Mercedes est un constructeur extrêmement important dans l’histoire automobile. En effet, la marque est présente depuis les premiers jours, jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’un acteur phare du marché autant que de la scène sportive mécanique. Si aujourd’hui l’étoile allemande domine largement la Formule 1, elle a par le passé connu des déboires en endurance. Revenons sur ses essais catastrophiques au Mans en 1999.
Le circuit des 24 Heures du Mans de la Sarthe
Circuit emblématique créé en 1906, Le Mans est connu dans le monde entier. Au départ, l’Automobile Club de l’Ouest veut s’en servir pour le premier Grand Prix de France. Et c’est ce qu’il fait, jusqu’à l’après-guerre. Il ne s’agit alors que d’une simple course. Mais le secrétaire général du Club, Georges Durand, a une autre idée. Pourquoi ne pas utiliser la course pour promouvoir l’automobile et améliorer cette dernière dans la foulée ? La course devient donc une épreuve d’endurance, où le véhicule qui a parcouru le plus de kilomètres au bout de 24 heures gagne. L’événement a alors lieu sur un tracé mixte, 9 km sur des routes publiques reliées à 4,5 km de la piste du circuit Bugatti.
La particularité du tracé est que, bien que long de 13,6 km, il comporte de nombreuses longues lignes droites. La plus célèbre est baptisée les Hunaudières. Longue de 5,5 km, on y roule généralement à environ 340 km/h. Le record établi est d’ailleurs de 405 km/h par le Français Roger Dorchy en 1988, à bord d’une WM P88 à moteur Peugeot. Pour l’anecdote, le radar avait enregistré 415 km/h, mais pour assurer la promotion du véhicule éponyme chez Peugeot (la 405 donc), on décida de conserver ce chiffre.
Contraintes aérodynamiques
Au-delà des lignes droites, les virages rapides et chicanes sont nombreux. Ainsi, les coureurs sont à plein régime durant au moins 85 % du tracé. Pour réussir au Mans, il faut donc deux choses sur la voiture en matière d’aérodynamisme. La première, c’est une traînée aussi faible que possible. En effet, lorsqu’un corps pénètre l’air avec vitesse, l’air va avoir tendance à opposer une force de résistance. Cette opposition crée un frottement qui vient gêner le corps en mouvement dans sa quête de vitesse. Ainsi, lorsque l’on dessine une voiture de course, on fait en sorte de limiter le plus possible cette résistance appelée « traînée ».
Ensuite, on cherche le plus possible de l’appui aérodynamique (ou down force). En bref, pour gagner en adhérence au sol, il faut que le véhicule soit écrasé aérodynamiquement au sol. En augmentant ce paramètre, on augmente la stabilité du véhicule, ainsi que l’efficacité du freinage.
Contexte en 1999
En 1997 et 1998, Mercedes arrive et déboîte littéralement tout le monde. Au point que, fort de son écrasante domination, aucune équipe concurrente ne souhaite engager de voiture dans la catégorie GT1. Si bien que la FIA décide purement de la supprimer, laissant seule la GT2. Si vous vous posez des questions sur ce qui diffère entre les deux, il s’agit de questions de règlements. Ainsi, dans telle ou telle division, vous devez vous soumettre à des contraintes différentes pour fabriquer votre voiture.
De fait, les 24 Heures du Mans décidèrent de bâtir eux-mêmes une catégorie appelée « LMGTP », ou « Le Mans Grand Tour Prototype ». La catégorie accueille des voitures dérivées de véhicules de série, mais modifiées à un point où elles surpassent un peu trop les concurrents de GT classique. Vous l’aurez compris, c’est un défouloir pour prototypes surpuissants et ultra expérimentaux (donc dangereux). À noter que la catégorie est exclusive au circuit. Ainsi, les constructeurs n’ont plus à se soucier de bâtir une voiture pour divers circuits autour du monde, mais bien pour un seul tracé. De fait, les voitures étaient donc totalement optimisées pour le circuit de la Sarthe.
Les accidents
Mercedes est donc au départ de cette nouvelle course d’endurance en 1999. Ils engagent trois voitures différentes, pilotées par Jean-Marc Gounon, Marcel Tienmann et surtout Mark Webber. Les trois pilotes se présentent aux séances d’essais en juin, durant la semaine des 24 Heures. Premiers essais du mercredi en demi-teinte, Webber partira huitième, mais la boîte de vitesses est défectueuse. Il se dit qu’il fera mieux le lendemain. Le lendemain justement, la voiture poussée à 330 km/h se soulève et décolle dans les airs, avant de venir s’écraser tranquillement le long du rail, couchée sur le flanc gauche… Weber est intact et n’en revient pas. Il peut s’agir d’un incident isolé, Mercedes maintient les voitures en course.
Le samedi, durant le tour de chauffe avant la course, la Mercedes de Webber redécolle et effectue un looping avant de retomber sur le toit ! Le pilote se souvient :
« Deux pensées ont traversé mon esprit. La première était pour l’équipe : « Bordel, que font ces gars pour me donner une voiture comme ça ? » Et ensuite : « Il n’y a pas moyen que je sois de nouveau chanceux, je ne veux pas avoir mal, je veux que ce soit terminé rapidement. […] Ce n’étaient pas des accidents ordinaires que je vivais. Ils étaient énormes. »
Mark Webber
La course
Mercedes retire donc Webber de la course, mais insiste pour conserver les autres pilotes sur la route. Bien sûr, ils sont inquiets. Mais ils ne veulent pas se retirer pour autant. C’est en pleine course que survient le drame. La seconde voiture engagée, pilotée par Peter Dumbreck, décolle en ligne droite et effectue plusieurs vrilles en l’air avant de retomber dans les arbres de l’autre côté des rails de sécurité. Les images sont impressionnantes…
Devant ce spectacle, Webber qui était avec les spectateurs, est horrifié.
