« Autant en emporte le vent » : retour sur plus de 80 ans de polémiques

Robin Uzan
Robin Uzan
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Courant de l’été 2020, HBO Max avait retiré temporairement le classique Autant en emporte le vent de son catalogue. Une « censure » qui fut loin d’être du goût de tout le monde. Mais n’était-ce justement pas la période appropriée pour réévaluer cette œuvre, depuis très longtemps controversée ? 

Aujourd’hui, revenons en détail sur le cas d’Autant en emporte le vent. Un des films les plus emblématiques de l’histoire du cinéma, mais dont la réputation sulfureuse continue de faire jaser.

Autant en emporte le vent : une polémique très ancienne

Autant en emporte le vent est un des plus grands classiques de l’histoire du cinéma. C’est un fait indéniable. Mais croire que ce film n’a jamais posé problème, c’est se mettre des œillères ou méconnaître l’Histoire. Car il a été l’objet de polémiques avant même sa sortie…

Durant la production

En effet, dès le début de la production, le producteur David O. Selznick fut contraint, avant même le tournage, d’adoucir le scénario jugé très raciste.

Le film doit cela à la NAACP, une association de défense des droits civiques. Selznick a également été contraint d’engager des conseillers afin que les personnes afro-américaines sur le tournage soient respectées (car oui, pour respecter les personnes noires, il y avait besoin de conseillers…)

"Autant en emporte le vent" : censure stupide ou acte réfléchi ?
Ashley est peut-être bien le seul vrai amour de Scarlett.

Malgré un adoucissement du scénario, le constat resta très rude quant au message véhiculé par le film. Il faut dire que l’œuvre présente une vision très romanesque de l’esclavage et du Vieux Sud. Une vision jugée par beaucoup d’historiens et de spécialistes du cinéma comme révisionniste. 

«Malgré les assurances de Selznick, Autant en emporte le vent présente le Sud des États-Unis d’avant la guerre de Sécession comme un monde de grâce et de beauté. Le film ignore les brutalités du système d’esclavage sur lequel ce monde est basé »

Jacqueline Stewart – Professeure de cinéma à l’université de Chicago.

Une avant-première mouvementée et des oscars honteux

La polémique ne s’arrête pas là, puisque lors de l’avant-première du film, le maire d’Atlanta demanda à des paroissiens noirs de chanter déguisés en esclaves. L’historien Leonard J. Leff a d’ailleurs rappelé dans une interview pour The Atlanta que des manifestations avaient éclatées à Chicago à propos de ce film, considéré comme une glorification de l’esclavage.

Outre ces « festivités » au racisme décomplexé (oui, même pour l’époque), il est bon de rappeler que plusieurs comédien(ne)s n’ont pas eu le droit d’assister à l’avant-première, du fait de leur couleur de peau. Peu importe que ceux-ci aient participé au film, leur présence dans la salle n’était pas désirée.

Beaucoup argueront ce film fut l’occasion pour une comédienne afro-américaine de recevoir pour la première fois un Oscar… C’est oublier deux choses fondamentales :

  1. L’actrice Hattie McDaniel qui a reçu cet Oscar a été ostracisée du reste des acteurs et fut contrainte à rester au fond de la salle pour ne pas « perturber » la cérémonie.
  2. Cet Oscar récompense une performance certes excellente, mais aussi une caricature éhontée des esclaves dociles et heureux de leur sort, malgré le caractère bien trempé du personnage de Mammy. Il conforta ainsi l’Amérique de l’époque (voir actuelle) dans des stéréotypes peu glorieux.

Quand les personnalités publiques s’en mêlent

En 1984, c’est l’écrivain afro-américain James Baldwin qui s’attaque au film. Dans la préface de Chroniques d’un enfant du pays, on peut retrouver les propos suivants :

Apparemment les Nord-Américains croient à ces légendes qu’ils ont créées et qu’absolument aucune réalité ne corrobore… Et ils y croient encore aujourd’hui. Et quand ces légendes sont attaquées, comme cela arrive maintenant (partout sur un globe qui n’a jamais été et ne sera jamais blanc), mes compatriotes deviennent puérilement agressifs et indiciblement dangereux. 

En 2017, c’est un cinéma de Memphis qui suspendra la projection du film suite aux événements de Charlottesville. Le réalisateur militant Spike Lee déclarera quant à lui que le film est :

L’un des responsables d’une persistance de la pensée raciste aux USA. 

Dans un autre registre, le youtubeur français Durendal s’était attaqué très violemment au film en 2015, dans une double-vidéo retraçant la totalité de l’œuvre. Une vidéo à découvrir de toute urgence afin de comprendre les rouages de la création de ce film.

"Autant en emporte le vent" : censure stupide ou acte réfléchi ?
Hattie Mcdaniel fut la première afro-américaine à recevoir un Oscar grâce à Autant en emporte le vent. Peu de temps avant, elle avait été interdite de projection pour l’avant-première à Atlanta.

