Havas est l’une des premières agences de presse qui a pu voir le jour. Cette entreprise privée a longtemps joué entre intérêts économiques et politiques à travers l’information. Cela nous amène à réfléchir à un débat très actuel concernant la neutralité de l’information lorsqu’elle nous est diffusée à la télévision, à la radio, dans les journaux… Découvrons aujourd’hui l’histoire de l’agence de presse Havas jusqu’à sa chute à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L’histoire de l’agence Havas
L’agence Havas est l’œuvre de Charles Havas. Mais si notre homme a bien travaillé dans le journalisme en tant que traducteur de journaux étrangers pour la France, il est avant tout un gestionnaire d’affaires et banquier. Il se rend vite compte de l’intérêt économique qui réside dans l’information. Ainsi, il crée en 1835 une agence de presse qui reprendra plus tard son propre nom : Havas.
À l’aide de réseaux internationaux et de ses contacts, Charles Havas parvient à obtenir des informations très rapidement. D’abord via un réseau de pigeons voyageurs, puis par télégraphe, pour les revendre aux journaux français. Charles-Guillaume et Auguste Havas, ses enfants, lui succèdent et développent en 1855 une nouvelle activité : la publicité. Ils décident de se lier avec la Société générale des annonces (SGA).
Il n’est dès lors plus question d’une entreprise familiale… En 1879, le baron Émile d’Erlanger achète l’agence et la transforme en société anonyme. Le grand réseau construit pour l’agence ne cesse de s’étendre. Les sources de l’information sont diverses : banques, papetiers, installateurs de câbles… Et le succès de Havas est très important.
Malgré l’intérêt économique qu’aurait pu représenter l’investissement des journaux dans l’agence, Havas refuse toutes les propositions. La raison est que soit il les fallait tous, soit aucun afin de ne pas créer de concurrences entre les journaux.
Plusieurs gérants s’enchaînent jusqu’à ce que Léon-Prosper Rénier, un publicitaire à la tête de la SGA, devenue maison-mère de l’agence Havas, fusionne les deux entités. Pendant vingt ans, l’agence restera indépendante, jusqu’en 1940 avec l’invasion de l’Allemagne. Dès la Seconde Guerre mondiale, les locaux de l’agence Havas sont investis par les occupants nazis au nord. Ils se déplacent alors dans les locaux du journal Le Jour. Puis, Pierre Laval va s’employer activement à nationaliser Havas dans le sud. Les dirigeants revendent finalement la branche « information » en 1940, qui devient l’Office français de l’information (OFI qui deviendra l’agence France-Presse en 1944). Au sortir de la guerre, en 1945, on nationalise l’agence Havas.
L’agence Havas toute puissante
Sans concurrents
Durant sa période dorée, l’agence Havas impose son monopole sur l’information. Elle rachète ses concurrents ou les attaque en justice afin d’affaiblir les nouveaux ou de les faire disparaître. S’il subsiste quelques concurrents, le danger est moindre car ils sont spécialisés (clientèle ciblée, produit de niche). Pour l’information générale, Havas est l’interlocuteur obligatoire.
Le rôle de la publicité
Le rôle de la publicité dans la domination d’Havas est extrêmement important, vous l’aurez compris. Pour imposer la publicité dans les journaux et ainsi satisfaire les investisseurs, on fonctionne avec un système simple : les journaux qui acceptent de publier des annonces voient le montant de leur abonnement au service de presse déduit des revenus publicitaires auxquels ils ont droit (sorte de lot information + publicité = moins cher). Les journaux passent alors presque tous par cette agence pour leurs revenus, mais aussi leurs informations (contenus). Quelques exceptions demeurent avec certains journaux indépendants qui créent leurs propres régies publicitaires et leurs propres réseaux de correspondants. Mais cela reste rare…
L’information grâce à la technique
L’hégémonie d’Havas a largement été servie par le progrès de la technique. D’abord, elle a développé des réseaux de pigeons voyageurs comme on a pu le voir. Mais rapidement, le télégraphe électrique est mis au point et Havas obtient une autorisation spéciale d’utilisation dès 1845, tandis que l’ouverture au public n’est qu’en 1850. On considère donc l’expédition des dépêches de Havas comme une priorité. D’autant plus que l’entreprise a les moyens de payer les tarifs élevés des expéditions… L’agence est donc toujours en avance par rapport aux autres, avec les informations urgentes envoyées aux abonnés par télégraphe et les moins urgentes sous forme d’imprimés.
Havas ne va cesser d’anticiper et d’utiliser les nouvelles technologies dans son intérêt afin que l’information se diffuse toujours plus vite et d’être toujours les premiers sur le coup… Ou choisir de ne pas l’être.
Que fait Havas des informations recueillies ?
Recueillir l’information
Havas a des correspondants pigistes rémunérés en province, soit 412 correspondants locaux (4 par département environ). Ainsi, l’information locale remonte plus facilement. Ce ne sont pas des professionnels, mais des gens bien informés, proches du terrain.
Havas a également un réseau semblable à l’international. Pour gérer le flux d’informations, il y a une série de services thématiques au siège parisien (économie, politique, international) et un bureau central pour tout faire converger (avec 20 rédacteurs qui s’y succèdent).
Afin de faciliter les échanges d’informations à l’international, Havas est au cœur d’une structuration nouvelle des échanges mondiaux. Si elle est la principale agence de presse du monde jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, des accords sont passés avec les puissantes agences Reuters (Londres) et l’Agence Continentale (Agence Wolff à Berlin) pour se répartir le monde et être plus efficaces.
