« Siràt », une expérience sensorielle à vivre et à revivre [critique]

"Siràt", une expérience sensorielle à vivre et à revivre [critique]

Le Siràt désigne le pont que devront traverser les hommes au jour du jugement et qui enjambe l’enfer en menant au paradis. Il est décrit comme aussi aiguisé qu’une épée et plus mince qu’un cheveu.

C’est par cette définition que s’ouvre Siràt, film réalisé par Oliver Laxe et sorti le 10 septembre 2025 en France. Bénéficiant d’une promotion plutôt confidentielle, le film a tout de même attiré plus de 600 000 spectateurs et également obtenu le prix du jury au festival de Cannes.

Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers en route vers une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.

C’est donc avec ces mots gravés en tête qu’on va suivre Luis, joué par Sergi Lopez, s’enfoncer dans le désert avec son fils au volant de sa vieille bagnole, à la recherche de sa fille aînée.

Avant d’être un road trip aux accents Mad Maxien, Siràt est avant tout un film communautaire, voire documentaire. Plongé directement dans l’univers de la teuf et de la rave, on se retrouve pris dans la masse, à côtoyer des teufeurs, aux gueules et aux physiques tous plus atypiques les uns que les autres. Mutilés, handicapés, décharnés, les marginaux sont la norme et c’est bien Luis qui fait figure ici d’original dans ce melting pot de danseurs kétaminés.

Mais loin de nous exclure de cette ambiance, Oliver Laxe nous invite, tout comme Luis, à suivre les ravers, qui sont aussi des rêveurs et partager leur expérience sensorielle, mystique et psychédélique. Entraîné par une musique entêtante et omniprésente, mais aussi par des visuels abstraits, on est alors embarqué dans un voyage où de l’aridité des paysages va naître une expérience unique, transcendantale et supra consciente.

Dans ce mélange permanent de musique et d’images abstraites, l’esprit du spectateur vagabonde et, bien que l’enjeu de Luis soit important, il apparait au fil des minutes qu’il ne s’agit que d’un mac guffin, prétexte à l’exploration du désert marocain. On consent alors volontiers à se plonger dans le film qui frôle par moment le conceptuel ou l’expérimental. La mise en scène avec la musique et la photographie fait indéniablement partie des atouts du long-métrage et concourt à provoquer cet effet hypnotique qu’on ressent à chaque instant.

On est subjugué par les visuels, mais aussi par l’imagerie globale, tantôt liée à l’imaginaire infernal, faisant même parfois le parallèle avec des films comme Le salaire de la peur ou Dune pour son côté onirique et fantastique : tous les éléments de la réalisation, jusqu’à des éléments scénaristiques n’auront de cesse de nous retourner l’estomac ou de nous plonger dans un état d’extase.

Mais c’est dans le silence que Siràt trouve sa véritable force. Entre deux beats, entre deux mirages, Laxe laisse respirer le vide. Ce vide n’est pas absence, mais espace de contemplation. Il invite le spectateur à méditer sur sa propre traversée. Et lorsque le film s’achève, sur une image presque immobile, le spectateur réalise qu’il vient, lui aussi, de franchir le pont : plus mince qu’un cheveu, plus tranchant qu’une lame, tendu entre la terre et le ciel.

Bien plus qu’un film sur la disparition, Siràt est une expérience spirituelle contemporaine, une parabole sur la perte et la réconciliation, un voyage sensoriel où l’image devient prière. En transfigurant la fête en rite, la poussière en lumière, Oliver Laxe offre une œuvre radicale, habitée, qui poursuit l’un des plus anciens rêves du cinéma : celui de rendre visible l’invisible.

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