L’ORTF en 1968 : une volonté de briser les chaînes gouvernementales

L’ORTF en 1968 : une volonté de briser les chaînes gouvernementales - Cultea

Le journaliste est un acteur important lorsqu’il y a apparition d’un contexte de grève et de mécontentement. C’est lui qui va généralement donner la parole à ceux qui souhaitent être entendus. Mais que se passe-t-il lorsque les rôles s’inversent et que ce sont les journalistes qui cessent de travailler ? Décryptage de l’une des grèves qui a le plus touché le domaine de l’information et du journalisme : la grève des techniciens et journalistes de l’ORTF en 1968.

Comprendre le contexte de la grève journalistique

La deuxième moitié de l’année 1968 se caractérise par la floraison de manifestations et de révoltes.

S’inscrivant dans un registre quasi anti-autoritaire, que ce soit dans le domaine économique, universitaire ou politique, le mécontentement général est devenu le principal sujet d’attention de la part des Français. La stabilité apportée par la période dite des Trente Glorieuses commençait à vaciller. Naturellement, les médias souhaitent en parler, ils doivent en parler, puisque c’est leur rôle.

Mais la liberté de la presse, notamment dans le domaine de l’audiovisuel, se retrouve face à un obstacle de taille. L’ORTF est, depuis 1959, façonné par ce qu’Edouard Sablier appelle le « S.L.I. » (Service de Liaison interministérielle pour l’Information).

Marcel Trillat explique dans un entretien avec le CHS (Centre d’Histoire sociale des mondes contemporains) :

Edouard Sablier, qui était directeur de l’actualité télévisée, avait rendez-vous tous les matins avec d’autres directeurs de rédaction du service public dans un bureau du S.L.I. Face à eux, se trouvaient des représentants des différents ministères qui constituaient le gouvernement. Chacun leur tour, les représentants annonçaient aux directeurs le ou les sujets à présenter au sein des émissions. Naturellement, le sujet du mécontentement qui grondait de plus en plus au sein des Français était exclu.

C’est ce qui s’est passé par exemple avec le reportage de Panorama, qui devait présenter les manifestations étudiantes du 10 mai 1968. Mais ce reportage a été remplacé par un reportage sur le domaine du notariat par la volonté du gouvernement. On crie alors à la censure.

La réaction des journalistes de l’ORTF

Le 11 mai 1968, donc au lendemain de la non-parution du reportage sur les manifestations étudiantes, des journalistes de l’ORTF décident de dénoncer.

« ORTF libre », affiche appelant à la liberté de l’information - Cultea
« ORTF libre », affiche appelant à la liberté de l’information (source : Wikipédia)

Par le biais d’un communiqué envoyé à l’AFP, les journalistes expliquent leur indignation face à la carence d’informations du public. De plus, ils sont forcés de constater que leurs directions sont incapables de résister aux pressions gouvernementales, bafouant alors leur rôle de journalistes.

Deux jours après cette déclaration et avec une situation qui ne s’arrange pas, au contraire qui se dégrade de plus en plus, des membres de l’ORTF décident d’agir. Le lundi 13 mai 1968, un appel à la grève générale a été prononcé par les syndicats de l’ORTF. Ils se constituent essentiellement de techniciens et de journalistes. Beaucoup les rejoignent, même s’ils avaient connaissance du risque d’être sanctionnés par l’ORTF.

S’en suivent alors deux assemblées générales, le 17 mai et le 20 mai 1968. Au cours de ces assemblées, réunissant dans un premier temps la plupart des journalistes et directeurs, puis les journalistes de l’actualité télévisée, les revendications suivantes sont prononcées : l’abrogation de la loi sur l’ORTF, l’autonomie vis-à-vis du pouvoir et la création d’un statut des personnels. Mais aucune entente n’est trouvée entre les partis.

Écran noir pour l’actualité télévisée

Même si l’effectif gréviste s’accroit jour après jour, il reste quand même des journalistes qui continuent à diffuser des informations. Notamment ceux du domaine de l’audiovisuel.

Des salariés de l'ORTF défilent sous une banderole lors de la manifestation appelée par les syndicats CGT et CFDT à Paris le 24 mai 1968 - Cultea
Des salariés de l’ORTF défilent sous une banderole lors de la manifestation appelée par les syndicats CGT et CFDT à Paris le 24 mai 1968 (source : France culture)

Le 25 mai, des techniciens de l’ORTF, par l’intermédiaire d’une décision intersyndicale, décident de ne pas diffuser Télé-soir. Il s’agissait du journal télévisé du 20h de l’ORTF. Écran noir sur la télévision à l’heure où beaucoup étaient au rendez-vous. La date du 25 mai 1968 est souvent reconnue comme le jour où les journalistes de l’ORTF se sont véritablement mis en grève.

Au fil des journées, de plus en plus de journalistes du domaine audiovisuel décident de participer activement à la grève. On voit l’apparition de ce qu’on appelle le « comité des dix », qui réunit des journalistes connus comme Emmanuel de la Taille, Brigitte Friang ou encore François de Closets.

Ce comité fait écho au « comité des cinq » monté par des journalistes dans le domaine de la radio. Ces comités ont pour rôle de soutenir activement le mouvement gréviste au sein de l’ORTF. Le mouvement s’étend. 116 journalistes de la télévision sur 150 annoncent être en grève le 27 mai.

La fin de la grève : une réussite ?

Malgré la pression émise par le mouvement de grève, le journal télévisé de l’ORTF est réalisé par des journalistes non-grévistes.

Le nombre de journaux télévisée est réduit à un, diffusé à 20 heures avec une durée de trente minutes. Il ne présente que des informations et communications officielles approuvées par le gouvernement. A partir de début juin, l’ORTF passe deux journaux. Un à 20 heures, et un autre à minuit.

De nombreux journalistes décident de quitter le monde du journalisme, comme Edouard Sablier ou encore Emile Biasini. Malheureusement, les grévistes n’arrivent pas à obtenir gain de cause. Le gouvernement a proposé des avancées matérielles pour faciliter le travail journalistique. En revanche, il a laissé la porte close quant à une possible liberté d’information et à l’indépendance des rédactions.

L’Union journaliste, malgré la non-acceptation de la plupart de leurs revendications, décident d’annoncer la reprise du travail, le 13 juillet 1968.

 

Sources :

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