Figure incontournable du milieu vidéoludique, Jordan Mechner est connu pour être le créateur de la franchise Prince of Persia. Ce jeu, inspiré de l’univers des Mille et une Nuits, est aujourd’hui un formidable succès. Nous avons rencontré le créateur au Forum des Images à Paris dans le cadre d’une Master Class.
Le 14 décembre 2023, Jordan Mechner était l’invité d’une conférence organisée au Forum des Images à Paris sur les relations entre le cinéma et le jeu vidéo. L’artiste, interrogé par le doctorant chercheur en animation Antoine Rigaud, est revenu sur son histoire personnelle, mais également sur la création de Karateka et de Prince of Persia. Deux projets innovants pour l’époque, qui lui ont permis de travailler dans plusieurs médias. Mechner est ainsi game designer, mais aussi scénariste de cinéma et de bande dessinée.
La conférence raconte alors son parcours, tandis qu’un parallèle se compose avec des extraits de Replay, son roman graphique (aussi biographique) sur l’histoire de sa famille. L’artiste explique que le jeu vidéo n’était pas sa première vocation. Il envisageait de devenir dessinateur. Finalement, il se sera tourné vers les ordinateurs, dans lesquels il aperçoit déjà un potentiel créatif.
« J’avais beaucoup de rêves enfant. Mes petits dessins n’étaient pas du niveau de Disney, mais ce qui est bien avec un ordinateur, c’est qu’on ne pouvait pas voir que c’était fait par un adolescent. Je voyais ça comme une nouvelle forme de storytelling. »
Il se lance dans la programmation en 1982, en expérimentant avec les possibilités de l’Apple II, délivrant Deathbounce, un projet dont Jordan Mechner est encore fier aujourd’hui. Ce jeu d’arcade abstrait représente les premières armes de l’artiste, tandis qu’il étudie à Yale.
« Il n’y avait pas d’outils. Il fallait les créer soi-même. Toutes les images et tous les codes, enregistrer les octets et dessiner à la main. C’était vraiment un travail artisanal. Le développement d’un jeu était plus long. »
Karateka, la rotoscopie et le jeu vidéo
Rigaud interpelle Mechner sur sa relation avec le dessin. Une passion qui ne l’a jamais réellement quitté, puisque cela deviendra un important outil de création pour ses futures œuvres. Récemment, l’artiste est également auteur de BD, comme le prouve Replay, mais aussi, en signant Templier en 2013. Dans son rapport avec le dessin, le game designer répond :
« J’ai commencé le dessin vers 12 ans. C’est devenu pour moi un moyen de communication pour expliquer mes idées. Je faisais des outils de storyboard et je travaillais avec de vrais artistes. Il y a 15 ans pendant le tournage de Prince of Persia The Sands of Time, j’ai repris le dessin. J’étais le premier scénariste. Je dessinais ce qui était autour de moi. Je remplissais mes carnets de croquis. »
Dessiner deviendra une étape primordiale pour la création de son premier projet professionnel édité par Broderbund en 1984. Karateka pourrait être décrit comme les prémices de Prince of Persia. Le joueur contrôle un personnage sans identité qui souhaite sauver son amour, la princesse Mariko, de la forteresse d’un château sous l’emprise d’Akuma. Dans ses mécaniques, le joueur peut bouger le personnage de gauche à droite à travers un niveau linéaire, affrontant divers ennemis et obstacles, tout en s’enfonçant plus profondément dans la forteresse.
Une certaine ambiance cinématographique se dégage de l’œuvre sortie sur Apple 2. Mechner le confirme, puisqu’il reconnait son inspiration envers le 7eme art et une certaine adaptation en jeu vidéo.
« Mes jeux Karateka et Prince of Persia étaient inspirés de films. Pour le gameplay, des jeux comme Blade Runner m’ont inspiré. »
Jordan Mechner se lance un défi avec Karatéka. Il voudrait créer des animations fluides en exploitant les huit images par seconde de l’Apple II. Toutefois, il est confronté à de nombreuses limites techniques, comme le fait que l’ordinateur ne pouvait pas animer et lire de la musique en même temps, l’obligeant à s’adapter. Le réalisme des mouvements reste également un sujet à résoudre. Durant la conférence, l’auteur de Replay nous avoue que le jeu s’est transformé en véritable création familiale. Grâce à son père, il utilise la rotoscopie. Il s’agit d’un processus de dessin à la main d’images superposées l’une sur l’autre. La construction de son projet durera deux ans.
