Malgré sa disparition, « Spec Ops : The Line » reste encore le jeu de guerre le plus impitoyable !

Emeric Gallego
Emeric Gallego
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Sorti en 2012, Spec Ops : The Line marque considérablement les esprits. Jeu de guerre des plus impitoyables, le titre est supprimé des magasins en ligne, dont Steam. Une situation qui rend le public sceptique. 

Spec Ops : The Line est probablement l’un des rares titres à utiliser le genre du TPS militaire pour s’en prendre violemment au genre. Profondément inspiré de l’ouvrage Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad (aussi adapté au cinéma sous le mythique nom d’Apocalypse Now), le jeu de 2K reste un objet de grande importance dans le média vidéoludique. Une des rares œuvres dont tout le monde semble connaître la fin…

Transformant le joueur en criminel de guerre en lui laissant croire qu’il est le héros d’un Dubaï dévasté, il a énormément sensibilisé son public qui pensait découvrir un énième blockbuster des plus classiques. Malgré un échec commercial, les années qui s’écoulent ont fait de lui une œuvre culte. Spec Ops : The Line devient aussi le sujet de nombreux articles et d’essais sur la représentation de la guerre dans le jeu vidéo. Chez Cultea, nous l’avons mentionné dans notre article sur les traumatismes abordés dans le jeu vidéo.

La représentation de la guerre figure parmi les plus malsaines et les plus brutales que le jeu vidéo puisse proposer. Pour exemple, personne ne peut oublier la scène du phosphore blanc. Ce moment dérangeant dans lequel le joueur reçoit l’ordre de tout brûler avant de se rendre compte que l’objectif à accomplir visait avant tout la perte de civils, des femmes et d’enfants, alors que le héros (et son contrôleur) croyait abattre les « méchants ».

Croyez-vous toujours être un héros ?

Spec Ops : The Line reste l’un des seuls jeux où le véritable but serait finalement de refuser de jouer. Proposant une forte similitude avec Call of Duty et Medal of Honor, le titre de 2K les prend à contre-pied en montrant le véritable visage d’une guerre. Personne n’en ressortira indemne, aussi bien physiquement que psychologiquement. Parfois, certains soldats ne s’en remettront jamais… C’est exactement le cas pour son personnage principal Martin Walker, qui reste persuadé d’être le héros de l’histoire, tandis que sa santé mentale se dégrade. Pourtant, jamais il ne se remettra en question, il n’est pas le fautif. Il va donc chercher un coupable justifiant ses crimes : Konrad.

Plus la progression avance et plus le joueur devient complice, obéissant aveuglément aux objectifs futiles sous prétexte de rencontrer le « grand vilain » du scénario. Quand l’horreur atteint son paroxysme, peu importe l’adversaire que l’on rencontre, il faudra ouvrir le feu… Même lorsqu’on ne demande pas de le faire. Une autre séquence marquante réside dans l’apparition d’une foule en colère. Par instinct de survie et de conditionnement aux règles, le joueur va tirer et commettre un immense massacre sans se rendre compte qu’il était possible de trouver une solution pacifique. Accompagné de sa structure linéaire empêchant toute liberté de mouvement, tout est conçu comme une virulente condamnation de la place de l’héroïsme.

Dans son essai Killing is Harmless intégralement consacré au jeu, Brendan Keogh mentionne que Spec Ops : The Line redéfinit de manière absurde le manichéisme du soldat virtuel et refuse de prendre le parti des personnages.

Le jeu semble déterminé à prouver qu’Adams, Lugo et Walker ne sont pas de bons soldats. […] Trop de joueurs veulent trouver les dichotomies agréables et faciles. Le bien et le mal. L’humain et l’autre. Le début et la fin. Le bien et le mal. C’est ce qu’on retrouve dans chaque jeu de guerre. The Line refuse obstinément de telles dichotomies. Il y a du bien et du mal en chacun. Chaque début est une fin, et chaque fin est un début. Chaque humain est monstrueux. Tout bien est un mal. Il embrasse les contradictions pour révéler à quel point les réponses simples sont frauduleuses.

Aussi une violente critique du jeu vidéo

Le jeu de 2K Games est également une critique de la dissonance ludo-narrative. Il s’agit d’une proposition de gameplay sans rapport à l’histoire racontée et pouvant briser l’immersion. L’exemple le plus commun est bien évidemment celui du personnage principal qui ne sait pas se défendre, mais devenant une machine à tuer par centaines dans l’unique but d’atteindre le bout du chemin planifié par l’histoire ! La majorité des jeux conditionnent le joueur à cette dissonance. Le meurtre conduit alors à la récompense suprême. Cependant, dans le cas de Spec Ops, cette dissonance est représentée par la volonté d’obéir aveuglément aux ordres des niveaux.

Toutefois, nul ne trouvera récompense, puisqu’il n’encourage plus ses participants. En réalité, le titre les fait culpabiliser de leurs actes à chaque temps de chargement et à divers points de l’intrigue. Toutefois, le joueur se retrouve contraint de continuer. En ne faisant plus de différence sur ce qui se passe devant lui, le jeu atteint le point culminant de cette dissonance ludo-narrative et la reproche systématiquement.

« Tuer pour soi est un meurtre. Tuer pour son gouvernement est héroïque. Tuer pour se divertir est un passe-temps. »

Le jeu disparaît des magasins en ligne…

Depuis le 30 janvier 2024, Spec Ops : The Line commence à disparaitre des magasins en ligne, dont Steam en premier. Il n’est plus possible de le télécharger (sauf si le titre est déjà acheté). Si beaucoup de joueurs ont suggéré que le jeu ne trouvait plus sa place dans la ligne éditoriale, cette rumeur est heureusement fausse. Le brutal titre de Yager Development vient d’expirer ses droits d’utilisation de certaines pistes musicales qui doivent être renouvelés. C’est le cas du morceau Star Spangled Banner de Jimi Hendrix. L’éditeur 2K a communiqué sur la disparition soudaine du jeu.

Spec Ops : The Line ne sera plus disponible sur les sites de vente en ligne, car plusieurs licences de partenariat liées au jeu arrivent à expiration.

Les joueurs qui ont acheté le jeu peuvent toujours le télécharger et y jouer sans interruption. 2K tient à remercier la communauté de joueurs qui a soutenu le jeu, et nous sommes impatients de vous proposer d’autres jeux de notre label tout au long de l’année et au-delà.

Plaidoyer contre les crimes de guerre et l’illusion du patriotisme, Spec Ops : The Line reste l’anti-jeu vidéo de guerre par excellence. Toujours inégalé, nous ne pouvons que vous recommander de le tester avant sa disparition définitive. Sachez qu’il n’est plus disponible sur la plateforme Good Old Games non plus. Un titre qui vous marque au fer rouge.  Car avant de faire la guerre, on la joue…

Bande-annonce Spec Ops : The Line

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Photographe et réalisateur indépendant. Certains de ses films ont obtenus une soixantaine de sélections en Festival à travers le monde. Rédacteur chez Cultea, ses écrits sur le Traumatisme abordé dans le jeu vidéo sont publiés sur le site !
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