La saga Halloween est un véritable classique du slasher, et même plus globalement de l’horreur. Depuis son premier film sorti en 1978, une des figures de proue du cinéma du réalisateur américain John Carpenter (The Thing, New York 1997), elle n’a cessé de multiplier les films. Au total, on en compte 13 entre 1978 et 2022, entre suites directes ou indirectes, reboots et films non-canons. Les storylines prennent des directions totalement différentes de l’un à l’autre. On a ainsi au final une réécriture du classique propre à chaque réalisateur, plus ou moins éloignée. Le seul point commun entre tous, à l’exception d’Halloween 3, c’est le tueur en série Michael Myers, autrement appelé The Shape (la forme) ou The Boogeyman (le croquemitaine).
Attention, spoilers !
Les racines du mal
Le slasher peut se définir par un film d’horreur dans lequel un tueur, souvent masqué ou déguisé, tue un groupe, souvent d’adolescents. Parmi les archétypes qui collent à ce sous-genre très populaire, on a aussi la final girl. Cette dernière survivante fait preuve d’un courage inné. Ici, c’est Laurie Strode, campée par Jamie-Lee Curtis dans la plupart des films. Elle incarne l’icône de femme forte face à l’assassin masqué.
Dans les yeux de ce garçon, j’ai vu, purement et simplement, les racines du mal !
C’est ce que déclare le Docteur Loomis, psychiatre de Michael, dans le film original. L’histoire commune à chaque nouvelle origine du personnage, c’est qu’à l’âge de 6 ans environ il a poignardé sa grande sœur à plusieurs reprises. C’est le grand drame de la petite commune d’Haddonfield. Michael est physiquement déshumanisé : sa démarche est robotique, son visage est recouvert d’un masque blanc qui donne l’impression qu’il n’a pas d’yeux… Il est crédité au générique en tant que The Shape. Il est comme un fantôme, une figure qui n’existe pas vraiment. Cet aspect vaporeux de Michael renforce ainsi l’idée qu’il est le mal incarné.
Au fil des films, on le développe de différentes manières. Alors que certains le voudront totalement insensible et garderont cette déshumanisation, d’autres lui offriront un passé douloureux cliché de serial killer ou des obsessions affectives auxquelles s’accrocher.
Malgré toutes ces réécritures, l’image principale de Michael Myers aux yeux du grand public et en tant qu’icône de la pop culture, c’est la plus vide, celle en qui on voit les véritables racines du mal.
Une énième tentative de modernisation
Il est difficile de suivre les différents chemins empruntés par la saga Halloween. On peut ainsi se perdre aisément entre toutes ses versions. En tant que réécriture, elles empruntent à l’original tout en apportant leur propre histoire, leurs propres détails. Les studios de production ne savent pas vraiment quoi faire de cette franchise populaire. Ils explorent tout un tas de possibilités, dont un Halloween 3D et des suites aux remakes de Rob Zombie.
Toutes ces productions sont annulées peu de temps après leur lancement. En 2016, un nouveau projet est enfin lancé et ses scénaristes ne savent pas où donner de la tête.
Nous avons pensé qu’il serait plus facile de revenir aux sources et de poursuivre après le premier film. C’est plus sympa que de savoir qu’on travaille sur Halloween 11.
Ce sont les mots de l’un des scénaristes, Danny McBride, qui explique à de nombreuses reprises qu’ils ont essayé de réunir tous les films. Mais c’était impossible, parce que les chemins étaient trop multiples pour coïncider. Ils décident de ne prendre pour base que le tout premier film de Carpenter et de revenir à un Michael Myers déshumanisé, tellement inspiré par l’original que l’acteur qui l’incarnera se fait conseiller par son prédécesseur pour perfectionner au maximum sa performance. Carpenter veille au grain. Il fait office de conseiller principal pour David Gordon-Green, le réalisateur attitré de la trilogie à venir.
Halloween, Halloween Kills, Halloween Ends
C’est en 2018 qu’on a le droit au sobrement intitulé Halloween, qui reçoit un accueil plutôt positif. Si les fans les plus assidus regrettent qu’on efface tout un penchant de la franchise, on aime retrouver Laurie Strode, la survivante du tueur, vieillie aux côtés de sa fille et sa petite-fille. Les retrouvailles entre le tueur et sa final girl fonctionnent, tous deux à la fois écorchés et fidèles à eux-mêmes. A cela, on ajoute la cerise sur le gâteau d’un slasher populaire : des tueries créatives qui plaisent aux spectateurs comme aux critiques. Il devient même le film Halloween le plus rentable du monde. L’avenir semble radieux pour la saga, du moins pour l’instant.
