Le puits de Moïse, un vestige à deux visages

Romain Lesourd
Romain Lesourd
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Situé au sein du parc du centre hospitalier spécialisé de Dijon (Côte-d’Or), le puits de Moïse est un véritable trésor médiéval. Commandé par Philippe le Hardi, duc de Bourgogne issu de la dynastie des Valois, le puits est construit entre 1396 et 1405. Il n’a depuis cessé d’impressionner les visiteurs, de par son réalisme et ses décorations. Ce qui fait également le charme de ce puits, ce sont les messages qu’il véhicule. Cultea vous emmène en Bourgogne, pour analyser et comprendre les véritables intentions qui ont poussé Philippe le Hardi à faire ériger ce puits.

Montrer la magnificence du duché de Bourgogne

Pour entreprendre la construction du puits, Philippe le Hardi n’a pas mandaté n’importe quel artiste. Il a en effet choisi l’un des meilleurs de l’époque, Claus Sluter. Rattaché au duc en 1383 et d’origine nordique, il est une figure éminente pour l’époque de la sculpture gothique. Ce dernier est doté d’une force d’expression sans pareil. Une force d’expression qui renouvelle également les formules de l’art sacré et funéraire. Il est également appuyé par son neveu, Claus de Werve, pour la conception des anges qui ornent le puits.

Le fait de demander à des artistes hollandais de confectionner ce puits démontre l’intention de représenter la puissance bourguignonne. La Hollande et les territoires nordiques étaient les grands centres artistiques de l’époque. À tel point que Philippe le Hardi rattacha Lille au duché de Bourgogne, pour être encore plus près de la Flandre et des Pays-Bas et ainsi pouvoir plus commercer avec ces régions.

Un présent envers le divin 

Le puits de Moïse est une véritable offrande à Dieu de la part du duc. Il constituait le piédestal d’un calvaire monumental, s’élevant à plus d’une dizaine de mètres de hauteur. Un Christ en croix, entouré de la Vierge, de saint Jean et de Marie-Madeleine, surmontait l’édicule.

Ce puits représente également six prophètes de l’Ancien Testament : Moïse, Isaïe, Daniel, Zacharie, Jérémie et David. Chacun d’entre eux tient un phylactère portant un extrait de leurs écrits annonçant la passion du Christ. Autour d’eux se trouvent six anges manifestant par leurs expressions ou leurs gestes la douleur de la passion. Avec la présence du Christ surplombant les prophètes, l’œuvre de Sluter représente en réalité le passage de l’Ancien au Nouveau Testament.

Philippe le Hardi fait construire le puits en tant qu’action de grâce envers Dieu, à qui il doit tout, par qui il a été touché de grâce. Il reconnaît tenir de Dieu son rang et sa puissance. Il suit donc les dires de saint Paul dans son épître à l’intention de Rome : « Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. » Ainsi, pour le remercier, il décide de glorifier Dieu par des œuvres d’art, notamment avec le puits de Moïse.

Un puits pour représenter les sentiments du duc

Cependant, le puits n’a pas uniquement pour but de glorifier Dieu. Il sert également à Philippe le Hardi à se représenter par le biais d’un des prophètes : Jérémie.

Tous deux partagent un nez fort et long, des sourcils arqués et le même menton troué d’une fossette. En se représentant à la place d’un prophète, Philippe le Hardi ne veut pas forcément montrer son pouvoir terrestre ou son rang social. Il souhaitait surtout montrer sa condition spirituelle.

Le choix de Jérémie pour représenter le duc peut également s’expliquer par la pertinence de sa prophétie. Jérémie est considéré comme étant la première expression personnelle d’une douleur sans égale, une douleur que, peut-être, le duc a voulu comparer avec la sienne, notamment en 1396 lorsqu’il perdit son meilleur ami durant la défaite de Nicopolis face aux Turcs. Il s’agit aussi du moment où son fils a été pris en otage. Cette douleur accompagna le duc tout au long de la fin de sa vie, une douleur également soulignée dans les textes et poèmes relatant cette bataille.

Sculpture représentant Philippe le Hardi (à gauche) et Jérémie sur le puits de Moïse (à droite) - Cultea
Sculpture représentant Philippe le Hardi (à gauche) et Jérémie sur le puits de Moïse (à droite)

Le puits de Moïse est devenu, au fil du temps, une véritable référence dans le domaine de l’art religieux. Il a d’ailleurs inspiré de nombreux artistes et a même été parfois copié. Si vous souhaitez toutefois voir l’original, rendez-vous à Dijon au sein du complexe hospitalier spécialisé, qui est aussi l’endroit où était bâtie la chartreuse de Champol. Un lieu sacré pour les ducs de Bourgogne où le puits était la pièce maîtresse.

 

Sources : 

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