jeu ne prétendra avoir assisté à un viol dans le jeu. Le député dut revenir sur ses propos à la demande de Guillaume Limouzi, directeur général de la distribution du jeu.
« Manifestement, ces députés n’ont pas bien étudié leur dossier. J’ai d’ailleurs demandé par mail à Monsieur Depierre de retirer toutes les contre-vérités sur son site à propos du jeu. Ce qu’il a fait. Par contre, nous nous réservons la possibilité d’intenter une action pour diffamation. Je voudrais juste souligner que les éditeurs de jeux vidéo ne font pas n’importe quoi. Nous sommes très attentifs à ce débat déjà ancien sur la violence. C’est aussi pour cela qu’il est inacceptable d’entendre ce genre de propos visant à diaboliser le jeu vidéo. »
Malheureusement, le mal est déjà fait. Le jeu se voit doté d’une mauvaise réputation. Ecoulé à très peu d’exemplaires, le studio Punchline n’aura jamais développé de troisième jeu.
Cette aura sombre qui aura pesé sur Rule of Rose jusqu’à sa sortie lui aura finalement permis de devenir culte. Le jeu est devenu difficile à trouver. Il se vend pour des sommes hallucinantes sur le marché de l’occasion et sur les sites de ventes en ligne. Certains particuliers n’hésitent pas à le revendre au prix d’une console de jeux ! Tandis que certains magasins le proposent à une somme dépassant les 600 euros… Si vous avez réussi à vous procurer Rule of Rose, découvrez-le sans plus tarder ! Certes, il n’est pas parfait et la maniabilité est sa grande faiblesse. Mais voici un jeu déclaré coupable à tort, qui a tant besoin de redorer son blason. Ne serait-ce que pour le courage et la richesse de son scénario. Une œuvre qui ne laisse pas indifférent, même aujourd’hui.
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