À la fin de 1832, les clients d’Havas sont les banques, les sociétés commerciales, mais aussi plusieurs grands journaux. L’abonnement est de 350 francs/an, soit 4,5 fois le prix d’un abonnement à un journal (déjà inaccessible car cher). En 1840, le gouvernement est client.
Livrer l’information
La toute-puissance de Havas sur l’information pose cependant de nombreux problèmes de neutralité. Elle est largement en amont de la chaîne de transmission de l’information, ce qui implique qu’elle possède un pouvoir politique énorme. D’autant plus qu’aucun concurrent ne peut faire face à Havas. Certaines informations restent donc dans l’ombre… Si Havas n’en parle pas, personne d’autre ne va vérifier ou sortir d’autres informations…
Afin d’être toujours sur le coup, l’agence établit également une connexion étroite avec le pouvoir politique. Dans les années 30, on suspecte Charles Havas d’être un espion pour le gouvernement et que sa position aurait favorisé son entreprise. Mais on a des exemples plus concrets, comme lorsque le baron Erlanger devient actionnaire de Havas et joue de ses réseaux pour conforter l’accès de l’agence aux hautes sphères.
De plus, on ne restitue pas l’information telle quelle aux clients… Effectivement, vers 1830, on choisit les informations en s’adaptant, tantôt pour le gouvernement, pour les préfets, pour les journaux départementaux soutenant le gouvernement, pour les banquiers et hommes d’affaires. Sous le Second Empire, on a aussi des bulletins thématiques : vie parlementaire, agriculture, bourse, Allemagne, etc.
Le filtrage des informations
On retrouve le filtrage des informations par Havas à travers quelques exemples.
• On a notamment le cas de Guernica qui illustre le traitement de la guerre d’Espagne (27 avril 1937). Des journalistes se sont rendus sur place et les principales agences mondiales relaient l’information… Sauf Havas qui ne dit rien du bombardement. La presse française diffuse l’information seulement deux jours plus tard à partir des journaux étrangers ! Et le 3 mai, Havas diffuse même une contre-enquête affirmant qu’il n’y aurait pas eu de bombardements !
• Avec la guerre russo-japonaise, les Russes craignent pour leurs placements auprès des épargnants français. Ils versent donc de l’argent à Havas pour que les nouvelles concernant la guerre soient adoucies afin que les Français maintiennent leurs placements.
• En 1913, l’empire Ottoman verse des pots-de-vin à la SGA pour que les journaux présentent la Turquie sous un jour favorable…
• En 1838, on assiste à la matérialisation d’un soutien de l’État à l’agence avec Léon Vidal, chargé de verser de l’argent aux journaux pro-gouvernementaux, qui donne la consigne de privilégier la correspondance avec Havas. En 1917, le quai d’Orsay finance même l’agence pour que Havas joue le relai d’une contre-propagande allemande envoyée en direction des pays neutres. Cela permet de maintenir des agences en Amérique du Sud. Dans les années 30, une rédaction complète s’installe à Berlin. Le ministère bénéficie ainsi d’un poste d’information pour surveiller le régime nazi.
Si Havas ne fait pas systématiquement de la propagande, elle joue et adapte ses informations pour ses intérêts économiques. Et c’est parfois extrêmement dangereux. Elle doit en permanence équilibrer ses relations entre ses clients, entre recul et engagement.
« L’information est pour Havas un produit qui n’est jamais donné tel quel. Elle peut être présentée de différentes manières : filtrée, découpée, emballée, distillée, noyée, cachée. » (Antoine Lefébure)
Havas aujourd’hui et la question des groupes
Si la première agence Havas s’est éteinte à la Seconde Guerre mondiale, Vivendi rachète le groupe en 1998. C’est aujourd’hui un groupe français de conseil en communication, principalement avec l’agence de publicité Havas Worldwide dirigé par le groupe Bolloré. Les habitudes ont cependant la vie dure et on retrouve encore la communication, la politique et l’argent étroitement liés.
Effectivement, lors des élections présidentielles en Afrique en 2010, Havas gère la communication des candidats Alpha Condé en Guinée et Faure Gnassingbé au Togo. Une enquête révèle quelque temps plus tard que l’agence a fait payer beaucoup moins cher ses services aux candidats afin d’obtenir le droit d’exploitation des concessions de terminaux à conteneurs des ports de Conakry et de Lomé pour la Bolloré Transport & Logistics Corporate, filiale rassemblant les activités transports et logistiques du groupe Bolloré dans le monde…
Et ceci n’est qu’une petite partie visible de l’iceberg. En France, la presse est régulièrement déficitaire, en manque de bénéfices, et ces failles permettent à de grands groupes d’investir. Ils étendent ainsi leur influence sans qu’on s’en aperçoive vraiment et possèdent de nombreux médias. Cela alimente une perte de confiance et une méfiance actuelle vis-à-vis des médias…
La crise sanitaire actuelle met d’autant plus en lumière la perte de confiance de la population envers les médias. La toile étendue des grands groupes de presse et la perte d’indépendance des journaux font peur aux lecteurs/auditeurs. La jeune génération se dirige d’ailleurs beaucoup plus vers Internet, où l’on trouve autant d’informations libres, engagées, qu’instrumentalisées. Le désintérêt progressif des Français pour l’information est également notable depuis quelques années…
Sources :
- Crise de confiance et perte d’intérêt : les Français restent critiques envers les médias – Le Monde
- Concessions portuaires en Afrique : Vincent Bolloré déféré devant les juges d’instruction – Le Monde
- Séminaire de M. Vincent Flauraud (enseignant-chercheur du CHEC), Histoire des Médias, Université Clermont-Auvergne, 2020.
- De l’agence Havas à l’AFP : deux siècles de journalisme sur tous les fronts – afp.com
- L’Agence France-Presse – expositions.bnf.fr