Pour son nouveau film Ouistreham, une adaptation libre du livre-enquête Le Quai de Ouistreham (2010) de la journaliste Florence Aubenas, Emmanuel Carrère a fait le choix de mettre en scène des actrices et des acteurs non-professionnels. Un pari audacieux mais réussi, pour notre plus grand bonheur !
Synopsis : Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre aussi l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l’ombre.
Un film-documentaire ?
A l’exception de Juliette Binoche, qui joue le rôle de l’écrivaine Marianne Winckler, les autres personnages principaux sont incarnés par des actrices non-professionnelles. Bien qu’il s’inspire de l’expérience réelle de la journaliste Florence Aubenas, le film n’en demeure pas moins purement fictif.
Les actrices non-professionnelles, qui ont par ailleurs participé à l’écriture de certaines scènes, rendent le film plus réaliste et apportent une dimension documentaire très intéressante. Pendant près de deux heures, nous sommes plongés au cœur de l’univers des femmes de ménage qui nettoient le ferry qui relie Ouistreham, une petite ville de la côte normande, à Portsmouth, de l’autre côté de la Manche. Le réalisateur met en lumière ces femmes essentielles mais invisibles, comme pourrait le faire un documentaire. Emmanuel Carrère dépeint très précisément leur quotidien et leurs conditions de travail éreintantes.
Le film ne tombe toutefois pas dans l’écueil du misérabilisme. Le réalisateur filme des temps de joie, de solidarité et d’amitié qui animent et qui lient ces femmes comme lorsqu’elles s’amusent au bowling ou lorsqu’elles fêtent le départ de Justine, l’une des leurs. Les actrices non-professionnelles rendent ces moments de bonheur naturels et vrais. Le film en est encore plus saisissant.
Hélène Lambert, la révélation de Ouistreham
La performance de l’une des actrices non-professionnelles, Hélène Lambert est particulièrement remarquable. Cette ancienne femme de ménage incarne Christelle, l’une des femmes de ménage du ferry, avec qui Marianne devient très amie. Hélène Lambert apporte à Ouistreham sa profondeur, sa justesse et son humanité. On a parfois l’impression qu’elle porte à elle seule l’ensemble du film. Hélène Lambert incarne à merveille l’ambivalence de son personnage, en colère contre tout le monde ou presque mais tellement attachante.
D’abord froide et sur la défensive, Christelle éclot progressivement, au fil de la construction de son amitié avec Marianne. Hélène Lambert interprète très bien l’ouverture lente mais sûre de son personnage. Cette évolution rend l’amitié entre Christelle et Marianne plus mûre et plus précieuse. On découvre, pour notre plus grand plaisir, une femme pleine d’ambigüités, sensible et fermée, dure et remplie d’amour.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce très beau film, notamment sur les conditions de vie et de travail des femmes de ménage. Nous ne saurions que trop vous conseiller d’aller voir Ouistreham, en salle dans de nombreux cinémas. Si vous êtes déjà allés voir le film, nous vous conseillons de lire le beau portrait d’Hélène Lambert par le média féministe Causette.