Les trois masques est un film réalisé par André Hugon en 1929. Il s’agit du premier film parlant du cinéma français, grâce à l’innovant système de son sur pellicule RCA. Plus précisément, il est le premier film français en son synchronisé, ce qui le différencie du Collier de la reine (1929) de Gaston Ravel, sorti quelques jours avant et qui était quant à lui simplement parlant.
L’arrivée du cinéma parlant en France : une longue mutation
Cette arrivée tardive du parlant en France est due à plusieurs facteurs. D’un point de vue technique, les studios français ne sont pas équipés en conséquence (insonorisation, microphones). Ce film est d’ailleurs tourné en grande partie aux studios d’Elstree en Grande-Bretagne. Les cinémas ne sont pas non plus aptes à diffuser des films parlants (en 1930, environ 200 cinémas sur 4500 sont équipés). La mutation des salles de cinéma françaises est d’ailleurs plus lente que le rythme de production.
Un autre facteur clé : les compétences. La plupart des ingénieurs du son viennent des pays de l’Est, c’est un nouveau métier à apprendre pour les Français. Les producteurs sont frileux vis à vis de toutes ces dépenses, on ne sait pour l’instant pas si le cinéma parlant sera prospère.
La France avait pourtant déjà expérimenté le parlant en 1929 avec la projection du Chanteur de Jazz d’Alan Crossland (1927). Considéré comme le premier film parlant, il annonçait déjà un avenir radieux à cette innovation avec la réplique culte : « et vous n’avez encore rien entendu ».
Entre cinéma muet, parlant et théâtre : André Hugon
André Hugon est un cinéaste de la transition. Il a déjà beaucoup tourné au temps du muet et restera dans le paysage cinématographique français toute sa vie. Il sera critique, fondera une société de production ainsi qu’une revue de presse. Les trois masques est représentatif de ce triangle artistique présent dans le cinéma français des années 30 (muet, parlant, théâtre).
Le film est une adaptation d’une pièce de théâtre de Charles Méré. Il y a un immense intérêt du cinéma français parlant pour le théâtre, aussi bien pour les scénarios que pour les acteurs habitués à donner de la voix (ils remplaceront peu à peu certains acteurs du muet qui n’avaient pas ce charisme vocal). Tout en étant le remake du film muet d’Henri Krauss réalisé en 1921, ce premier film parlant est donc à la fois héritier du théâtre et du cinéma muet.
Ce film se déroule en Corse, où le riche Paolo Della Corba (Jean Toulot) mène une relation secrète avec Viola (Renée Héribel), une servante. Cette relation est désapprouvée par le père de Paolo et force les deux amoureux à fuir (Viola est d’ailleurs aussi enceinte). Les trois frères de Viola décident de venger l’honneur de cette dernière et poignardent Paolo durant le Carnaval. La dépouille sera ramenée au père qui n’aura d’autre choix que de recueillir l’enfant de son fils et de Viola. Ce scénario très dramatique tend à rappeler la thématique des amants maudits, éminemment théâtral.
La version complète de cette vendetta corse est quasiment introuvable, mais des extraits nous permettent aujourd’hui d’analyser la mise en scène.
La manière de filmer est assez statique, il y a peu de changements de plans au profit d’une constance de plans larges. L’usage des dialogues n’est pas encore au point et favorise le surjeu. On ressent dans les choix de cadrage la volonté de montrer ce film comme une véritable pièce de théâtre et les dialogues témoignent de ce côté encore expérimental du parlant.
Les trois masques offre néanmoins une nouvelle façon de faire du cinéma
Des mouvements comme celui du réalisme poétique naissent avec le parlant, les dialogues offrent aux personnages plus de profondeur et de personnalité. Des cinéastes s’en emparent dès 1930, comme René Clair avec son film Sous les toits de Paris qui, bien que fortement inspiré de la comédie musicale, arbore une dimension plus réaliste avec des personnages comme le chanteur de rue ou le pickpocket qui évoluent dans un Paris populaire. S’ensuivront des chefs-d’œuvre du cinéma français réalisés par Jean Vigo, Marcel Carné ou bien Julien Duvivier, mettant en scène des acteurs comme Fernandel ou bien Jean Gabin, des acteurs qui n’ont plus seulement une apparence, mais désormais une voix.
Ces voix caractéristiques seront aussi celles des personnages de la Nouvelle Vague, portée par des répliques cultes et des improvisations mythiques comme celle du regretté Jean-Paul Belmondo.
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