« Mafia » : à la recherche de l’immersion

« Mafia » : à la recherche de l'immersion

L’année 2025 voit la sortie d’un tout nouveau jeu s’inscrivant au sein de la licence Mafia et marquant le grand retour de la franchise sur le devant de la scène. A cette occasion, plongeons-nous une nouvelle fois dans la mafia italienne la plus connue du monde vidéoludique.

Là où tout commence

Durant l’année 2002, un jeu développé par un petit studio tchèque nommé Illusion Softworks débarque dans les bacs du monde entier, à destination de la Playstation 2, Xbox et du marché du PC. Intitulé Mafia : The City of Lost Heaven, la proposition des développeurs tchèques est très simple. Leur volonté première est de nous faire vivre les coulisses de la mafia italienne de la ville fictive de Lost Heaven à travers les yeux de Tommy Angelo, conducteur de taxi qui verra sa vie bouleversée par sa rencontre avec deux membres du clan Salieri en guerre contre le clan Morello pour le contrôle de la ville.

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On suivra donc ses différentes péripéties et sa montée en grade au sein de la famille italienne, le tout ponctué par sa déclaration faite à l’inspecteur Norman huit ans après les faits vécus par le joueur. Ce qui frappe dès la première mise en main est le degré de réalisme recherché par Mafia : The City of Lost Heaven. Une véritable attention du détail s’en dégage et nous sommes immergés dans ce monde fictif, mais palpable pour l’époque.

Rien que l’introduction nous emmène dans les différentes rues de Lost Heaven que nous parcourrons tout le long du jeu avec en accompagnement une bande-son envoûtante signée Vladimir Šimůnek. L’immersion devait certainement être le maître-mot durant la période de développement de ce jeu débuté à la fin de l’année 1998. Pour un jeu du début des années 2000, il existe une cohérence globale intrinsèquement liée à vos actions quand on se balade dans les rues de la ville avec des policiers réagissant directement aux actions illégales du joueur, comme rouler au-dessus de la vitesse autorisée ou troubler l’ordre public.

Y rejouer aujourd’hui est certainement compliqué, ce qui est dû à sa difficulté et à la précision des tirs demandée par ce jeu exigeant, sans oublier la course de voitures qui a rendu fou un bon nombre de joueurs par sa maniabilité très rigide et n’excusant aucune erreur. Néanmoins, en faisant omission de tous ces détails qui peuvent être pardonnés par le style proposé par les jeux du début des années 2000, l’histoire racontée vaut clairement le détour.

Chaque personnage possède une modélisation et une palette de mouvements soignées qui ont été saluées au moment de sa sortie et qui sont encore visibles aujourd’hui. Ce concurrent direct au jeu GTA III, sorti un an avant, possédait ce qu’il fallait pour attirer le public des jeux Rockstar, tout en offrant une aventure réellement immersive dans la société italienne implantée aux Etats-Unis. L’histoire arrive à nous faire ressentir la vie d’un gangster en s’inspirant des grands films tirés de cet univers, tels que Le Parrain ou encore Les Affranchis.

Ce dernier est clairement la plus grande inspiration pour ce jeu quand on s’intéresse un peu plus au parcours du héros du jeu, Tommy Angelo. On passe de l’innocence à la tragédie, tout en lorgnant vers des moments intimes, en compagnie de Sarah, et épiques avec la confrontation finale dans la Galerie d’art en tête. Tous ces ingrédients forment les racines d’un potentiel que les suites vont chercher à atteindre durant les années qui suivront, avec plus ou moins de succès.

La confirmation de l’essai

A la suite de la réponse favorablement positive à la sortie du premier jeu de la future série Mafia, l’attente prit de l’ampleur face à l’arrivée plus que probable d’une suite. Néanmoins, il a fallu être patient pour pouvoir mettre les mains dessus. En effet, le développement débuta officiellement en 2004, mais connut une production compliquée.

La fenêtre de sortie était d’abord axée autour des années de vie de la sixième génération de consoles, mais fut finalement reportée vers le marché des futures Playstation 3 et Xbox 360. C’est en 2007 que le futur Mafia II est annoncé pour une sortie en fin d’année 2009. En coulisses, des conflits émergent et amènent au départ en 2009 de Daniel Vávra, scénariste principal du premier Mafia et de sa suite, pour aller fonder son propre studio, Warhorse Studios, qui accouchera de la franchise Kingdom Come : Deliverance.

