Alexis Michalik est un grand du théâtre. Il l’a déjà prouvé avec Le Porteur d’histoire et l’a confirmé grâce au Cercle des illusionnistes. Avec Edmond, jouée sans discontinuer depuis 2016, il nous entraîne en une plongée virevoltante et romancée dans la création de Cyrano de Bergerac, la pièce qui triompha au théâtre en 1897.
Synopsis : La vie n’est pas simple pour le frêle Edmond Rostand. Les rentrées d’argent sont rares. Ses quelques créations ne servent, hélas, qu’à amortir la lente glissade de la grande Sarah Bernhardt vers la fin tranquille d’une carrière exemplaire. Georges Feydeau se moque de ses pièces, et à raison, car c’est fade… Vraiment fade ! Son ami Léo est un beau parleur, lui est un petit joueur. Les vrais hommes boivent de la bière et du vin, lui n’a droit qu’à des verveines. Et puis, il n’a pas les dents qui rayent le parquet, mais il écrirait bien un chef-d’œuvre (qui n’en rêve pas ?). Comble de malchance, sa femme ne l’inspire plus autant qu’avant. Plus du tout même. Alors quand un célèbre comédien parisien lui commande une pièce qui se jouera trois semaines plus tard, c’est la déconfiture.
Edmond : des décors qui tourneboulent
Michalik se serait ennuyé au XVIIème siècle. L’unité du temps et du lieu, très peu pour lui. Dans Edmond, les décors virevoltent et changent aussi vite que les acteurs peuvent courir. Un détail qui étonne : la minutie des chorégraphies. Car tout comme la pièce dont elle est censée raconter la genèse, Edmond est une cour de récréation dans laquelle caracolent de nombreux personnages. Et la troupe n’a pas assez d’elle-même pour les interpréter tous. Pourtant, chacun sait ce qu’il a à faire. Un piano apparaît, aussitôt remplacé par un lit, puis un train savamment fabriqué. On passe du café d’Honoré à la terrasse de Jehanne (la nouvelle muse de Rostand, qui lui inspire Roxane) en un battement de paupières. Les décors grands comme des maisons montent et descendent et on se retrouve même face à une scène de théâtre. Une scène dans la scène qui nous offre une mise en abyme habile et surprenante.
Le metteur en scène franco-britannique prend des libertés et s’en amuse. Il va jusqu’à utiliser intelligemment un vidéoprojecteur pour illuminer les murs d’affiches qui changent au cours de l’histoire. On a envie de dire de cette scène de théâtre ce que Rosemonde (la femme d’Edmond) dit de Paris : “La plus chère peut-être, la plus belle sûrement !” La musique, autre surprise, est souvent pertinente, même si elle semble parfois être un choix de facilité aux moments d’émotion.
Vous avez dit romantique ?
Le grand critique Emile Faguet disait de Rostand qu’il était “tout le romantisme proprement français”. Michalik, lui, choisit d’être tout le comique simplement guilleret. Ses personnages tiennent de ceux de Scarron, mais ils sont plus que jamais actuels, et imposent l’humour sans complexité. Les quiproquos s’enchaînent et les scènes loufoques deviennent sources d’inspiration pour le Rostand imaginaire et c’est très amusant.
Les acteurs sont brillants. Coquelin ne perd rien de sa superbe. Edmond est timide et craintif (habile opposition d’un auteur complexé et d’une œuvre éléphantesque). Mention spéciale aux deux proxénètes corses hilarants en qui beaucoup verront une référence à un célèbre sketch des Inconnus. Le bateau tangue pour le Rostand d’Edmond, la pièce qu’il écrit fait douter, et il le sait : “Le port n’est pas encore construit, et il prend l’eau de toute part”. Ses acteurs sont mauvais sur scène et en dehors. Il doit tout faire, tout inventer. Ce que justifie cocassement son ami Léo : “Je suis acteur, moi, je dis les mots des autres !” Les siens, en l’occurrence !
Bref, on rit, on est pris, et c’est bon. Edmond confirme qu’elle vaut ses cinq Molières, et Michalik qu’il a ce qu’il faut à un vrai auteur de théâtre : du panache. À la fin, les applaudissements du public se joignent à ceux de la pièce, qui célèbrent une seule et même œuvre dantesque : Cyrano de Bergerac.
Edmond, d’Alexis Michalik, continue sa course au théâtre du Palais Royal jusqu’au 1er juillet 2023.