Chaque année, environ 100 000 Japonais font le choix de disparaître. Leur surnom ? Les « johatsu », ou les « évaporés » en français. Mot apparu dans les années 60 au Japon, il désigne des hommes et des femmes qui décident de disparaître sans laisser de traces et de recommencer une nouvelle vie.
L’évaporation, une question d’honneur
Le phénomène des évaporés s’accentue dans les années 90. Alors qu’ils connaissent leurs meilleures années économiquement, les Japonais vont vivre l’éclatement de la bulle spéculative. La vie est alors plus dure, et beaucoup de personnes n’arrivant plus à assumer économiquement décident tout simplement de se faire oublier. Depuis, chaque année, c’est l’équivalent de la ville d’Orléans qui disparaît au pays du soleil levant.
Les motifs de disparition sont néanmoins très divers. Certains n’aiment plus leur travail trop stressant, d’autres ont honte d’être allés en prison, et certaines personnes battues décident de partir à tout jamais.
Et au Japon, personne n’en parle. La disparition est un sujet tabou. Tout comme le suicide, ceux qui sont encore présents pour en parler se taisent. On considère qu’une personne qui fuit au Japon n’a pas rendu honneur à la société. La famille de l’évaporé vit donc la fuite comme une honte.
« Je me souviens aussi du gérant d’un hôtel qui a abandonné sa mère malade car il ne pouvait pas lui payer ses soins et ses factures. Il a préféré s’évaporer plutôt que d’avoir honte de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa mère. » Léna Mauger, auteure du livre « Les Évaporés du Japon » pour Les Inrockuptibles
La notion d’honneur est primordiale au Japon, inscrite dans les normes sociales et culturelles du pays. Un Japonais fera alors tout pour garder la face et ne pas salir le nom de sa famille. Tous les moyens sont bons pour garder l’honneur sauf. Notamment le fait de disparaître. Ces disparitions sont abordées dans le film L’Evaporation de l’homme (1967) ou dans le livre La Femme des sables (1962). L’évaporé est au cœur de la culture japonaise.
Le business de la disparition
Au Japon, comme un détective privé le dit dans le livre Tiphaine, où es-tu ? de Damien et Sibylle Véron, le pays recense 100 000 disparus chaque année, mais ça pourrait être bien plus. La chose est tellement taboue que certaines familles ne vont même pas déclarer le disparu. Selon certaines associations, le chiffre monterait à 200 000 disparus chaque année. Le phénomène est un vrai fléau. Et certains ne se privent pas de faire du business dessus.
Le nombre de personnes souhaitant disparaître est tellement énorme qu’une entreprise de disparition peut très bien exister et gagner de l’argent au Japon. C’est ce que certains ont fait, et c’est tout à fait légal dans le pays nippon. Les entreprises en question proposent une assistance logistique aux clients.
Ainsi, chaque année, des centaines de personnes feraient appel aux services de disparition. Ces dernières déboursent des milliers de dollars pour des logements temporaires dans des lieux secrets.
Un phénomène qui ne choque personne au Japon
Au Japon, les caméras de surveillance sont inaccessibles aux familles et les transactions financières ne sont pas tracées. Il n’existe peut-être d’ailleurs pas meilleur endroit que le Japon pour quelqu’un qui souhaite disparaître ! D’autant plus que les districts qui divisent le pays ne s’échangent pas d’informations. Les données administratives n’étant pas centralisées, il suffit juste à la personne de changer de district pour disparaître efficacement.
Damien et Sibylle Véron en ont fait les frais. Ils racontent leur enfer japonais dans le livre Tiphaine, où es-tu ?. Le livre raconte la disparition louche en 2018 de Tiphaine Véron, touriste française, dans un hôtel japonais. Un jour, Damien et Sibylle reçoivent un message les informant que leur sœur a disparu le 30 juillet 2018 à Nikko. Très rapidement, le frère et la sœur se déplacent au Japon.
Là-bas, ils font face à une tout autre police que celle en France. Les policiers n’ouvrent aucune enquête criminelle et ne semblent faire aucun effort pour rechercher la femme de 36 ans. L’histoire des Véron souligne bien une chose : si vous disparaissez au Japon, personne ne vous cherchera. Et même pas la police, qui, dans l’affaire Véron, ne semblait pas motivée à entamer des recherches.
« Au Japon, il est très facile de s’évaporer. La police n’interviendra pas sans une bonne raison, comme un crime ou un accident. Tout ce que la famille peut faire, c’est de payer très cher un détective privé. Ou juste attendre. C’est tout. » – Hiroki Nakamori, sociologue, à la BBC
Les familles, afin de retrouver les disparus, sont vouées à le faire elles-mêmes. Il existe dans le pays des détectives privés, payés très cher afin d’élucider des enquêtes délaissées par la police locale. Dans un pays où il est mal vu de faire des vagues, les familles ne s’activent pas pour retrouver leurs proches. Ces dernières sont donc vouées à attendre que l’évaporé revienne, ou bien à l’oublier.
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