Ce développement fastidieux est également dû au rachat d’Illusion Softworks par l’éditeur 2K, ce qui amènera à un remaniement du studio jusqu’à sa transformation en 2K Czech et sûrement à des interférences créatives. Le jeu finit par débarquer en août 2010.

Qui dit nouveau jeu, dit nouveaux personnages et nouveau lieu. Le joueur incarne Vito Scaletta de retour au pays après un passage par la Sicile pendant la libération de l’Italie par les Alliés en 1945. Ce qui marque en premier lieu est encore une fois l’immersion poussée à son paroxysme durant l’arrivée de Vito dans la ville inventée pour l’occasion et sobrement intitulée Empire Bay. On ressent la vivacité de cette dernière et la vie qui remplit ses rues durant cet hiver 1945.

L’histoire nous embarque donc dans la vie du jeune Vito, accompagné de son ami Joe Barbaro, cherchant à atteindre les hautes sphères du crime organisé de la ville avec, en complément, un habile clin d’œil au premier jeu. L’histoire et ses personnages sont clairement ce qui démarque cette suite des autres jeux se plaçant dans la catégorie des GTA-like.

On sent l’investissement de l’équipe de développement pour rendre crédible cet univers mafieux et l’engouement créé autour des deux protagonistes est très bien géré. Leurs différentes interactions amènent assez de matière pour définir la trame et le dilemme à venir. Le tout est servi par une bande originale de haute volée, teintée de morceaux intenses pour les scènes d’action et mélancoliques pour appuyer ce qui se passe implicitement à l’intérieur du personnage principal.

Cependant, malgré ce travail acharné pour rendre ce monde vivant, un ressenti de coquille vide finit par ressortir durant nos balades dans Empire Bay. Même si le monde paraît vivant, l’interaction reste limitée et ce monde ouvert offre peu de possibilités une fois la trame principale terminée. La sensation d’un développement houleux en ressort, d’autant plus quand on remarque les bases mises en place, mais non exploitées, par le jeu final. Cela ne ternit pas l’expérience globale très réussie et qui finit par définir la marque de fabrique de la licence.

La débâcle

Après deux opus réussis, il est temps de se tourner vers un troisième volet qui ne peut que confirmer la voie tracée par ses prédécesseurs. Le jeu voit son développement commencer après la sortie de Mafia II en 2011, mais connaît une nouvelle fois une histoire compliquée.

L’éditeur 2K restructure sa palette de studios et fait déménager le futur projet aux Etats-Unis, au sein du studio nouvellement créé Hangar 13, qui sera dorénavant en charge de la série avec 2K Czech en tant que consultant. La volonté reste la même, mais l’ensemble n’est plus vraiment chapeauté par les mêmes personnes.

En 2015, Mafia III est annoncé et proposera une plongée dans La Nouvelle-Orléans de la fin des années 60, entre retour de la guerre du Vietnam, chaleur humide du Bayou et vaudouisme. Cette fois-ci, la retranscription d’une région existante est privilégiée, mais l’idée d’incarner un nouveau personnage est gardée.

Le jeu sort en octobre 2016 et connaît un lancement prometteur, mais qui est vite sabordé par une optimisation calamiteuse pour un projet de cette envergure. Le rendu est catastrophique et fait honte au passé de la série, qui en sera ternie pour de nombreuses années. La frustration en est plus grande quand on constate l’effort fourni par l’équipe de développeurs au regard de l’histoire et de la modélisation de la Louisiane des sixties.

On suit Lincoln Clay, vétéran de la guerre du Vietnam, qui débarque dans sa ville natale pour reprendre une nouvelle vie malgré les regards désobligeants des habitants à son égard, qui préfèrent oublier une guerre qui a fini par s’embourber. Lincoln représente à leurs yeux ce passé peu glorieux.