Toutes ces polémiques (liste non-exhaustive) ne démontrent qu’une chose : malgré ses qualités filmiques, Autant en emporte le vent est loin d’être l’histoire idyllique qui nous est vendue. Pourtant, encore aujourd’hui, il semble difficile de remettre l’œuvre en cause sans être victime de tous les quolibets . Et cela nous amène à poser une question extrêmement importante.

Un grand classique doit-il être intouchable ?

Nous sommes pour la plupart d’accord pour dire que la censure n’est pas une solution, même pour les œuvres les plus polémiques.

Cependant, les œuvres cultes doivent-elles être totalement intouchables ? N’a-t-on pas le droit d’exercer un certain esprit critique vis-à-vis des grands classiques ? Notamment quand ces grands classiques ont été établis comme révisionnistes par de nombreux historiens de par le monde ?

Il ne faut évidemment pas dénigrer l’amour que beaucoup portent à Autant en emporte le vent. Ni oublier les qualités indéniables de ce long-métrage culte. Dénigrer les émotions des gens ayant aimé ce film n’apporte rien au débat et ne fait qu’empêcher toute conversation constructive…

"Autant en emporte le vent" : censure stupide ou acte réfléchi ?
Quoi que l’on pense d’Autant en emporte le vent, Vivien Leigh et Clark Gable forment un couple culte.

Cependant, il doit être possible de réévaluer ce genre d’œuvres, maintenant que nous avons le recul nécessaire. Il serait profondément hypocrite de fustiger la réévaluation d’Autant en emporte le vent, tout en étant imperméable aux arguments allant en sa défaveur.

Le débat doit avoir lieu. Surtout en cette période de révolte contre le racisme systémique, observable dans de nombreux pays du monde.

Une réévaluation mal acceptée par le public

Le meurtre de George Floyd aux USA le 25 mai 2020 a affecté le monde entier et a remis le débat concernant le racisme sur le devant de la scène. Comme acte symbolique, Warner Bros a retiré temporairement Autant en emporte le vent de son catalogue HBO Max. L’objectif ? Ajouter un panneau de contextualisation au film. Beaucoup furent prompts à fustiger cette décision et à crier à la censure.

Pourtant, il a bien été précisé que le retrait du film n’était que temporaire. Warner Bros a d’ailleurs exprimé un regret à ce sujet, suite à la polémique :

C’était une évidence, Warner avait les meilleures intentions qui soient. Je ne regrette pas une seconde de l’avoir enlevé. J’aurais seulement préféré que nous affichions l’avertissement d’entrée de jeu, avec la clause de non-respectabilité. Et nous ne l’avons juste pas fait. […] Nous l’avons donc retiré pour le re-proposer dans un contexte approprié. C’est ce que nous aurions dû faire depuis le début.

Bob Greenblatt – Président de WarnerMedia

"Autant en emporte le vent" : censure stupide ou acte réfléchi ?
L’incendie d’Atlanta est une scène iconique du cinéma.

Donc crier à la « censure » n’était-il pas exagéré ? Le film est en effet de retour sur HBO Max avec le panneau promis. L’œuvre est depuis de nouveau disponible dans son intégralité.

 « Remettre l’œuvre dans son contexte » ?

Beaucoup argueront (avec raison) qu’un produit culturel est le reflet de son époque. Et qu’à ce titre, il faut replacer Autant en emporte le vent dans son contexte historique… Bingo ! C’est justement ce qu’HBO a fait. Eh oui, en rajoutant ce panneau explicatif quant à la portée révisionniste de l’œuvre, ainsi que sur ses propos controversés, Warner Bros n’a fait que remettre l’œuvre dans son contexte.

Que nous aimions ou pas Autant en emporte le vent n’est au final pas important. Ce qui importe, c’est de pouvoir évaluer objectivement les messages véhiculés par le film et d’agir en conséquence comme l’a fait la plateforme. Non pas en censurant l’œuvre, mais bien en la replaçant dans son contexte. Et s’il y avait un moment pour le faire, c’était bien en 2020. Il est d’ailleurs à noter que personne ne demande la censure d’Autant en Emporte le Vent, même parmi ceux qui souhaitent sa réévaluation. La seule chose demandée est justement que ce film soit recontextualisé selon les connaissances historiques établies :

« Regarder Autant en emporte le vent peut être inconfortable, voire douloureux. Pourtant, il est important que les classiques hollywoodiens soient à notre disposition dans leur forme originale pour que nous puissions les visionner et en débattre »

Jacqueline Stewart

Avoir des œuvres contemporaines qui dénoncent le racisme c’est une chose, mais réévaluer les œuvres cultes aux messages controversés est tout aussi important. Bien évidemment, cela ne doit pas conduire à la censure. Mais comprendre le contexte d’un film permet de mieux comprendre un contexte historique. Et cela pourrait permettre de comprendre certaines inégalités sociales qui perdurent.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez toujours (re)voir Autant en emporte le vent dans son intégralité sur la plateforme de SVOD. Mais peut-être le découvrirez-vous à présent sous un nouveau jour.  

Sources : 

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Journaliste, photographe et réalisateur indépendant, écrire et gérer Cultea est un immense plaisir et une de mes plus grandes fiertés.
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