Nawal El Saadawi est une médecin psychiatre égyptienne, autrice d’une cinquantaine d’ouvrages traduits en une trentaine de langues. Il y a un peu plus d’un an, elle s’éteignait à presque 90 ans. L’engagement de celle que l’on considérait comme la « Simone de Beauvoir du monde arabe » dépasse très largement les frontières de son Egypte natale.
Une vie dédiée à la lutte
Nawal El Saadawi naît en 1931, au nord du Caire. Excisée à l’âge de six ans, elle échappe de peu à un mariage forcé alors qu’elle n’a que dix ans. Elle fait partie des très rares femmes à intégrer la faculté de médecine de la capitale égyptienne en 1949. Médecin psychiatre, elle soigne dès lors quotidiennement des femmes qui subissent des violences de toutes sortes.
De là naît l’engagement d’une vie : améliorer le sort des femmes égyptiennes. Nawal El Saadawi s’oppose ainsi à la polygamie, au port du voile islamique, ainsi qu’à l’inégalité entre les hommes et les femmes sur les droits de succession dans une société très conservatrice. En 1982, elle fonde l’Association arabe pour la solidarité des femmes, qui existe toujours aujourd’hui. Elle coopère également à de nombreuses reprises avec l’ONU.
Mais son militantisme dépasse la défense des droits des femmes. La psychiatre dénonce par ailleurs les violences policières et la loi qui instaure un parti unique sous Sadate, ce qui lui vaut d’être emprisonnée. Au cours de son séjour en prison, elle rédige les Mémoires de la prison de femmes. Elle a écrit le texte sur un rouleau de papier toilette, avec un crayon d’eye-liner.
Nawal El Saadawi s’attire d’autres ennemis. Dans les années 1990, elle figure parmi une liste de personnalités que les islamistes souhaitent exécuter. Elle décide dès lors de s’exiler aux Etats-Unis. En 2011, elle participe aux manifestations de la place Tahrir, qui conduisent au renversement du dictateur Hosni Moubarak, alors au pouvoir depuis trente ans.
Nawal El Saadawi ou la médecine au service de l’engagement féministe
Nawal El Saadawi met sa formation de médecin psychiatre au profit de son engagement féministe. Elle s’indigne contre les tabous sur la sexualité qui mettent bien souvent les femmes en danger. Ses essais dénoncent la réduction de la femme à un rôle d’esclave. En 1969, la publication de l’ouvrage La Femme et le sexe fait grand bruit. La psychiatre narre certains de ses entretiens avec des patients pour exposer l’ampleur et la violence du patriarcat en Egypte. Il est question de mariages forcés, d’avortements clandestins, d’agressions sexuelles, de viols. Ces entretiens la font ensuite retracer l’histoire de la construction des inégalités entre les hommes et les femmes. Mais surtout, elle propose des solutions pour mettre fin à ces inégalités.
Tout au long de son ouvrage, Nawal El Saadawi insiste sur la nécessité de l’éducation physique, psychologique et sociale, pour mettre à bas le patriarcat. Elle présente les différents organes sexuels féminins et explique leur fonction. Elle utilise ses compétences de médecin pour mettre fin à la croyance très répandue que la femme doit forcément saigner après la première fois. Nawal El Saadawi est visionnaire.
Elle pointe en outre la responsabilité du capitalisme dans les inégalités entre les hommes et les femmes. Toujours dans La Femme et le sexe, elle théorise ce que nous nommons désormais la « charge mentale », une cinquantaine d’années avant l’apparition de l’expression. Elle prône l’amour, l’écoute et le respect dans les relations de couple pour mettre fin aux rapports de domination entre les hommes et les femmes.
Selon la psychiatre, le féminisme n’est pas l’apanage de l’Occident. Les luttes féministes s’inscrivent au sein de tous les pays, de toutes les cultures, comme elle l’écrit ainsi :
« Le féminisme n’est pas une invention occidentale. Le féminisme n’a pas été inventé par les femmes américaines, comme beaucoup le pensent. Le féminisme est ancré dans la culture et dans la lutte de toutes les femmes du monde entier. »
Nawal El Saadawi est une figure pionnière du féminisme dans le monde arabe. Son engagement prolixe a encouragé la diffusion des luttes féministes et de l’émancipation féminine dans le monde arabe.