Le jeu s’installe donc petit à petit, mais tous les défauts du monde ouvert de cette décennie finissent par ressortir tout au long de l’aventure. La carte est divisée en différents quartiers et on est chargé de démanteler les forces en présence pour affaiblir le Caïd de la ville, responsable de la tragédie familiale vécue par notre protagoniste. La répétitivité prend vite le pas sur tout le reste et le mélange d’ennui et de frustration en ressort très rapidement.

On finit par oublier le scénario riche et prometteur des premières heures en enchaînant sans passion les missions pour remplir les conditions demandées pour continuer l’histoire. Les phases de gameplay, qui représentaient le point faible de la série par sa simplicité mais qui étaient contrebalancées par sa qualité globale, finissent ici par ressortir et nous faire souffler du nez par leur manque d’originalité.

On se concentre ainsi sur le monde proposé, mais l’impression de dégoût et d’exaspération s’en dégage en constatant un monde optimisé à la va-vite. Mafia III a certes connu quelques patchs depuis sa sortie, mais il souffre encore aujourd’hui de réels problèmes d’affichage et de chargement : par exemple, le jeu n’arrive pas à afficher la route sur laquelle on se trouve quand la voiture est à sa vitesse maximale.

Le jeu devient une énorme déception et un acte manqué malgré son ancrage dans l’historique de la série avec le retour de Vito Scaletta, qui nous rappelle malheureusement à quel point le passé glorieux de la franchise est piétiné par l’incompétence de son développement et de sa gestion de la part de l’éditeur 2K.

Mafia III devient ainsi le jeu vidéo emblématique d’une période controversée par des lancements chaotiques, boursouflée par une surutilisation du concept du monde ouvert sans réflexion sur sa structure et ne servant qu’à faire gonfler artificiellement la durée de vie du jeu.

Le retour en grâce ?

Après la catastrophe, le silence. La série des Mafia, si prometteuse à son commencement et entachée par son troisième volet, ne fait plus parler d’elle durant les années suivantes, jusqu’au début de la décennie des années 2020.

Débarquant de nulle part, un remake du premier Mafia développé par Hangar 13 est annoncé sous le titre de Mafia : Definitive Edition. A cette occasion, un nouveau coup de projecteur est lancé sur les opus précédents, avec la sortie d’un remaster pour Mafia II et d’une édition complète pour Mafia III. Le tout devient la Mafia Trilogy pour accompagner la sortie prochaine du remake, qui finit par être distribué dans le monde à la fin du mois de septembre 2020.

On constate une véritable refonte de la ville de Lost Heaven avec un remaniement du casting pour coller avec la motion capture utilisée durant les cinématiques et les phases de jouabilité. Le scénario est peaufiné pour amener plus de profondeur au personnage principal et une immersion en adéquation aux standards de l’époque. Une attention particulière est portée sur l’immersion et l’histoire racontée tout en étant respectueux du passé de la série.

Néanmoins, les phases de tir ne connaissent pas cette faveur et nous rappellent les mécaniques vieillottes du titre. La proposition est tout de même accueillie favorablement par la critique et les joueurs et démontre que la série possède toujours une base solide de fans.

La possibilité d’un nouvel épisode est donc remise sur la table. En 2022, Hangar 13 confirme le développement d’un jeu qui reviendra aux sources de la série et c’est ainsi qu’en 2024, Mafia : The Old Country est annoncé. Situé dans la Sicile du début du XXe siècle, le jeu nous racontera l’histoire d’Enzo Favara, jeune aspirant d’une mafia sicilienne en pleine formation.

Le message est clair : l’ambiance et l’histoire seront les maîtres-mots de ce quatrième opus et le point d’orgue du développement a été la retranscription la plus fidèle possible d’une région qui n’a jamais été exploitée par un jeu de ce calibre. Cette prise de risque semble avoir assez de cartes en main pour revigorer une franchise qui en a grand besoin.

Malgré un troisième volet qui a terni l’héritage de la licence, la série des Mafia réussit à chacune de ses tentatives à proposer une immersion réussie au sein de la mafia italienne avec une histoire convaincante et prenante qui marque indéniablement les esprits. Ce retour sur le devant de la scène au cours de ces dernières années arrivera-t-il à relancer durablement cette franchise à fort potentiel ? La sortie prochaine de Mafia : The Old Country nous apportera sûrement une partie de la réponse.

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