Décalée d’un an à cause de la pandémie de Covid-19, la sortie d’Halloween Kills laisse un goût bien plus amer. Suite directe certes, il prend une direction artistique différente et se lâche tellement qu’il s’approche du nanar. Toute la ville s’en prend à Michael, qui a survécu à la riposte de Laurie. Le film, survolté, se veut comme un reflet de la société américaine moderne : sans limites et rentre-dedans. Il se prend un tollé critique et on considère surtout qu’il n’est qu’un enchaînement bête de séquences. Même si celles-ci sont créatives et que Michael se surpasse dans ses meurtres.
A peine un an plus tard, en octobre 2022, Halloween Ends sort sur grand écran. Cette fois, la suite n’est pas directe et on fait une ellipse de 4 ans. Le film convainc difficilement et rien ne semble pouvoir rattraper les dégâts causés par son petit frère. On met fin à la relation Laurie Strode/Michael Myers pour de bon. On soulève aussi le discours sur le mal et ses racines sous un angle différent qui sonne pour beaucoup trop cliché. Néanmoins, on ne peut nier que cette réflexion a un véritable intérêt, ne serait-ce que pour l’héritage de la saga Halloween.
Evil dies tonight
Si on fait bien notre boulot, il y aura au final quatre films formant un ensemble incroyable. Celui de Carpenter de 1978, celui de 2018, puis Halloween Kills et Halloween Ends.
– David Gordon-Green
Cette trilogie ne laisse pas indifférent et divise. Si certains y voient un coup de génie, d’autres y voient un nanar (drôle ou non, maîtrisé ou non, c’est selon). En les visionnant à la suite, on a presque l’impression qu’il y a eu plusieurs réalisateurs, malgré une continuité qui fonctionne plutôt bien à l’écriture. On pourrait aussi voir les choses d’une autre manière, en considérant qu’on a un réalisateur qui explore une franchise pour laquelle il a beaucoup d’affection. La trilogie est variée et se permet tout ce dont elle a envie. Elle est constituée d’un film d’introduction qui reste dans les codes, d’un second complètement libéré qui les casse et d’une conclusion douce-amère à laquelle on ne peut pas reprocher d’au moins réussir à clôturer correctement l’histoire de Laurie Strode et de Michael Myers.
La question du mal incarné et de ses fameuses racines dont on ne cesse de parler reste ambiguë. Si 2018 se veut plus proche d’un Michael déshumanisé sur lequel on ne se pose que très peu de questions, à tel point qu’on fait appel à des flashbacks du Docteur Loomis, Kills explore une sorte de folie de masse qui s’empare de toute la ville. Ends parle de transmission, mais peut paraître flou dans son message. Est-ce qu’il s’agit d’une transmission de paria à paria ? D’un ascendant sur une personne plus faible ? D’une pâle copie qui ne rattrapera jamais l’original ? Chacun peut voir son propre ressenti et sa propre lecture de la saga Halloween et de sa pagaille de continuité à travers Corey, le protagoniste de la conclusion qui essaye tant bien que mal de prendre la place du croquemitaine.
D’autres questions encore se posent. L’un des reproches les plus adressés à cette saga, c’est qu’elle humanise trop la figure que représente Michael Myers. Mais c’est encore une fois une interprétation qui peut se vouloir assez libre. Kills n’est pas le plus controversé pour rien. Au-delà de son aspect nanardesque, c’est probablement celui qui a le plus de sous-texte. Tout le film, ce sont les habitants d’Haddonfield qui lui donnent une identité et qui personnifient le mal. Chacun lui donne, en quelque sorte, le visage qu’il veut. Pendant ce temps, lui continue à faire ce qu’il a l’habitude de faire : tuer à la chaîne. Le mal, abordé sous tous les angles, laisse le pouvoir à l’œil du spectateur.
A travers des archétypes parfois vus et revus, des dérapages parfois incontrôlés et une imperfection certaine mêlée à une passion ardente de la part de l’équipe de ce remake qui ne peut s’empêcher de lui donner son charme et sa propre identité, on fait face à un parcours cinématographique initiatique. On a l’impression, en fin de compte, que malgré ses erreurs techniques et narratives, la saga s’est exprimée comme elle voulait. C’est maintenant à nous, en tant que spectateur, de reprendre le flambeau dans notre réflexion face au mal et à comment il est incarné dans cette réécriture, en fonction de notre rapport à la saga originale et de notre propre morale. Les films laissent la pensée libre et ouverte, et ce qui est sûr c’est qu’ils auront laissé une belle marque dans l’histoire d’Halloween.
5 Replies to “Analyse de la saga « Halloween » par David Gordon-Green (2018-2022)”