Depuis plus de 20 ans, Banksy s’impose dans le monde du street art par son travail engagé, autant d’un point de vue politique que vis-à-vis du marché de l’art.
En juin dernier démarrait The World of Banksy, une exposition immersive dans l’univers de Banksy en plein Paris. Connu dans le monde entier, l’artiste a déjà œuvré dans les rues françaises à de nombreuses reprises. On se souvient notamment de son œuvre tristement célèbre, La Petite fille triste, peinte sur une porte du Bataclan en hommage aux victimes du drame du 13 novembre 2015.
De cette exposition à Paris ressort un élément qui chiffonne particulièrement l’artiste : un hôtel jouxte l’exposition et permet de dormir dans des chambres thématiques. Une référence au Walled Off Hotel de Bethléem, créé par Banksy lui-même. Mais cette exposition et cet hôtel, il n’y a pas consenti. Il dénombre d’ailleurs 27 expositions partout dans le monde existant sans son accord. Car bien qu’étant l’un des artistes les plus reconnus de sa génération, Banksy a du mal avec le marché de l’art.
Le plus célèbre des street artistes
Chose importante qu’il faut noter : Banksy est un anonyme. Un célèbre anonyme, si on peut dire. Depuis 20 ans, personne n’a réussi à connaître son identité. Et c’est peu dire que d’affirmer que cette particularité ajoute une part de mystère au personnage.
Banksy n’a pas inventé le street art. D’autres artistes utilisaient le pochoir pour créer des œuvres sur les murs des rues, comme notamment Ernest Pignon-Ernest. Mais il est aujourd’hui l’un des plus connus, pour différentes raisons (même s’il se fait voler la vedette par Toolate pendant le Covid avec l’exposition de ses masques). On se souvient notamment de l’autodestruction organisée de son tableau La Fille au ballon, lors de sa vente à Sotheby’s dont on reparlera plus tard dans l’article.
De plus, Banksy a eu un impact important sur le monde du street art. En juin 2006, il réalise un collage à Bristol intitulé Well Hung Lover (L’Amoureux bien accroché). Peint sur le mur d’un centre de santé sexuelle, l’œuvre représente un homme suspendu à la fenêtre de sa maîtresse, alors que le mari de celle-ci le cherche. Débute alors un vrai débat : est-ce de l’art ou du vandalisme ? Les habitants de la commune sont amenés à voter leur souhait ou non de garder cette peinture. Elle sera finalement validée et deviendra ainsi la première œuvre de street art reconnue légalement au Royaume-Uni.
Sa renommée, Banksy la doit aussi à la portée de ses œuvres. La quasi-totalité contient un message politique souvent lié à l’actualité, ce qui fait évidemment beaucoup parler de lui.
L’art de la dénonciation
En effet, Banksy n’hésite pas à faire référence à des sujets épineux qui enflamment le débat public.
En 2003 à Jérusalem, il peint ce qui deviendra l’une de ses œuvres les plus iconiques : Love is in the Air (L’amour est dans l’air). Placé sur le mur qui sépare la Palestine et Israël, elle représente un homme lançant un bouquet de fleurs plutôt qu’un cocktail molotov. Un véritable message de paix en plein conflit israélo-palestinien.
Autre exemple plus récent, en 2015, il peint à Calais The Son of a Migrant from Syria (Le fils d’un migrant syrien). Alors que la ville accueille de nombreux migrants et que leur arrivée fait polémique en France, Banksy n’hésite pas à taper du poing. Il représente Steve Jobs, ancien PDG d’Apple, baluchon à l’épaule et ordinateur à la main. Il accompagne son œuvre d’un communiqué disant :
“On nous fait souvent croire que l’immigration est un fardeau pour les ressources d’un pays mais Steve Jobs était le fils d’un immigré syrien. Apple est la société qui dégage le plus de bénéfices, et qui paye plus de sept milliards de dollars d’impôts ; mais cela a pu être le cas seulement parce qu’un homme venu de Homs a pu entrer aux Etats-Unis. »
Vu sous cet angle, difficile de le contredire.
Les paradoxes de Banksy
Mais l’œuvre de Banksy comporte aussi de nombreux paradoxes, bien souvent contre son gré. On a vu plus haut que l’artiste désapprouvait de nombreuses expositions à son nom. Il est d’ailleurs aisé de comprendre en quoi cela le chagrine, puisque le propre du street art est de rendre l’art accessible à tous en le plaçant dans la rue. Mettre des œuvres dans un musée participe donc, si on suit cette logique, à le rendre élitiste en faisant payer l’entrée du lieu.
Mais au-delà du lieu d’exposition, il y a aussi la marchandisation de ses œuvres. Le marché de l’art est un marché fructueux où des œuvres atteignent des sommes incroyables. Et l’œuvre de Banksy n’y échappe pas. Son œuvre Kissing Coppers (Policiers s’embrassant), peinte sur les murs d’un pub anglais, en est un exemple. Quelques années après sa création, le propriétaire du lieu décide de la vendre à une galerie new-yorkaise pour le prix de 575 000 dollars. Banksy est donc impuissant, bien malgré lui, de ce qui est fait de ses œuvres.
Mais s’il est bien une œuvre emblématique de cette marchandisation de l’art au grand damne de son créateur, c’est bien Girl with balloon. Dans la salle de vente Sotheby’s en 2018, le tableau est adjugé à 1,18 million d’euros. Mais, surprise, le coup de marteau à peine retenti, l’œuvre s’auto-détruit de moitié et finit en lambeaux. Orchestré par l’artiste lui-même, il voulait une fois de plus montrer sa désapprobation quant à la marchandisation de ses œuvres. Seulement voilà, la scène est filmée et fait le tour d’internet. Loin d’avoir fait baisser la côte de l’œuvre, cette histoire l’a, au contraire, augmentée. Alors, coup de pub ou véritable tentative de destruction ?
Cette histoire amène à se questionner sur ce qui fait la valeur d’une œuvre. Ici, la mise en scène qui l’entoure y participe, mais ce n’est pas la première fois que Banksy s’intéresse à ce sujet.
Le pouvoir de la signature en art
Nathalie Heinich posait cette question dans son article « La signature comme indicateur d’artification » (2008, dans Sociétés & Représentations) :
« N’y a-t-il artiste que s’il y a signataire d’une œuvre, et œuvre d’art que si l’objet en question est signé ? »
La question de la signature est primordiale. Est-ce la signature qui fait art ?
Installé près de Central Park à New York, Banksy propose ses œuvres à la vente sans signature et sans dire son identité. Il fixe le prix à 60 dollars, pour des œuvres pourtant estimées à plus de 20 000 euros pour les plus petites, quand on sait qu’elles sont de l’artiste. Butin de la journée : 420 dollars de bénéfice, et seulement quelques passants ayant acheté ses toiles. Preuve que, sans son nom apposé, Banksy n’est pas Banksy et que, malgré la plastique de son travail, c’est aussi son nom que l’on achète.
Loin d’avoir dit son dernier mot, Banksy revendique via une vidéo Youtube de nombreuses œuvres réalisées été 2021 en Angleterre. Et même si la vidéo ne dévoile pas l’identité de l’artiste, toujours filmé de façon à rester anonyme, elle nous montre un vieux camping-car qui passe inaperçu et qui ne semble pas vouloir s’arrêter d’arpenter les rues pour leur donner des allures de galerie d’art à ciel ouvert.
2 Replies to “Banksy, le street artiste de la dénonciation”