« J’étais perdu. J’ai fondu en larmes, et j’ai ensuite couru comme un fou vers les stands, sur environ un kilomètre et demi. J’étais violent. Quand ce cauchemar allait-il prendre fin ? […] Je me disais « S’il est mort, je vais tuer ces salauds, je vais les tuer. Je sais exactement ce qui s’est passé, et c’est tout ce que je craignais : il est dans les arbres, il est parti dedans… Il va être blessé, c’est certain. »
Mark Webber
Heureusement, le pilote écossais est vivant et s’en sort indemne. Les feuillages des arbres ont amorti sa chute. Mercedes se retira immédiatement, rappelant sa dernière voiture en piste… Le problème est que Mercedes a un lourd passé avec Le Mans… Lors de ces accidents spectaculaires, beaucoup ont vu l’ombre de la tragédie de 1955.
L’accident meurtrier des 24 Heures du Mans 1955
Le 11 juin 1955 est un jour noir pour le sport automobile. En effet, sur le circuit du Mans eut lieu le plus grave accident de toute l’histoire. 84 morts, entre 120 et 180 blessés…
Le pilote français Pierre Levegh, au volant d’une Mercedes 300 SLR, réalise une manœuvre incontrôlée suite à une erreur d’un concurrent. En effet, l’Anglais Lance Macklin ne voit pas ralentir la Jaguar devant lui. Par un manque d’attention d’une demi-seconde, il est obligé de freiner brusquement tout en donnant un violent coup de volant. C’est à ce moment qu’arrive à plus de 240 km/h la Mercedes de Pierre Levegh, qui ne peut plus l’éviter. En le heurtant par l’arrière, la voiture de Lance Macklin fait tremplin et la Mercedes décolle littéralement. Elle va se fracasser dans des gradins de l’autre côté de la barrière. Ce crash cause déjà une quinzaine de morts.
Sauf que, durant le « vol », les composants avant de la voiture sont projetés vers des tribunes à une vitesse d’au moins 150 km/h. Ainsi, moteur, train avant, capot et radiateur s’écrasent sur une partie de la foule… Plus d’une soixantaine de morts sur ce second impact…
Mercedes ne revint au Mans que dans les années 80, puis en 1997, 1998 et 1999.
Pourquoi ces décollages au Mans en 1999 ?
Les voitures que Mercedes présenta pour ses trois pilotes étaient conçues spécifiquement pour dominer dans les lignes droites. Ce faisant, elles étaient particulièrement basses et plates. De plus, Mercedes utilisa les dimensions maximales autorisées par le règlement pour leur donner une longueur de 4,89 mètres. Aussi, l’écart entre les roues avant et arrière avait été réduit à 2,67 m. En bref, ils ont conçu un monstre dans les lignes droites, mais souffrant de lacunes d’appui dans les tournants. De plus, en rapprochant les roues vers le centre du véhicule (vue de profil), on augmente largement le balancement avant/arrière de la voiture…
Mais alors, pourquoi l’ont-ils fait ? Pour gagner de la longueur de carrosserie, avant et après les roues. En effet, ce sont à ces endroits que l’on place les diffuseurs. Ces appendices aérodynamiques sont essentiels, puisqu’ils permettent de mieux faire circuler l’air sous la voiture. Si l’air circule mieux et plus vite, alors on crée une dépression qui va « aspirer » la voiture vers le bas. Ainsi, on plaque la voiture au sol.
Une terrible absence d’angle d’inclinaison…
Normalement, une voiture de course présente un angle négatif lorsque observée de profil. En effet, l’avant du véhicule penche vers le bas afin de créer un meilleur appui aérodynamique. Si vous observez la voiture, elle aura l’air plus basse devant que derrière. Mercedes a décidé de supprimer cet angle. Cette perte d’appui devait être compensée par le point évoqué juste au-dessus. Problème, ce n’est pas vraiment comme ça que fonctionne la physique. Penser l’aérodynamisme d’une voiture, c’est faire un tout cohérent. On ne privilégie pas un élément pour en supprimer un autre.
Dans les faits, à cause du positionnement des roues le balancement avant/arrière était tel qu’il pouvait avoir de graves conséquences aérodynamiques. En effet, si l’angle avant passait de 0 à plus de 2°, alors l’appui aérodynamique diminuait très fortement, devenant même négatif ! En bref, au lieu d’écraser la voiture au sol, cela la faisait « décoller » de l’avant… Si l’on combine cela à des circonstances de course, alors c’est le drame. De plus, avec cet avant qui décolle du sol, l’écoulement de l’air est totalement bouleversé, transformant la voiture en une aile d’avion…
Ainsi, arrivé en haut d’une « bosse » sur la piste (le circuit n’étant pas totalement plat partout), la voiture a eu un angle et une vitesse suffisants pour la faire décoller… En tant que pilote, vous ne pouvez alors rien faire, à part espérer atterrir en vie.
Le défaut était donc totalement imputable aux équipes techniques de Mercedes. Avides de victoire, les ingénieurs n’ont pas réfléchi et ont mis en danger la vie de leurs pilotes. Bien que la catégorie compétitive porte la mention « prototype », la mission d’un ingénieur n’est-elle pas de proposer une solution viable et fiable ? Quoi qu’il en soit, c’est aujourd’hui une équipe brillante et ultra performante qui gère le sport mécanique de Mercedes. En témoignent les sept titres constructeur de la marque en Formule 1.
One Reply to “Quand la Mercedes CLR décolla sur le circuit du Mans !”