« La rotoscopie est une idée de mon père. Il m’a conseillé de regarder un film et de compter les cases pour chaque phase de mouvement. Les animateurs Disney travaillaient comme ça dans les années 30. Je voulais des animations fluides. Je filmais mon père portant la tenue de karaté de ma mère. Je filmais aussi le professeur de karaté. J’utilisais une Super 8, mais je ne faisais pas le montage. J’utilisais la pellicule comme un papier calque afin de dessiner les mouvements.
Plus tard, j’utilisais une cassette vidéo, je photographiais l’image de l’écran avec une pellicule et je les faisais développer. »
L’immense succès de Prince of Persia
Le succès de son jeu pousse Jordan Mechner sur la conception d’un nouveau titre. L’inspiration cinématographique et le dessin permettent à l’artiste de préparer Prince of Persia. L’auteur reconnait que Le Voleur de Bagdad de Ludwig Berger (1940) est sa principale référence. Dans ce nouveau jeu vidéo, le joueur incarne un jeune héros voulant sauver la princesse des griffes du vizir qui s’est emparé du palais. Voulant épouser la princesse, il lui lance un ultimatum : accepter le mariage ou mourir. Le héros a donc 60 minutes pour la sauver.
Prince of Persia est l’apogée de Karateka et influencera le travail d’autres artistes du jeu vidéo. C’est le cas d’Eric Chahi sur Another World (1991) et de Paul Cuisset sur Flashback (1992). Mentionnons aussi Fumito Ueda pour le chef d’œuvre Ico (2001), ce qui est ironique puisque, plus tard, l’histoire de l’enfant à cornes sera une inspiration pour Prince of Persia : Les Sables du Temps.
A l’instar de sa précédente production, l’auteur utilise la rotoscopie et filme son frère David. Puis, il prend soin de photographier chaque image de la pellicule afin d’élaborer les animations des mouvements du héros. Alors que le projet avance, le same désigner s’en occupe de moins en moins afin de se consacrer à des études de cinéma. Il reviendra sur le projet qui n’aboutira qu’en 1989.
Cependant, le titre sera un échec commercial malgré ses critiques très positives. Mais grâce à ses nombreuses ressorties, le jeu deviendra culte et bénéficiera d’une suite en 1993. Plus tard, Ubisoft acquiert les droits et propose à Mechner une nouvelle version. Prince of Persia : Les Sables du Temps (2003) devient très vite l’un des meilleurs jeux de l’éditeur tout en proposant un titre de plateforme innovant, maitrisant parfaitement l’atmosphère onirique des Mille et une Nuits.
Il y a cette envie de voyager dans cette imaginaire. Les Histoires des 1001 Nuits existent depuis longtemps. Les cinéastes ont vu cette ambiance magique qui se dégage d’un tel univers. Je pense que c’est pour ça que Prince of Persia marche encore aujourd’hui. Malgré l’évolution et la technologie, il y a cette envie d’explorer cette Perse mythique.
Le succès immense du jeu permettra le développement de deux suites. Cependant, Jordan Mechner n’est plus en charge du projet et n’appréciera pas les changements radicaux présents dans les suites. Plus précisément dans le second volet, L’Âme du Guerrier (2004). Il permet également à l’auteur d’être scénariste pour Hollywood en réécrivant l’histoire de son jeu avec l’adaptation cinématographique Prince of Persia : Les Sables du Temps de Mike Newell (2010), avec Jake Gyllenhaal et Gemma Arterton dans les rôles titres. Notons que The Lost Crown, le nouvel épisode de Prince of Persia, doit sortir en janvier 2024. Toutefois, l’auteur ne réalise pas le projet.
Replay, la biographie de son auteur
Enfin, cette conférence fut le moyen d’en apprendre davantage sur Replay. Ce roman autobiographique sorti en avril 2023 est à la fois une œuvre sur l’exil et la mémoire, mais également un récit très intime. L’auteur revient sur sa famille et mentionne également son parcours et la conception de ses projets. Elle comporte aussi une triple narration qui explore le passé et le présent de 3 hommes d’une même famille, appartenant à des générations différentes.
Délaissant le dessin pour se consacrer à la programmation, Jordan Mechner a finalement fait du dessin la passion de toute une vie. Sa plus grande œuvre, Prince of Persia, montre également un important travail de famille et l’importance d’un héritage et d’une transmission.
- Crédit photos : Emeric Gallego
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